Discussion au naturel avec Gemma Newton
Amoureuse de la nature depuis son plus jeune âge, la britannique Gemma Newton a imaginé et éco-conçu, via sa société Moonstone Games, son tout premier titre financé sur Kickstarter en mai dernier, Plotalot, un jeu de cartes familial compétitif où l’on incarne des cultivateurs acharnés travaillant la terre.
Elle rejoint ici Neil de Diagonal Move pour discuter jeux éco-conçus inspirés du monde naturel et partage sur cette première expérience de création ludique.
DM : Salut Gemma, merci de nous rejoindre. Peux-tu nous parler un peu de toi ?
GN : Salut Neil ! Merci de me recevoir. Je suis Gemma, la fondatrice de Moonstone Games et l’autrice d’un petit jeu appelé Plotalot.
Je vis dans un village pittoresque du Berkshire au Royaume-Uni, c’est assez idyllique, avec beaucoup de promenades et d’espaces verts que j’adore, avec mon mari et mon chat. Outre la création de jeux, je suis rédactrice indépendante et j’écris principalement pour les industries technologiques, alimentaires et nutritionnelles.
J’ai grandi à cinq minutes de ma maison actuelle dans une ferme, où mes parents travaillaient avec des chevaux. J’ai quitté cela pour les lumières de Londres pendant un certain temps afin d’étudier et commencer ma carrière dans le marketing, mais je suis inévitablement revenue à mes racines rurales pour vivre et travailler.
Grandir dans un tel environnement agricole a alimenté mon amour de la nature et du fait d’être dans la nature, ce qui signifie que je passe maintenant beaucoup de temps à marcher, à grimper et à jardiner. Le monde naturel est ma plus grande source d’inspiration pour mes idées et cela se voit dans le premier jeu que j’ai publié.
DM : Ton premier jeu publié, Plotalot, a pour thème l’horticulture. Que penses-tu qui rende ce thème, ou ceux qui concernent la nature en général, attrayant pour les joueurs ?
GN : Je pense que nous sommes tous attirés par le monde naturel – après tout, dans le grand ordre des choses, nous ne vivons pas dans des espaces urbains depuis si longtemps. C’est dans notre ADN de vouloir expérimenter et même, dans une certaine mesure, contrôler la nature sauvage, c’est ce qui rend les mécanismes et le gameplay fascinants quand il s’agit de créer un nouveau jeu. La nature est également belle – le plus bel endroit où vous pouvez être à mon avis. Depuis le début de la civilisation, elle a inspiré l’art, la littérature et la science, nous essayons de l’imiter, de la capturer et maintenant de la protéger – il est donc logique que les auteurs et les joueurs se sentent à l’aise pour travailler sur ce vaste thème.
DM : Malgré son apparence « gentille », Plotalot contient un fort aspect d’interaction directe. Qu’est-ce qui a inspiré cette combinaison de thème et de mécanique ?
GN : Plotalot est né du désir de concevoir un jeu auquel ma famille pourrait jouer. J’avais commencé à me lancer dans le jeu moi-même, mais ma famille n’a pas eu le déclic. J’étais désespérée de trouver autre chose que le Monopoly pour jouer avec eux et donc mon cerveau a sorti ce jeu au thème végétal. Au moment de développer un thème, je venais de planter mon premier potager et ma mère était une passionnée de jardinage, je savais donc que c’était quelque chose qu’elle aimerait. En regardant mes légumes échouer et réussir, je me suis inspirée des parasites de la vie réelle auxquels je faisais face, comme les pucerons et les chenilles. J’ai appris les avantages d’une serre type Polytunnel et d’un bon engrais et j’ai intégré ces leçons dans la mécanique. La lutte sur une si petite parcelle a vraiment influencé le principal mécanisme de gestion de l’espace.
Je n’avais pas l’intention que Plotalot soit avec une interaction si directe, mais lorsque j’ai commencé à tester différentes actions, ce sont les cartes plus interactives qui ont rendu le jeu entre les joueurs si amusant et spécial.
Au fil des ans, j’ai soigneusement équilibré les cartes de sorte que si vous pouvez être attaqué et prendre un coup, vous avez aussi de nombreuses possibilités pour retourner le jeu en votre faveur rapidement.
DM : Plotalot reste un jeu familial. Était-ce un choix de conception intentionnel et comment l’as-tu réalisé compte tenu de cet aspect très interactif ?
GN : Je voulais un jeu auquel un groupe d’adultes pourrait jouer, mais auquel les enfants pourraient aussi participer. Je l’ai testé avec des enfants de huit ans seulement et même s’ils n’ont pas encore compris les tactiques de base, ils ont adoré le fait qu’ils de pouvoir jouer des actions de type « prends ça ! » sur leurs parents… Les enfants ont tendance à jouer le jeu plus durement que les adultes je trouve – ils choisiront de faire des ravages en marquant des points n’importe quand.
De plus, le thème se prête aussi aux familles et je me suis amusée à créer des illustrations adaptées à la famille qui plaisent à tous les âges. J’ai voulu créer un jeu qui, sans être très éducatif, pourrait inciter les familles à s’essayer à la culture, sachant par leurs sessions de jeu que les pucerons sont mauvais et les abeilles bonnes, par exemple.
DM : Plotalot présente un art vif et coloré. Quelle est l’importance de l’illustration pour l’expérience globale des jeux de société ?
GN : Pour moi, c’est très important. J’aime les bonnes illustrations de jeux de société, elles améliorent l’expérience de jeu et sont une véritable preuve de la raison pour laquelle les jeux de société modernes ont rendu ce passe-temps si populaire. Quel que soit le style, je crois que l’illustration doit être une œuvre d’art qui aide à raconter l’histoire du jeu et à immerger les joueurs dans l’expérience.
Dans Plotalot, j’ai eu la chance de trouver une illustratrice incroyable qui a défini mes héros et mes méchants horticoles d’une manière que je n’aurais jamais pu imaginer. Je suis passée par plusieurs artistes avant notre rencontre – certains si mauvais que le jeu a bien failli ne jamais voir le jour – mais Miriam Hull l’a porté à un autre niveau. Le style qu’elle a adopté peut être apprécié par les adultes, mais il plaît aussi aux enfants, ce qui en fait une expérience plus universelle.
DM : Tu as décidé de publier toi-même Plotalot via ton entreprise, Moonstone Games. Qu’est-ce qui a motivé cette décision plutôt que de rechercher un éditeur établi et comment s’est déroulée l’expérience jusqu’à présent ?
GN : J’ai proposé Plotalot à quelques éditeurs, mais ça n’a rien donné. À l’époque, le jeu n’en était qu’à ses débuts et les rejets ont été des leçons importantes sur la façon dont les jeux doivent être développés pour atteindre leur cible. J’hésitais naturellement à faire cavalier seul, après tout, c’est beaucoup pour une personne qui a déjà un travail à plein temps – mais je voulais me prouver à moi-même et à ma famille que cette idée pouvait être quelque chose de plus. Une grande partie de moi, la partie artistique et éco-consciente, y voyait aussi une occasion de m’exprimer dans des domaines qui m’attiraient tels que la durabilité et le design.
J’ai donc fait cavalier seul et j’ai commencé à tester et à affiner le concept pour qu’il devienne ce qu’il est aujourd’hui. Le fait de l’assumer moi-même signifiait en assumer les coûts, mais cela permettait aussi une liberté ultime. Grâce à cela, j’ai pu contrôler l’apparence et les sensations de jeu… ainsi que le plastique à usage unique utilisé dans le jeu, ce qui était important pour moi.
À l’heure actuelle, je dirais que ce fut une expérience d’apprentissage intense, qui m’a mise au défi tant sur le plan créatif que commercial. Cela me donne certainement plus de confiance dans ce que je peux faire maintenant et à l’avenir.
DM : La campagne Kickstarter pour Plotalot a été couronnée de succès et tu le lances maintenant dans la vente en boutique. Peux-tu nous décrire les différences entre les deux points de vente ? Chacun présente-t-il des défis particuliers ?
GN : Kickstarter est une perspective effrayante pour une débutante comme moi. Avant, c’était un espace où les petits créateurs pouvaient mettre leurs idées en avant, qu’elles soient totalement formées ou juste un concept. Aujourd’hui, tout est très soigné, avec d’énormes dépenses en graphisme, vidéo et photographie – il est difficile de se démarquer avec un petit budget.
Malgré cela, si vous produisez un produit honnête et vraiment unique, c’est une plateforme fantastique pour faire connaître votre idée au plus grand nombre de personnes possible dans le monde entier – une communauté de soutiens aux nouvelles idées qui est fantastique.
Obtenir l’adhésion des détaillants a été un défi. Je n’ai pas encore fait mes preuves en tant que créatrice et je dois faire face à de grands noms et à des budgets importants dans l’industrie. J’ai trouvé difficile de calculer les marges pour que tout le monde puisse faire de bonnes affaires, mais c’est la nature même de la vente de tout produit, pas seulement d’un jeu. En ce qui concerne Plotalot et l’adhésion des détaillants, j’ai réussi à trouver un prix intéressant. De plus, les joueurs sont charmés par l’attrait visuel du jeu, ce qui aide vraiment les vendeurs à se rallier à lui, car ils savent que les gens vont le prendre, ou cliquer sur la boîte. Derrière l’illustration se cache un joli petit jeu qui est facile à expliquer et à vendre, mais la première impression est importante pour susciter l’intérêt initial.
DM : Moonstone vise à publier des jeux de société utilisant des méthodes de fabrication écologiques. Comment y parviens-tu et est-ce que cela apporte son propre lot de défis ?
GN : J’ai toujours été passionnée par la création de choses qui n’ont pas d’impact sur l’environnement. En grandissant dans une ferme, j’ai appris la valeur de la terre et de la nature dès mon plus jeune âge et cela m’a accompagné tout au long de ma vie. Mon projet initial était de produire Plotalot à 100 % sans plastique, mais lorsque je me suis lancée dans la fabrication de masse, cela n’a pas fonctionné comme prévu. J’ai été freinée dans ma quête d’approvisionnement en stratifié sans plastique, qui, bien qu’existant, n’est tout simplement pas assez durable pour perdurer aussi longtemps que les jeux de société. Il se biodégrade au bout de quelques années seulement, ce qui est une nouvelle fantastique pour certains produits mais signifie que mon beau jeu, conçu pour jouer encore et encore, se détériorerait et ne ferait qu’aggraver les problèmes de déchets auxquels nous sommes confrontés.
En fin de compte, je me suis contentée de ne pas utiliser de plastique à usage unique. Ainsi, bien que les cartes et la boîte soient plastifiées pour une durabilité à long terme, aucun composant ou matériau d’expédition n’est fabriqué à partir de plastique. Cela se traduit par un produit plus coûteux à produire et des marges bénéficiaires plus faibles, mais c’est quelque chose qui me semble extrêmement important.
Cela a également conduit à des spécifications plus strictes qui, en fin de compte, m’ont rendu plus créative quant à la manière de contourner l’utilisation du plastique.
Pour que le jeu ait encore moins d’impact sur la planète, j’ai également travaillé dur pour trouver des fournisseurs et des fabricants britanniques, plutôt que de m’en remettre à des entreprises plus importantes en Chine ou en Europe. Je veux soutenir les entreprises britanniques dans la mesure du possible et limiter les kilomètres parcourus par mes produits avant qu’ils n’arrivent sur les tables des gens.
Pour couronner le tout, Moonstone Games travaille également avec Ecologi, qui compense les activités commerciales en soutenant des projets de reforestation dans le monde entier. Comme vous pouvez le constater, être éco-conscient est assez important pour moi.
DM : Bien que tu sois encore relativement nouvelle dans l’industrie, y a-t-il quelque chose que tu aurais aimé savoir au début ?
GN : Il y a tellement de choses que j’aurais aimé savoir à l’époque que je sais maintenant et je suis sûre que cela va continuer – on apprend constamment. L’une des choses essentielles que j’aurais voulu faire plus tôt aurait été d’intégrer un pledge manager dans mon planning Kickstarter. Juste avant de soumettre la campagne, j’ai décidé d’opter pour Backerkit, mais j’aurais dû le faire plus tôt car cela m’aurait aidé à gérer plus efficacement mes frais d’expédition. C’était une énorme courbe d’apprentissage pour moi et la prochaine fois, je les intégrerai beaucoup plus tôt.
Je pense que l’autre chose que j’aurais aimée savoir dès le départ, c’est à quel point la communauté des jeux de société peut être solidaire et généreuse. En tant que créatrice, je suis obsédée par les détails, mais la communauté des jeux de société adore les jeux, quels que soient leur forme, leur taille ou leur thème, et soutient avidement les nouvelles idées. Que vous soyez un grand éditeur ou une femme seule, tous ceux qui sortent des jeux en ce moment bénéficient d’un énorme soutien.
DM : Quelles sont les prochaines étapes pour Moonstone Games ?
GN : J’ai hâte de voir Plotalot joué dans le monde entier par mes backers et mes acheteurs. À partir de là, j’ai des plans pour développer une extension pour le jeu s’il y a une demande, qui ajoutera de nouvelles mécaniques et de nouveaux composants pour étendre l’expérience de jeu.
Je veux également développer d’autres jeux au-delà de Plotalot et j’ai déjà quelques concepts sous forme de prototype pour les tester.
Partout où je vais, j’observe des situations réelles et je les transforme en mécanismes de jeu que je n’avais jamais vus auparavant, cela devient une véritable obsession. Une chose est sûre, si mon style est très axé sur la nature, les animaux et l’agriculture, car c’est là que je suis le plus inspirée, alors vous pouvez vous attendre à d’autres jeux de ce genre !
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Neil est derrière le site ludique anglophone Diagonal Move (DM) et sa chaine Youtube, il écrit sur les jeux depuis 2015 et réalise régulièrement des interviews d’auteurs et d’autrices de jeux que nous souhaitons tout simplement traduire et relayer pour vous. Merci à Neil pour son enthousiasme et son concours !
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Max Riock 04/10/2020
Merci pour cette interview !
Va t’il être distribué en France ?
Merci
Max