Elastium – Surprise ludique en provenance de l’Est !
Vous qui écoutez les bruits de couloir dans les coulisses d’Essen, qui scrutez l’arrivée des nouveautés à l’horizon de l’immense planète ludique, n’avez-vous point entendu parler de ce curieux « Jeu d’élastiques » venant de Russie ? Et bien, il vient d’arriver en France, distribué par Blackrock Games et édité par la maison moscovite Lifestyle Boardgames (Red Outpost, Escape from the Asylum) !
Une équipe de jeunes créateurs, Yaniv Kahana et Oren Shainin, accompagnés d’Alexander Rommel et de Maxim Suleymanov pour l’illustration, a fait le pari risqué d’axer leur tout premier jeu édité sur du contrôle de territoires à base de… pose d’élastiques !
Oui mesdames et messieurs, ces élastiques plus ou moins fluo qui ont envahi les cours de récré. Signe d’un jeu pour enfants ? Pas que. Nous avons au menu un jeu familial aux parties assez courtes (20 à 30 minutes selon le nombre de joueurs) qui a le mérite de chercher à repousser les frontières connues de ce genre de jeux. Voyons cela de plus près !
En quelques mots
Rien de tel que de commencer par un bon Ludochrono pour déplier ses règles plus facilement !
Dans Elastium vous jouez un(e)… En fait vous ne savez pas qui vous jouez… mais la découverte de la substance appelée « élastium » vous permet de distendre l’espace et le temps afin de visiter des mondes parallèles. Qui dit mondes parallèles, dit exploration, dit découverte de richesses, dit se faire de nouveaux amis ? Ben non ! Dit « Au pillage !!! » pardi… Vous faites donc la course avec vos adversaires dans le but d’amasser le plus de points de victoire à la fin de la partie, en conquérant des territoires.
Rien de révolutionnaire, c’est un jeu de contrôle de territoires au tour par tour. Parmi les jeux connus du grand public, on peut peut-être citer Carcassonne qui s’en rapproche un peu. L’originalité, et pas des moindres, c’est la pose d’élastiques. Le principe est simple. À son tour chaque joueur dispose de 2 actions qu’il dépense comme il le souhaite parmi le choix suivant :
- Piocher 2 cartes, à l’aveugle dans la pioche, ou dans une rivière de 5 cartes étalées face visible, ou bien une de chaque.
- Placer un élastique entre 2, 3 ou 4 picots du plateau. Pour cela, il faudra défausser des cartes de la même couleur que les picots sur lesquels l’élastique va s’étendre (une carte par picot).
Le premier élastique posé doit toucher un picot brillant en bord de plateau. Les suivants devront toucher un picot que vous contrôlez déjà. Ici pour poser ce 2e élastique, je ne paye que 3 cartes (verte, grise et rouge), car je possède déjà le picot orange.
Lorsque vous contrôlez une zone (soit directement en posant un élastique, soit en fermant une zone entre plusieurs de vos élastiques), vous gagnez tout ce qu’il y a à l’intérieur : des points de victoire ou des jetons énergie. Ici aussi, on retourne sur du classique.
Ces jetons énergie, par groupe de 3, peuvent être dépensées soit pour gagner 1 action supplémentaire, soit pour gagner 1 point de victoire supplémentaire à la fin de la partie.
C’est tout ! ou presque…
De l’élastique à retordre
Mais (il y a toujours un « mais » !), si vous posez un élastique sur un picot déjà occupé par un élastique d’un de vos adversaires, vous devrez non pas défausser votre carte, mais la lui donner. Dans les scénarios forçant la promiscuité, il faudra donc bien réfléchir à ce qui sera le plus avantageux entre gagner des points de victoire et céder des cartes à vos adversaires.
Pour m’étaler et placer un élastique entre 4 picots, je dois défausser 2 cartes (verte et jaune), puis donner une carte bleue à mon adversaire car il occupe déjà un picot. C’est bien, je vais gagner 5 piépièces, mais que va-t-il faire avec cette carte ? Peut-être pire que moi !
Les points de victoire et jetons énergie sont répartis de façon relativement symétrique ou équilibrée. On peut donc facilement repérer les zones à concentration de points de victoire. On va se poser des questions telles que : « dois-je foncer dans les zones en points et me gaver, ou bien cherche à barrer la route à mes adversaires, ou bien d’abord atteindre l’objectif du scénario s’il y en a un ? ».
Les grandes lignes du cœur mécanique du jeu s’arrêtent là, à un bon carrefour entre simplicité et menues possibilités stratégiques. Le concept est suffisamment simple pour permettre aux enfants de jouer (dès 8 ans pour le plus stratèges, sinon 10) et suffisamment ouvert pour permettre aux joueurs expérimentés de mettre leurs stratégies en œuvre, surtout avec les scénarios plus complexes (on en trouve 8 dans la boite, avec conditions de victoire et mises en place variées).
Deux stratégies s’opposent dans la Cité Archipel : le joueur vert veut bloquer son adversaire, et le rose se concentre sur la collecte de points. Qui va l’emporter ?
Immersion de surface
Le pouvoir immersif n’est pas le point fort d’Elastium. Le thème est clairement plaqué sur un jeu abstrait. Pour la petite histoire, l’auteur dévoile dans son blog BGG qu’à l’origine le jeu concernait le milieu du crime, avec une guerre de gangs pour un contrôle de territoires. La collaboration avec Lifestyle Boardgames a réorienté ce choix vers un univers bien plus grand public. Sûrement une bonne idée, en adéquation avec la mécanique elle-même très accessible, mais ce n’est pas un thème original que l’on attend avec cette curiosité ludique. L’intérêt, tout comme la vérité, est ailleurs…
Vous l’aurez compris, la pose d’élastiques est l’attrait central du jeu. Le principe est simple, plaisant à l’utilisation et novateur. Ce pari risqué est donc gagné, du moins pour ma part (et celle des joueurs que j’ai pu croiser).
L’édition d’un Spoutnik ludique
À l’ouverture de la boîte, on découvre une édition très correcte et sans extra, pour une trentaine d’euros en boutique. L’imposant support en plastique surmonté de picots permet d’installer en un clin d’œil des plateaux de jeu amovibles, sous forme de 12 grandes feuilles rigides et perforées, imprimées recto verso.
Côté direction artistique, il n’y a pas de quoi tomber le maxillaire inférieur à la vue des illustrations, essentiellement présentes sur les plateaux de jeu. C’est plutôt sobre mais notez que le tout a le mérite d’être lisible. C’est déjà bien, vu la quantité de points de victoire et de gemmes représentés sur les plateaux. Un souci de design à ce niveau-là aurait pu avoir des conséquences assez catastrophiques.
Cependant, au fur et à mesure que l’on observe et que l’on manipule Elastium, on ne peut s’empêcher de se questionner sur sa durée de vie matérielle. Qu’en est-il de la résistance des élastiques sur le long terme, un produit industriel tout de même assez bas de gamme ? Que va-t-il se passer quand je serai vieux et chauve tel le père Fourras et qu’avec un regard malicieux je ressortirai ce jeu du placard pour le faire découvrir aux jeunes générations ? Les élastiques seront ils fossilisés ? Tombés en miettes sèches ? Seul le temps nous le dira, mais je doute de leur tenue de route après quelques années.
En contrepartie notez qu’il s’agit d’un format d’élastiques très répandu, qu’il est facile de se procurer pour quelques euros. Même en cas de faillite intergalactique, il sera toujours possible de les remplacer par d’autres élastiques, pour peu qu’ils soient colorés et qu’ils mesurent entre 1 et 2 cm de diamètre. J’aborde donc cette question sans trop d’anxiété, même si elle me taraude un brin.
Abondance d’univers parallèles
On pourrait également douter de la durée de vie (ludique) du jeu face à sa grande simplicité. Les designers ont anticipé cette question en mettant le paquet sur 8 scénarios, qui sont autant de variantes du jeu. Ils ne sont clairement pas là pour édulcorer mais vont au contraire enrichir le gameplay en changeant chacun un ou plusieurs points de règles.
Par exemple « Ruines Fragiles » impose des formats de pose d’élastiques différents (des zones très allongées, en 8, etc.). Le « Plateau Gravé » est vide de points de victoire mais récompense les joueurs qui parviennent à entourer des images sur le plateau. « Temples dans la Jungle », le premier scénario, récompense de 8 points ceux qui traversent tout le plateau les premiers…
Situation tendue « comme un string » dans Le Labyrinthe, où l’on ne peut qu’avancer en ligne droite sans recouper son chemin. Moi je dis que le joueur vert va se faire serrer. Cela me rappelle fortement les duels à moto dans Tron (pour les geeks de la préhistoire).
On revoit donc nos stratégies différemment selon le scénario. Il y aura donc pas mal parties en perspective rien que pour explorer le jeu en entier et encore plus pour approfondir les scénarios. Ces derniers demeurent accessibles à tous, à l’exception d’un ou deux qu’il m’a fallu relire plusieurs fois avant de parvenir à y connecter mes neurones.
Dans Le Triangle Maudit, rien ne va plus. Non seulement l’offre de cartes a disparu, mais on place ses territoires où l’on peut, sans restriction. Plus les zones que l’on contrôle sont isolées, plus cela rapporte des points de victoire.
En résumé, est-ce un plaisir d’élastiquer ?
Si son thème est a priori peu accrocheur et sa direction artistique pas folle, en jouant à Elastium on découvre un jeu simple et efficace, auquel enfants et adultes pourront jouer ensemble, dans la même famille qu’un bon vieil Aventuriers du Rail. Sa force et son originalité résident dans sa mécanique de pose d’élastiques, agréable et permettant pas mal de stratégies.
Par sa simplicité et la rapidité de ses parties, il conviendra à un public large, pour peu que l’on aime le contrôle de territoire (Carcassonne, Small World, Ishtar…). Il ne conviendra certainement pas à un public allergique aux jeux abstraits ou en recherche d’immersion forte.
Les 8 scénarios sont le deuxième gros point fort d’Elastium. Ils apportent de la variété dans le gameplay en proposant des règles différentes et chacun trouvera son petit crush parmi cette offre scénaristique. Malgré une durabilité qui dépend directement de la solidité des élastiques, Elastium est sans conteste une petite surprise ludique qui procure un plaisir simple à jouer.
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Tonio Lagoule 17/12/2019
L’esprit du jeu est très bien résumé dans l’article.
Il lui manque juste un mode Coopération, pour que le petit Kevin ne boude pas quand il se fait rétamer par Tatie Danielle (ou l’inverse).
Groule 18/12/2019
Tu as bien raison Tonio, je ne peux que plussoir. Mais ils ont déjà fait un job de conception excellent !