Earth – Jardin d’é-zen

Earth. Simplement. Pas de Terraforming quequ’chose, pas de Legacy of the Pachamama, ou de Rise of Nature : Earth parle de la terre, point barre. Ce jeu de Maxime Tardif ne détonne pas avec la thématique nature qui semble si en vogue en ce moment, mais on peut dire que Tardif est habitué à traiter d’écologie et de systèmes naturels, avec, par exemple, Fourmidable ou Diver City, qui se préoccupaient déjà d’écosystème. Et ce jeu nous arrive depuis un éditeur canadien, Inside Up Games, pour rejoindre nos étals et étagères par l’entremise de Lucky Duck.

 

Earth vous demande de construire un moteur de seize cartes Nature (Terrain et Flore) pour marquer des points, qui vous sont octroyés de maintes manières. Par contre, les événements que vous jouez vont sur votre plateau. Plateau qui est d’ailleurs bien achalandé, et servira autant de zone de stockage que d’aide de jeu. Chaque joueur construit son île avec : une carte île pour ses ressources de départ + un pouvoir, une carte Climat pour un pouvoir de plus, et une carte Écosystème pour un scoring de fin de partie. Mais chacune de ces cartes et double face pour que vous puissiez jouer le départ qui vous convient le mieux. D’un certain côté, l’abondance de ces cartes, si elle peut faire peur, est digeste et amène à un état toujours plus ou moins synergistique. On n’est jamais tout à fait perdu, et on sait, grâce à ces choix initiaux, ce que l’on va chercher. J’apprécie pas mal ces jeux qui nous font choisir des choses significatives, et ce dès la mise en place (mais c’est possible de mal le faire et de se tirer une balle dans le pied).

La flore a des effets divers et variés, et s’étoffe au cours de la partie.

 

Avoir la main verte

Lors d’un tour de jeu, le joueur actif déclenche une des quatre actions (Planter / Eau / Sol / Pousse) et les autres joueurs bénéficient de la même, mais minorée. Ensuite tous les joueurs activent le ou les cartouches de leur tableau de la même couleur… et c’est là que la combinatoire d’Earth prend tout son sens. On n’est pas vraiment là pour l’action de base, qui donne seulement les ressources (cartes en main, diverses monnaies, actions de plantage), quoique ces ressources ne soient en aucun cas anodines. On est là pour la conversion qui arrive après. Car tout dans Earth donne des points. Tout dans Earth génère un tout petit peu de ressources. À chaque tour ou presque, c’est un moment de générosité. De profusion.

 

On peut gagner des hauteurs d’arbre qui viennent se placer sur nos cartes Flore. Mais bon, la petite végétation n’en accueillera pas beaucoup. Et si vous atteignez le maximum, vous placez une canopée pour un bonus de points souvent substantiel. On peut gagner du Sol, la monnaie qui sert à jouer des cartes. On peut gagner des germes, des cubes qui se placent sur nos cartes. Chaque germe vaut un point, mais ils peuvent être convertis en Sol. On peut composter (placer dans une défausse personnelle) des cartes de notre main ou du paquet.

Le renard signifie l’action faite ce tour-ci.

 

 

Et tout ceci marque des points ET peut servir de ressource. Il faut donc trouver les points de bascule, les moments où il est rentable de transformer une ressource en une autre afin de contourner les limites de jeu. Vos germes sont pleins et vous devez en gagner ? Hop, convertis en Sol qui vous permettra de jouer d’autres cartes. C’est toujours une question de petites limites que l’on contourne de façon satisfaisante, voire grisante. Plutôt que de toujours être raide, on doit faire avec une certaine abondance, enchaîner les effets correctement.

Idem pour les cartes en main : on trie dans ce monceau de cartes ce qui s’intègrera notre île. La sélection naturelle, c’est nous. On se plie à des objectifs de scoring : ceux de notre écosystème, certes, mais ceux également d’animaux au centre de la table (et de deux écosystèmes supplémentaires en mode avancé). À ceci viennent s’ajouter des cartes Terrain qui occupent un emplacement sur votre île, mais qui offrent une autre opportunité de marquer les sacro saints points de victoire. C’est beaucoup pour vous ? Pour moi aussi. Pour tout le monde, en fait. Impossible de tout tenir dans Earth. Il faudra sacrifier, passer au crible le bon grain de l’ivraie, le bon grain étant simplement ce qui est plus aisé à combiner, ce qui est plus synergique que le reste. Mais il n’en reste pas moins que l’information vous submerge comme une vague.

Les objectifs (ici en mode expert)

 

 

C’est peut-être à cet instant que j’ai senti un flottement dans mes parties d’Earth. Un peu comme dans Wingspan, le jeu vous donne toutes les billes pour avancer, mais d’un autre côté, Wingspan enferre sa progression dans un tableau qui, plus il est rempli, vous donne de ressources, quoi qu’il arrive. Earth a le bon goût de faire confiance à ses joueurs, et de leur demander de séquencer correctement, de trouver les bons points de bascule : tout effet n’est pas bon pour une situation donnée, et il faudra s’adapter, s’adapter, s’adapter. Les différents Terrains et Flores s’enchaînent et finissent par se ressembler. On est rarement surpris par une carte, car elles viennent simplement triturer les paramètres de rentabilité du moteur. Terraforming Mars propose un paquet de taille similaire (ici, plus de deux cent cinquante cartes), mais les cartes proposent des leviers visibles et très différents les uns des autres : créer de la végétation, industrialiser Mars, rajouter de l’eau, introduire du vivant… Earth, de son côté, n’offre qu’arbres, buissons et champignons. Une essence a beau être singulière, elle se perd dans la forêt des possibles.

Le fait que tout donne des points peu ou prou de la même façon ne fait que renforcer cela : un point par carte dans le compost, un point par cube germe, un point par hauteur d’arbre (sauf canopées). Tout finit par se ressembler un peu, à part les objectifs qui sortent du lot…

 

Jardin (trop) zen

La proposition d’Earth est celle d’un jeu à moteur, un jeu solo multijoueur, il y a un peu plus que ça. Déjà, tous les joueurs jouent en même temps, prennent des décisions en même temps. Peu de temps d’attente, même si, au final, certains tours peuvent prendre plus longtemps que d’autres. Ensuite, une petite course bienvenue vient rythmer la partie : la fin est déclenchée dès qu’une île est remplie de seize cartes, avec un bonus de points à la clé. Et en mode avancé, les objectifs de faune ont des points dégressifs au fur et à mesure qu’ils sont activés. Pas de quoi remplacer une vraie interaction, certes, mais on apprécie tout de même la nervosité que cela suscite. On restera bien entendu tout de même un peu dans son coin, à designer son éden végétal, surveillant, à quelques occasions, le moteur des autres. “Ah, tu as beaucoup de rouge, je vais en faire aussi pour profiter de tes actions” ou “Qui a combien de multicolores ?” sont des questions typiques, mais l’interaction s’arrêtera là.

Au sein des Gizmos, Wingspan et autres Race for the Galaxy, Earth tire correctement son épingle du jeu par sa générosité : on a la place d’actionner plusieurs stratégies, de composer avec plusieurs sous-moteurs qui se combinent ensemble. Notre île “respire”, au gré des actions déclenchées par les divers joueurs, et c’est cette progression lente, organique, qui me paraît la plus naturelle ; si elle ne crée pas de remous, elle est pour autant représentative, parlante, et agréable à vivre.

Point solo : j’ai découvert Earth avec une partie solo. Grand bien m’en a fait, le mode solo est sympa (même si Gaïa, votre adversaire fictive, est une horreur à combattre : elle pique les objectifs et vous force à des choix cruels). La partie durera exactement 24 tours : vous jouez le vôtre et Gaïa, le sien, en retournant une carte (qui pourra activer certaines de vos actions). Elle remplit son tableau de façon simplifiée… et c’est tout, il suffit de battre son score. Je préférerai toujours faire découvrir Earth à des humains, cela dit.

Ton beau sapin n’est pas le seul roi des forêts…

 

Glissement de terrain

Earth s’avère donc plus que satisfaisant, et crée une sensation de liberté contrainte : certes on peut faire ce que l’on veut, mais remplir tous les critères donnés par le jeu paraît impossible. À vous, alors, de construire ce moteur compétitif, cette machine ergonomique qui doit vous donner les moyens de progresser, tout en récupérant les scorings qui vont bien, sacrifiant sans peine ce qui ne rentre pas dans le collimateur des possibles.

Intimidant de prime abord, surtout par son système aux allures vastes et son tas de cartes monumental, Earth se laisse maîtriser avec aise, et procure la satisfaction aux plus jardiniers d’entre les joueurs. On a envie d’expérimenter au sein de la matrice du jeu, et on revient avec plaisir dans le jeu, même si, parfois, les cartes finissent par se ressembler.

Si je n’apprécie que peu les jeux façon “solitaire multijoueur”, Earth me réconcilie quelque peu avec ceux-ci, en me donnant un vaste terrain d’expérimentation, une possibilité de me mettre au vert en tapant le carton.

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6 Commentaires

  1. morlockbob 17/04/2023
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    Bien content de lire quelque chose sur ce jeu. Perso, s’il est bien fait, il n’amène rien. Le côté « je joue tout seul » renforce  l’impression de jeu tableur excel pour comptable. Bien foutu mais quel ennui.

  2. Ihmotep 17/04/2023
    Répondre

    Je n’ai pas aimé ce jeu mais attention, non pas qu’il n’est pas bon mais parce qu’il ne correspond pas à mes gouts pour 2 raisons :
    * on joue beaucoup le nez dans le guidon : pas de rivières de cartes, pas d’interactions à part la course aux objectifs et le choix de l’action (et même là nous sommes très loin de l’importance que ce choix peut avoir comparer à Puerto Rico)
    * la résolution des cartes se fait de haut en bas et de la gauche vers la droite, le placement des cartes est aussi important pour le scoring. Bref si on veut optimiser le placement peut être très casse tête et nuire à la dynamique de la partie
    Pour moi il manque de piquant.
    Cependant les règles sont simples et le système d’actions bien pensées, avec une édition très lisible qui facilite la prise en main.

     

  3. atom 18/04/2023
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    J’ai beaucoup de mal à me faire un avis sur ce jeu, il (mon avis) il fluctue beaucoup en fonction des parties réalisées. il est en effet un peu trop solitaire à mon goût, bien que l’on relève un peu la tête pour les objectifs. Pour l’apprécier il faut aussi composer dans son coin, et ne pas être trop dérangé. J’apprécie beaucoup cet élément de gameplay de cycle avec nos cartes que l’on composte qui peuvent être ensuite dépensées comme une ressource, idem pour les graines ou les canopées. Mais j’apprécie plus pour son game design subtil et intelligent que pour ce que ça apporte vraiment.

    J’ai aussi beaucoup de mal avec la profusion, trop de scoring, sans même s’en rendre compte on finit par en oublier un en privilégiant l’autre. Pour tout prendre en compte il faudrait soit être une IA, soit bien calculer tout, et la pour moi le jeu n’est même plus intéressant, tant il y a de paramètres à intégrer. Profusion de cartes aussi, il peut arriver que l’on en ait plus de 15 à 20 en main, et on finit par s’en désintéresser, en les classant dans notre main, comme “compostable”. Difficile aussi de dire qui va l’emporter, étant donné que l’on garde le nez sur son plateau, je n’ose imaginer si en plus on devait se surveiller. Malgré tout ça reste plaisant si on aime se construire son plateau et son scoring dans son coin. 

  4. Alfa 22/04/2023
    Répondre

    Merci pour cet avis. Pourrais tu donner des exemples de jeux que tu considères comme solitaires multijoueurs stp ?

    merci !

  5. Alfa 23/04/2023
    Répondre

    @Umberling

    « Si je n’apprécie que peu les jeux façon “solitaire multijoueur”, Earth me réconcilie quelque peu avec ceux-ci »

    A quels autres jeux fais tu allusion par exemple stp ?

    merci !

    • Umberling 27/04/2023
      Répondre

      La plupart des jeux de construction de tableau. Sur de petites expériences, ça ne me dérange pas trop d’être dans mon tank, mais sur de plus gros calibres, j’ai envie de jouer avec les autres. Newton, par exemple, m’a vraiment ennuyé au possible. À l’inverse, Carnegie avait un développement de tableau fort mais savait comment faire interagir les joueurs entre eux.

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