Doomtown Reloaded – Gomorrah n’a qu’à bien se tenir.
On a testé pour vous Doomtown Reloaded, sorti cet été. Doomtown Reloaded se situe dans un univers western déjà abordé par l’univers de Deadlands. Pour resituer, c’est ce qu’on appelle dans les jargons anglophiles du Weird West : un Far-West plein de magie et de rituels indiens chamaniques. Entre ça et Colt Express (voyez plutôt notre Pause de midi dédiée à ce jeu), on peut dire que les cow-boys reviennent à la mode ! Comme une traduction serait en cours (rumeur rumeur, quand tu nous tiens), le jeu n’est actuellement disponible qu’en anglais chez AEG. Je conserverai les termes tels quels en donnant une traduction non-officielle entre crochets. Ainsi, vous serez moins perdus si d’aventure vous mettiez les mains sur ce jeu.
Je n’ai pas joué à Deadlands. Je suis donc un total novice en ce qui concerne le jeu. J’ai découvert avec grand plaisir les bons citoyens qui se rangent du côté des Law Dogs, le Sloane Gang et ses hors-la-loi, les forains magiciens du Fourth Ring et les scientifiques fous de la Morgan Cattle Company. L’univers paraît séduisant et brutal, plein d’histoires annexes, riche comme un jeu de rôles (Deadlands est un jeu de rôles, à la base, faut dire). Ces quatre factions sont ce qu’on appelle des outfits [uniformes], et on compose son paquet à partir d’un seul outfit. Concrètement, les dudes [gars] que l’on joue peuvent être spécifiques à un outfit ou neutres. Toutes les autres cartes peuvent être jouées par n’importe qui, sous conditions tout de même. Par exemple, les hucksters [baratineurs] sont les seuls à pouvoir jouer les hexes [malédictions], et se retrouvent principalement dans le Fourth Ring. Les gens de la Morgan Cattle comptent beaucoup de Mad Scientists [savants fous] parmi leurs rangs…
Le home [quartier général] de chaque outfit a un pouvoir différent, qui imprime souvent une stratégie générale, puisqu’il est toujours actif.
L’étui à revolver
Qu’est-ce qui se passe dans cette belle boîte ? C’est bien simple : on est dans un JCE : on sait que la boîte paraîtra un peu vide. Mais le thermoformage surprend par son ergonomie : des rangements permettent de caser deux decks, un pot central est prévu pour les pions, et le reste servira à loger les futures extensions, les saddlebags [fontes]. Deux livrets, un de règle, un de fluff et de stratégie, aident le joueur à prendre ses marques, et deux plateaux de jeu (tout à fait optionnels mais bien pratiques, même si leur ergonomie n’est pas parfaite parfaite) sont fournis avec le jeu de base.
Les cartes sont de fort belle facture, lisibles, avec des illustrations qui donnent bien le ton. On regrettera le manque de lisibilité dû aux très nombreux termes techniques – ça favorise l’immersion, mais c’est un tout petit peu plus dur au début ! « Bon. T’es sur mon deed, là. Je te call out, j’ajoute un draw dans mon posse, je te boot ton dude qui est un stud, je te mets une dead man’s hand dans la figure et tu prends sept casualties. Vas-y, ace-les-tous. En fait, j’ai limite bien fait de perdre le lowball ! »
C’est intimidant, mais on s’y fait vite. Très, très vite. N’ayez pas trop peur.
Les cartes sont divisées en six catégories : les outfits, les jokers (tous identiques), les dudes [gars], les deeds [lieux], les attachments [équipements] et les events [événements]. Chaque carte possède une valeur de jeu de cartes qui sert à pas mal de choses, un peu comme dans Wanted / Bang, on y reviendra bientôt. Bien entendu, un deck ne peut pas se passer de dudes ou de deeds – ceux-ci permettant de gagner la partie, il serait dommage de ne pas en profiter !
Pour gagner, d’ailleurs, il n’y a qu’une condition de victoire : il faut avoir plus de points de contrôle, apportés par les dudes, que l’adversaire n’a de points d’influence, eux apportés par les dudes. Bien entendu, on pourra s’emparer des lieux adverses en se déplaçant dessus et on fera des shootouts [fusillades] pour se débarrasser des adversaires.
As de la gâchette
D’ailleurs, comment se fritte-t-on, dans ce jeu ? C’est bien simple : avec une main de poker. Exit les valeurs attaque/défense à la Magic l’Assemblée ou Hearthstone, et bienvenue à un score global : les bullets [balles] d’un dude représentent sa capacité de combat. Par défaut, on abattra une main de cinq cartes. Les scores de bullets permettent soit de piocher plus de cartes initialement (silver bullets / stud) [balle d’argent / étalon] ou de se défausser de certaines cartes pour en repiocher autant (brass bullets / draw) [balles de bronze / tireur]. Les mains sont hiérarchisée et la différence entre les mains détermine le nombre de casualties [pertes] que subira le perdant. En cas d’égalité, une perte est appliquée à chaque joueur. On doit toujours dépenser le maximum de pertes possible. Une perte signifiera qu’un dude est défaussé et qu’il sera remélangé dans le deck, alors que l’application de deux pertes sur le même dude va « ace » [zigouiller] ce dude. Il ne sera pas sera donc retiré de la partie…
Le système, plutôt original, offre des résolutions inattendues. Les mains peuvent tricher et des factions comme les Law Dogs puniront sévèrement ces incartades. Même si les bullets d’un joueur sont plus hautes, le stress reste entier : un coup de veine ou de déveine peut annihiler une stratégie tout entière.
Les as sont des cartes plutôt pourries et cheap, mais constitueront souvent de bons départ, de bonnes bases. Quand on monte vers les reines et les rois, on a des effets plus compétitifs. Par contre, va falloir débourser du ghost rock [de la caillasse] par tétrachiées !
Tumbleweed
Qu’est-ce qu’on fait dans un tour de Doomtown Reloaded ? Le jeu se découpe en plusieurs phases :
- Lowball : on joue au poker en misant 1 unité de pognon chacun, et le joueur avec la plus petite main remporte la mise, et l’initiative pendant le tour.
- Upkeep : on reçoit les sous provenant du home et des deeds, et on paie les dudes qui doivent l’être. Si c’est impossible, on défausse des dudes.
- Noon : la phase principale. On peut défier les dudes des autres, se déplacer, jouer des cartes (deeds, events, dudes, attachments) et activer des pouvoirs. Cette phase est particulièrement dynamique puisque chaque joueur joue une action à tour de rôle.
- Sundown : on vérifie si un joueur a gagné, puis on nettoie l’aire de jeu de ses effets temporaires.
Et puis on recommence.
Les dudes de départ du deck Law Dogs de base. Autant dire que ça ne fait pas rigoler.
Y’a ceux qui creusent…
Le deck a donc plusieurs paramètres : son économie globale, sa stratégie et ses valeurs de poker. Certains decks peuvent sembler faiblards de prime abord, et quand ils vous auront casé trois fois la meilleure main de poker du jeu dans la tronche, on fera dos rond et on acceptera la punition du maître. Grosso modo, dans la boîte de base, on observe quatre stratégies globales – une par faction, wouhou, quel équilibre.
- Les Law Dogs punissent les tricheurs et chassent les primes (qu’ils colleront eux-mêmes sur les ennemis). Ils sont juges et exécuteurs de ce Far-West qui ne pardonne pas. Pour eux, le mot vendetta est sacré…
- Le Sloane Gang se déplace vite, braque des banques et terrorise le town square [la grand-place]. Leurs valeurs de poker sont aléatoires, mais ils trichent sans vergogne.
- Le freak show, aussi appelé Fourth Ring, jouera sur des malédictions pour des poussées de versatilité ou d’agression. Leur arsenal fait peur car il aura tendance à ace les dudes adverses à coup d’abominations coûteuses mais bien violentes. Opportunistes jusqu’au bout.
- La Morgan Cattle Company a perdu sa gloire mais mène des expérimentations mécaniques. Occupés à inventer des innovations biotechnologiques pour maximiser le rendement des ranches et des pétoires high-tech, ces les ingénieurs de l’entreprise ne sont pas très forts. Il leur faudra profiter de leurs chevaux et de leurs ranches hors de la ville pour gagner le temps nécessaire au déploiement de leur plan.
La porte du saloon grince
Question flavor, tout est là. Entre la tenancière du saloon qui devient ultra balaise quand on la cale derrière un comptoir d’étain et la maîtresse d’école qui cache un Derringer dans ses jarretelles la ville de Gomorrah est un véritable vivier de personnages que l’on savoure. La narration du schmilblick est assez puissante pour nous laisser nous créer des histoires rigolotes, et on s’imagine tout à fait taper dans le lard des bandits, à gamberger au saloon avec les dudes.
Mais qu’est-ce qui ne marche pas dans Doomtown ? Eh bien, je vais vous dire, il faut chercher. Car le jeu est satanément bien huilé. Malgré des fenêtres de résolution plutôt complexes, il est aisé de s’en sortir et on n’a pas tellement besoin de recourir aux règles ou à une FAQ. À mon avis, ce qui pèche, c’est tout simplement la violence intrinsèque du jeu. On peut perdre bêtement alors qu’on est sur la pente ascendante depuis le début de partie, et qu’on est à un tour de la victoire. Un coup de bol peut arriver et renverser toute une stratégie. Ça peut éventuellement mener à de la frustration, mais je trouve ça plutôt bien. Le jeu est explosif, et se veut sans merci.
A noter, on peut jouer à trois ou quatre sans aucun problème : les conditions de victoire restent les mêmes, et c’est fort agréable de ne pas avoir à attendre que la communauté crée un mode de jeu alternatif pour les parties à plus de deux. Plus jamais de standby dans les tournois ou dans
les parties amicales !
Shoot ‘em, shoot ’em all
Après quelques parties, on comprend le gameplay tentaculaire de Doomtown Reloaded. Et ça donne envie d’en savoir plus. D’en avoir plus. Entre les promesses de jeu, avec les indiens chamanes, les religieux qui font des miracles et les possibles qui ne sont pas encore tous exploités, on a très envie de s’approprier le tout. Mais j’avoue que le deckbuilding de DTR m’intimide. Et puis les decks de base, une fois n’est pas coutume, sont très bons. Bien qu’ils manquent de constance, je les préfère largement aux starter decks d’autres jeux : ils donnent un avant-goût assez construit de ce que le jeu peut être, sans pour autant avoir ce côté brouillon que peut accuser une boîte de base sur d’autres jeux. Je salue cette initiative !
Pour résumer, Doomtown, c’est très, très bien. Un peu compliqué dans la terminologie, mais assez logique, assez accessible une fois cette barrière passée.
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