Era of Tribes : la civilisation sans compromis
Issu d’une campagne Kickstarter lancée par son auteur, Arne Lorenz, en mai 2019 et livré à l’automne suivant, Era of Tribes est un jeu de civilisation pour 1 à 4 joueurs (jusqu’à 6 avec l’extension) où le but est de se développer, s’étendre, découvrir de nouvelles technologies et interagir avec ses adversaires. Le jeu prend place en Europe, et démarre à l’ère du Néolithique pour aller jusqu’au Haut Moyen Âge.
L’auteur a lui-même édité son jeu après l’avoir développé pendant une dizaine d’années, et qui dit jeu auto-édité dit (quelque fois) jeu pas du tout épuré (quelqu’un a parlé de Feudum ?) surtout quand c’est la première création (c’est le cas ici). Le jeu est donc le reflet exact de ce qu’a imaginé son auteur, sans compromis. D’ailleurs, Arne Lorenz a pratiquement tout fait tout seul : conception, illustration, gestion de la campagne Kickstarter, production…
Bon alors je vous préviens tout de suite, on parle ici d’un (très) gros jeu, qui demande environ 1h d’explication de règles et dont la durée annoncée est de 30 minutes par joueur pour une partie courte et 60 minutes par joueur pour une partie longue (ce sont les conditions de fin de partie qui changent). Il y a même un mode « epic » mais les conditions de fin semblent tellement inatteignables pour certaines, que je ne sais pas si je l’essayerai un jour 🙂
Lors de mes parties (exclusivement « courtes » pour l’instant), avec à chaque fois de nouvelles personnes autour de la table, il aura fallu plutôt 50 minutes par joueur.
On parle donc d’un jeu qui ne conviendra pas à tout le monde et qui va demander de l’investissement, surtout pour celui ou celle qui va « débroussailler » toutes les règles (le mot n’est pas choisi au hasard 🙂 ). Comprenez ici que la FAQ, disponible sur BoardGameGeek et maintenue à jour par l’auteur, est quasiment obligatoire pour appréhender ce titre. Par contre, Arne Lorenz est extrêmement réactif sur BGG et vous aurez toutes les réponses à vos questions rapidement !
Ceci étant dit, parlons du jeu 🙂
Soyez influent.e, vous voulez gouverner le monde
Le but ultime du jeu est de devenir la tribu la plus influente d’Europe en gagnant le plus de points d’influence possible.
Vous démarrez au début du Néolithique alors que l’humanité est représentée par une poignée de petites tribus vivant dans des cavernes sombres et humides… En tant que joueuse vous êtes la chef d’une de ces tribus et ne rêvez que d’une chose, devenir la souveraine d’un vaste empire.
Tout un programme.
Laissez faire vos leaders
Le tout se présente comme un jeu de pose d’ouvriers, chaque joueur possède le plateau personnel de sa tribu et va placer un ou plusieurs de ses leaders sur une zone pour en activer l’action correspondante.
Plus on utilisera de leaders pour réaliser une même action et plus l’action sera puissante (mais plus elle vous coûtera cher aussi pour certaines).
Durant la partie, vous aurez notamment besoin d’augmenter vos richesses avec le Commerce d’une part ou les Taxes d’autre part. L’un permettra d’obtenir une somme d’argent assez faible (que vous pourrez augmenter en développant la technologie « Commerce ») sans influer sur le moral de votre peuple, tandis que l’autre sera beaucoup plus lucrative mais va faire baisser drastiquement son moral. Eh oui, les gens ont tendance à ne pas trop aimer quand on les taxe… Mais pas de panique vous pourrez vous rattraper en trouvant des moyens de les divertir grâce à l’action « Du pain et des jeux ». D’ailleurs, il est à noter que cela rend parfois l’enchaînement de ces deux actions quasi automatique si l’on ne veut pas faire face à un exode de notre population (j’y reviendrai).
Ainsi, l’argent et le moral ont une place prépondérante dans la réussite de votre rêve et vont provoquer de gros dilemmes dans le choix de vos actions à chaque manche.
La R&D, c’est important
L’argent vous permettra entre autres de faire de la recherche afin de découvrir de nouvelles Technologies. Il vous faudra choisir qui vous voulez être : un pionnier « disruptif » de ce monde \o/ ? Ou quelqu’un qui préfère profiter des innovations des autres ? L’un gagnera de l’influence mais devra investir beaucoup d’argent, tandis que l’autre réduira ses coûts mais restera un illustre inconnu… La vie est une question de priorité.
Un vassal, des vassaux
Au moins une fois dans chaque manche vous devrez croître grâce à l’action Croissance, soit à l’aide de vos leaders ce qui facilitera les choses, soit de manière automatique à la fin de la manche. Cette croissance va prendre en compte votre production de nourriture ainsi que le moral de votre population, alors assurez-vous que tout va bien car vous risqueriez de provoquer un exode d’une partie de votre population si le total est négatif.
Vos vassaux (il s’agit de cubes représentant votre population sur le plateau principal) vont ainsi se reproduire et partir conquérir de nouvelles régions, fonder de nouvelles villes, installer des nouveaux centres de commerce dans les villes de vos voisines, ou simplement s’enrôler dans votre armée régulière afin de participer à vos prochaines batailles…
Vous pourrez également lancer de grandes explorations en mer pour découvrir de nouvelles terres fertiles ou regorgeant de ressources de luxe comme des épices, du vin, des diamants, ou de l’or… ce qui vous permettra par exemple d’augmenter la puissance de vos prochaines actions. Mais faites attention à bien préparer vos vassaux car ils pourraient tomber sur des tribus autochtones de barbares qui voudront en découdre. Ceci dit, en remportant ces combats vous obtiendrez également des bonus non négligeables, donc c’est à vous de choisir 🙂
Je veux me battre !
Les combats dans Era of Tribes nécessitent une bonne préparation et, lors de mes parties, ont semblé punitifs pour l’attaquant (notamment dans le cas des combats terrestres qui avantagent le défenseur) et donc peu incitatifs.
En effet, les combats fonctionnent avec des jetons de protection que l’on obtient sur des majorités (avoir le plus de moral, le plus de force militaire impliquée, le développement technologique correspondant le plus élevé). Ensuite, on lance les 2 dés et les symboles obtenus infligent une perte pour chaque armée qui ne possède pas le jeton correspondant. On relance ainsi les dés jusqu’à ce que toutes les unités d’une armée aient été détruites.
Lors de nos parties, il a semblé indispensable de s’assurer d’avoir au minimum 3 jetons sur les 5 pour espérer remporter la victoire. Par exemple plusieurs joueurs à ma table ont tenté d’attaquer des barbares avec seulement 2 jetons sur 5, et même avec (beaucoup) plus d’unités que leur adversaire, ils ont été violemment chassés des terres qu’ils convoitaient… Ceci a eu pour conséquence de les dissuader de retenter des combats, ce qui est un peu dommage.
La violence n’est pas la solution à tous les problèmes tu sais
Une action, et pas des moindres, permet de choisir la voie de la Diplomatie. Vous pourrez par exemple former un nouveau leader qui viendra gonfler le nombre (ou la puissance) de vos actions à chaque manche, ou déclarer au monde entier que vous êtes un gentil homme (ou une gentille femme) de paix, au moment où un autre joueur s’apprêtait justement à vous attaquer … « Oh quel dommage, tu vas rendre ton peuple malheureux en faisant ça » (ce qui bien sûr ne vous empêchera pas de l’attaquer juste après 😉 ).
Cette action vous donnera également la possibilité de faire une alliance avec un joueur voisin, ou de lui acheter des terres. Oh bien sûr il pourra refuser, mais il y a des moyens de lui forcer la main 🙂
Il est venu le temps de la révolution !
Pour changer d’ère (et d’air) et espérer évoluer jusqu’au Haut Moyen Âge (ce qui n’est pas forcément obligatoire pour remporter la partie), il va falloir déclencher une révolution grâce à l’un de vos leaders. Si vous êtes la première à passer à l’ère suivante, vous aurez le privilège de choisir la carte objectif qui sera activée pour l’attribution des points d’influence (ce sont des objectifs qui s’appuient sur des majorités). Autant dire que cette première place est prisée.
Cependant déclencher une telle révolution n’est pas sans conséquence et votre tribu en sera quelque peu affaiblie. Il ne faudrait pas que quelqu’un décide justement de vous attaquer à ce moment là…
Les premiers seront… récompensés
On se rend compte assez vite en jouant que Era of Tribes est une course. Il va falloir choisir la stratégie qui correspondra le mieux à votre tribu tout en profitant des opportunités que vous laisseront vos adversaires afin de décider où il serait judicieux d’être plus rapide que les autres. Il y a de la course un peu partout : sur la pyramide des technologies (pour les points d’influence gagnés par le pionnier), le passage aux différentes ères (pour choisir la carte objectif à scorer), la conquête des territoires (pour les ressources), le déclenchement de la fin de partie (qui fait aussi gagner des points), etc. Il faudra donc faire les choix qui s’imposent en fonction du chemin que vous désirez emprunter, ce qui provoquera encore de nombreux dilemmes.
Les sensations sont proches d’un eurogame, mais il y a pas mal de possibilités d’interaction et de coups fourrés entre les joueurs. Le jeu est grandement immersif, je trouve personnellement le thème bien présent et on a vraiment l’impression de développer son empire, d’explorer la carte, de partir à l’aventure, de lancer un assaut.
On a une vraie sensation de montée en puissance comme tout bon jeu de civilisation et il est possible d’adopter différents styles de jeu suivant les goûts et envies de chacun : agressif ou pacifique. Ces deux directions semblent être plutôt bien équilibrées si on ne laisse pas trop de place au hasard (notamment pour les combats). Il est d’ailleurs tout à fait possible de faire des parties sans aucun combat si on le désir.
Comment ça, le jeu est moche ?
Ce jeu n’est évidemment pas sans défaut (dont quelques uns vont peut-être en dissuader certains) :
Il y a des problèmes d’ergonomie et de lisibilité qui rendent les parties un peu pénibles sans être insurmontables non plus.
Par exemple, une des conditions de fin ainsi qu’une carte objectif est basée sur le nombre de technologies développées mais il est très difficile de savoir si on est premier sans recompter constamment le nombre de technologies de chacun pour suivre leur progression, rien ne nous facilite la tâche. Autre exemple, la mise en place des villes sur le plateau personnel est longue et laborieuse, il arrive assez souvent que l’on fasse tout valdinguer et qu’il faille tout remettre en place. Un plateau double couche aurait été sans doute un plus. Je me suis d’ailleurs bricolé ça avec des chutes de cartons pour améliorer l’expérience, ça fait plutôt bien le job.Il y a de nombreuses icônes un peu partout sur les plateaux (mais vraiment partout) pour chaque petit point de règles et tout ça n’est pas très intuitif.
Le corollaire du point précédent est donc qu’il y a une multitude de petits points de règles à se rappeler ce qui rend le tout relativement indigeste pour des nouveaux joueurs et nouvelles joueuses.
Grâce à la sortie Kickstarter du jeu, l’auteur est confronté à une multitude de retours de joueurs (beaucoup plus nombreux qu’avant puisque le jeu est maintenant déployé à plus grande échelle), et a passé beaucoup de temps sur la clarification des règles et le traitement des cas particuliers. À l’heure où j’écris ces lignes, une FAQ à peu près finalisée a été publiée sur BGG (disponible en français) et Arne Lorenz prévoit de publier dès que possible de nouvelles versions du livret de règles pour y intégrer toutes ces clarifications.
Certains trouvent également le graphisme rédhibitoire. Personnellement je comprends ces retours mais je trouve que ce côté « old school » participe grandement au charme du jeu et à son immersion… En tout cas le matériel est de très bonne qualité donc rien à redire à ce niveau là.
Un petit mot également sur le fait que lors de mes parties, il y a eu assez peu d’interactions entre les joueurs et qu’au final, aller au contact des autres et influer sur leur jeu est un vrai choix qui n’est pas particulièrement encouragé par le jeu lui-même et demande de la préparation. Il y a des intérêts à le faire (pas mal de récompenses quand on gagne beaucoup de combats par exemple) mais les défaites font souvent mal et nous ralentissent pendant quelques tours.
Era of conclusion
Avec Era of Tribes, on n’est donc clairement dans une expérience ludique qui demande du temps et de l’investissement pour comprendre tous les tenants et aboutissants du jeu et apprendre à le maîtriser. Mais une fois ceci fait, on découvre un jeu très prenant et aux multiples facettes.
Personnellement pour l’instant j’ai joué 5 parties en multi (à 2, 3, 4 et 6 joueurs) ainsi que 5 parties en solo et j’ai régulièrement envie d’y jouer malgré sa durée et son côté indigeste qui s’estompe au fur et à mesure de mes parties. Je ne recommencerais sans doute pas de parties à 6 joueurs car j’ai trouvé ça vraiment trop long (ou lent) mais par contre j’ai vraiment hâte de faire une partie dite « longue » à 3 ou 4 joueur.se.s max avec uniquement des personnes déjà initiées pour voir ce que le jeu a vraiment dans le ventre 🙂
Pour finir, l’auteur travaille actuellement sur deux extensions dont une comprenant le plateau « Intelligence » (que je n’ai pas encore testé) qui rajoute des actions basées en grande partie sur le vol d’un adversaire : voler un leader à un adversaire pour l’utiliser pendant cette manche, corrompre ses unités de combat pour diminuer ses forces, lui voler de l’argent ou une province, etc. Cela semble très agressif donc je pense que celles et ceux qui restaient sur leur faim quant aux interactions vont être servis 🙂
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Eduardo 11/11/2022
Merci!
Comment le comparer a d autre jeux de civilisation, comme Clash of Cultures?
cyrilcyrilcyril 11/11/2022
Hello je n’ai malheureusement pas encore eu l’occasion de jouer à Clash of Cultures alors je ne saurais les comparer, mais si un jour j’y joue, je viendrai faire un petit topo ici 🙂