D-Day Dice 2e édition – On se retrouve sur la plage !
D-Day Dice est à l’origine un jeu signé Emmanuel Aquin initialement paru chez Valley Games en 2012 et issu du financement participatif. Si cette première édition en VO n’a pas brillé par son esthétisme, le jeu vient d’être réédité et localisé en Français par Nuts! Publishing.
Le thème de la seconde guerre mondiale, cher à cet éditeur, est mis à l’œuvre. Il se focalise sur un épisode qui n’a pas manqué de marquer des générations : le débarquement des Alliés sur les plages de Normandie. Si j’ai tendance à partager cette fascination pour cette tranche ô combien délicate de l’Histoire, la mentionner me fera toujours remonter à l’esprit la fabuleuse bande originale de John Williams, pour le chef d’œuvre bien connu de Steven Spielberg. Ne soyez donc pas surpris si certains titres de cet article reprennent des répliques du film !
Pour en revenir à notre jeu, ici, vous ne dégommerez personne. Au contraire, dans ce jeu solitaire ou coopératif, vous serez la cible et vous aimerez ça ! Comme son nom l’indique, D-Day Dice est un jeu de dés. Oui, mais c’est surtout un jeu de parcours, où vous allez devoir maintenir votre unité alliée (USA, Angleterre, Australie ou France) en vie et la mener vers le bunker situé à l’opposé du plateau de jeu. Si vous y parvenez, vous aurez libéré la zone, permettant à l’opération Overlord de poursuivre son itinéraire vers la victoire des Alliés.
Je veux des actions nettes !
Pour commencer, la lecture des règles ne pose pas de problème particulier. Nous sommes dans un jeu amateur et non dans un jeu de stratégie exigeant. Le jeu de base comporte une douzaine de scénarios, correspondant chacun à un plateau au format A4, accompagné de quelques paragraphes d’instructions sur un livret dédié.
A première vue, si le design est quelque peu austère, il est bien lisible et n’a rien de désagréable. Chaque plateau représente un champ de bataille divisé en secteurs. Chaque secteur possède des caractéristiques décrites par quelques icones. L’objectif de chaque mission sera d’investir le bunker situé à l’opposé du plateau, sans qu’aucune unité (comprenez « aucun joueur ») ne soit entièrement décimée. Il faudra donc prendre le temps d’observer le plateau et d’imaginer par quelques secteurs vous allez tracer votre parcours pour atteindre l’objectif. Bien sûr, il n’y aura pas qu’une solution. Chaque option aura son lot de périls et de bénéfices.
Côté mécanique de jeu, le principe de D-Day Dice s’inspire du Yahtzee. Chaque tour de jeu, vous lancerez vos 6 dés de 3 couleurs différentes (bleu, blanc et rouge) et tenterez d’obtenir les meilleures combinaisons possibles. Chaque dé a les mêmes faces, qui sont chacune différentes et qui correspondent en majorité à une ressource du jeu. Comme au Yahtzee, vous aurez 3 coups possibles. Au premier coup seulement, vous devrez obligatoirement bloquer deux dés, ensuite vous relancerez les dés de votre choix.
La comparaison avec le Yahtzee s’arrête là. À part la grande suite (chaque dé présentant une face différente), les combinaisons possibles sont d’un autre registre. Ici, on va tenter d’amasser un maximum de ressources prioritaires suivant la situation de jeu. Vous voulez plus de soldats ? tentez d’obtenir des faces « soldat ». Besoin de matériel ou de spécialiste ? tentez d’obtenir les faces en question, etc. Seulement si vous vous limitez à ce principe, vous n’irez pas bien loin !
Le twist du lancer de dés, c’est le « Bonus Bleu Blanc Rouge » (ou « Bonus BRR » comme disaient les vétérans de la 101e division aéroportée). Si vous obtenez trois dés aux faces identiques mais chacun d’une couleur différente (trois étoiles bleue, blanche et rouge par exemple), vous bénéficiez d’un bonus en plus de la ressource fournie par les dés. Chaque nation aura des effets de Bonus BBR sensiblement différents. Sans l’apport important de ces bonus, impossible d’atteindre la victoire. Ainsi on va parfois renoncer à une ressource nécessaire pour relancer le dé et tenter d’obtenir la couleur manquante afin de compléter un bonus. Plus que jamais la devise de ce jeu sera donc « Qui ne tente rien n’a rien ».
Le point de ralliement ? N’importe où sauf ici !
Chaque joueur joue simultanément les phases de jeu. C’est un très bon point qui apporte du dynamisme. La phase de lancer de dés, leur manipulation, la petite réflexion coopérative autour du choix des dés à conserver ou à relancer constituent le cœur du jeu et apportent des moments plaisants. Pas de prise de tête, pas de lourdeur inutile, juste un peu de bon sens et d’intuition : c’est toute la recette qu’il fallait apporter pour faire que le jeu est dans l’ensemble agréable.
Le dynamisme est présent également tout le long de la partie. Après quelques minutes de démarrage, la tension devient permanente. Au départ, on va rester quelques tours de jeu sur le même secteur pour constituer ses réserves de soldats, spécialistes et objets. Ensuite, c’est le rush ! Il sera impossible de se trouver un coin confortable dès lors que l’on aura commencé à avancer au-delà du tiers du plateau. Il faudra faire sa prière puis courir entre les balles des mitrailleuses MG-42. Clairement, il apparaît effectivement que nous ne sommes pas venus sur cette plage pour faire bronzette et le jeu nous le fait bien ressentir.
En effet, sur chaque secteur est inscrit un nombre sur un bouclier. Cette valeur est centrale : elle définit le nombre de soldats que vous perdrez systématiquement chaque tour ! Il faudra donc tenter de recruter de nouveaux soldats en permanence. Ce sera même là votre principale préoccupation. On en vient à la question : « oui mais comment je fais pour être sûr(e) de trouver des soldats, moi ? » Réponse à la fin du chapitre suivant.
Johnson je te l’ai déjà dit, les dés c’est comme le débarquement, ce n’est pas une science exacte !
Constatation intéressante : le hasard est présent mais il ne dessert pas le jeu. Personnellement (j’aime bien raconter ma vie au cas où vous ne l’auriez remarqué), je ne suis pas fan des jeux impliquant les dés comme système déterminant un succès ou un échec. Après 20 ans de jeux de rôles et de jeux de plateaux « à l’ancienne », j’en suis revenu définitivement. Un jet de dés avec 80% de chances de succès qui se solde régulièrement en échec sur 5 ou 6 lancers consécutifs et inversement, ce n’est plus à faire en 2021. Tout était donc en place et savamment calculé pour que je n’apprécie pas D-Day Dice ! Or, si l’on est effectivement dans un jeu de dés dans sa nature la plus classique, mon ressenti par rapport à tout cela a été plutôt bon. Pourquoi ?
Premièrement, comme évoqué plus haut, les cartes Objet et Spécialistes offrent des recours pour contrôler nos jets de dés. Le caporal (qui pour moi est la meilleure unité spécialiste au passage) vous permettra de relancer un dé une fois supplémentaire. Le capitaine changera la couleur d’un de vos dés. Le lieutenant (en solo) proposera une réserve de 6 dés dont le résultat est connu à l’avance et dans laquelle vous pourrez piocher pour échanger vos dés. De même, quelques cartes Objet permettent d’ajouter 1 face de dé à votre résultat, mais ce n’est pas là leur principale utilité.
Deuxièmement et avant tout, eh bien c’est le champ de bataille ! En plein débarquement sur les plages, dans la ligne de mire des mitrailleuses ennemies, impossible de dresser de plan sur la comète. Il faut estimer les risques, prioriser ce qui est à prioriser, et surtout ne pas trainer une fois en mouvement ! Avec un tel thème, un jeu déterministe où l’on calcule ses tours à l’avance, où l’on sécurise ses coups, aurait totalement raté son créneau.
On peut donc le dire, la mécanique plutôt insolite portée autour de dés sert bien la thématique. On comprend qu’en arrivant dans un secteur, on puisse trouver et recruter des soldats ayant perdu leur unité, voire des spécialistes, ou encore du matériel laissé dans le sable, ou encore se redonner du courage, ou bien se prendre une gamelle dans un trou ! On accepte donc le sort des dés. Croyez-moi, me faire accepter cela est en soi une réussite !
Mais soyons francs, cela reste un jeu de dés. Vous aurez besoin avant tout de soldats pour survivre aux pertes infligées par les secteurs, leurs mines et leurs mitrailleuses. Le principal moyen d’en recruter est d’obtenir des faces « soldat » sur vos dés (1 chance sur 3 par dé). Par conséquent, lorsque le sort décide que vous n’en obtiendrai pas, ce sera vite plié : vous n’allez pas dépasser quelques secteurs avant le Game Over. Inversement, lorsque l’abondance coule à flot, vous atteindrez le bunker opposé les doigts dans le nez. C’est pour moi la principale limite du jeu ; de tout jeu dont le succès est déterminé par des dés, à vrai dire ! L’avantage ici est que les parties sont courtes : de 30 à 45 minutes. Si la chance n’est vraiment pas de votre côté, vous n’aurez pas perdu de longues heures de jeu à cause de quelques jets de dés. Si vous êtes par contre totalement allergique à ce concept, c’est un No Way pour vous, passez votre chemin.
Ce n’est rien capitaine, j’ai juste le souffle un peu coupé…
Si dans l’ensemble le jeu m’a conquis, quelques égratignures légères sont à regretter. J’expose ici ma petite complainte :
- Disons-le tout de suite, les fixations des roulettes de comptage sont une mini catastrophe, ni plus ni moins. Elles sont lâches au point que les roulettes ne tiennent pas en place et leur gestion est compliquée. Multipliez par 4 ce problème pour chaque fiche de ressource, et vous vous arrachez les cheveux. Il est possible de se procurer dans le commerce des pignons dignes de ce nom et de les remplacer, mais on en attendait plus de l’édition. En effet, la gestion des ressources est centrale et s’effectue en permanence.
- Les Bonus BBR des différentes nations sont assez similaires. Chacune a sa fiche résumée, très bien faite au passage. Il n’est pas intuitif de cerner les atouts et faiblesses de chacune tant les effets des Bonus BBR sont proches, à quelques points près ici et là. On distingue par exemple que les USA sont un peu moins efficaces dans le recrutement de soldats mais qu’ils gagneront plus facilement des spécialistes, le tout à 1 point près. On aurait peut-être apprécié un peu plus d’asymétrie. Ce n’est pas non plus un frein pour le jeu, je ferme donc la parenthèse.
- La variété d’objets spéciaux et de véhicules est peu exploitée si l’on joue à un ou deux joueurs, ce qui par ailleurs me semble être a priori la configuration idéale de jeu. On choisira seulement 1 ou 2 cartes Objets Spéciaux en début de partie, qui rejoindront l’offre générale. Les véhicules ne seront obtenus qu’en gagnant certaines médailles, c’est-à-dire une fois toutes les 10 parties environ, où aléatoirement sur un secteur (là aussi compter toutes les 10 ou 20 parties environ).
Donc cette part du matériel restera, a priori encore une fois, la plupart du temps dans la boîte, à 1 ou 2 joueurs. Il est tout à fait justifié de vouloir réserver une partie du matériel pour les occasions exceptionnelles. Mais là, sur les 15 ou 20 parties jouées en solo ou à deux, je n’ai pu tester qu’environ 12 à 14 cartes Objets et Véhicule sur les 34 proposées, tournant quasiment toujours sur les mêmes. C’est un peu dommage, je voulais essayer ma Jeep moi !
Chacun sa pomme Bobby !
L’interaction entre les joueurs et leurs unités est peu présente, mais elle est suffisante. Quelques effets de dés ou de cartes sont prévus pour aider les unités alliées. Par exemple, vous pourrez désactiver la défense de votre secteur durant 1 tour, la désactivant aussi pour les autres joueurs, ou vous pourrez transférer quelques soldats vers une unité alliée n’importe où sur la carte. L’exemple le plus emblématique est le lieutenant, qui en multijoueur permet d’échanger un dé entre deux unités. À part quelques autres exemples, c’est à peu près tout. En coopération, les joueurs pourraient même bien s’en sortir en jouant de manière isolée, dès lors qu’ils survivent tous à l’invasion du bunker ! Cela reste néanmoins à prouver. Personnellement, je n’ai pas ressenti de gêne par rapport à cela.
Si le jeu ne repose pas fondamentalement sur l’interaction entre les joueurs, il gagne corollairement en intérêt pour le jeu solitaire. C’est logique : en solo, vous n’aurez pas l’impression qu’il manque un coéquipier pour créer de bons combos et synergies. Ces derniers se passent en majorité au sein même de votre unité, entre vos cartes d’objets, vos cartes de spécialistes et vos dés. Ils sont suffisamment variés pour créer un réel plaisir de jouer en solo et exploiter le jeu à 100 %.
Il n’y a rien d’autre à faire ici que mourir !
Enfin, autre caractère emblématique du jeu : la difficulté est corsée ! Le jeu de base propose une douzaine de scénarios de difficulté croissante, ce qui promet de nombreuses parties.
Si les premiers niveaux sont accessibles, ils ne seront pas de tout repos, même pour des joueurs confirmés. Au-delà du 5e scénario, on entre dans le registre du jeu hardcore. La plupart des joueurs normalement constitués s’arrêteront là, seuls les plus chevronnés insisteront. Il faudra faire un sans faute sur les sélections de dés, mais ce ne sera pas tout, la chance devra aussi être de votre côté. Sans cela, c’est kaput ! Je me suis donné comme objectif d’accomplir tous les scénarios. Je n’ai pas dépassé le 8e, mais je n’ai pas dit mon dernier mot.
En résumé
Avec une présence de l’aléatoire marquée mais agrémentée de quelques mécaniques de contrôle, D-Day Dice sera un jeu agréable et divertissant, pour peu que l’on accroche au thème du débarquement et que l’on apprécie les jeux de dés. En revanche, il ne convaincra sans doute pas les joueuses et joueurs insensibles à l’un de ces deux aspects socles du jeu.
N’étant pas un jeu basé prioritairement sur l’interaction, D-Day Dice se jouera aussi bien en multijoueur, grâce à ses tours simultanés, qu’en solitaire, grâce aux effets combinés de vos spécialistes et objets. Avec ses parties courtes, il se jouera avec légèreté et l’on enchaînera volontiers plusieurs parties.
Deux extensions (« Overlord » et « Route vers l’Enfer ») sont déjà parues et déjà en rupture. D’autres devraient voir le jour, leur place étant déjà réservée dans le thermoformage de la boîte. Elles sont consultables sur le site éditeur.
À l’heure où j’écris cet article, je ne suis pas arrivé au bout du marathon proposé par les 12 scénarios de D-Day Dice. Mais je peux néanmoins vous dire qu’il s’agit d’une réussite et que les quelques défaites n’ont pas entamé mon envie de retenter l’expérience, pour une petite demi-heure de pression et de challenge !
P.S. : merci à Mathieu pour ses pignons 2.0 qui ont contribué à améliorer mon expérience de jeu !
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Flemeth 30/03/2021
Chouette article. J’adore ce jeu, il est incroyablement vivant (malgré le thème) et tendu. Enfin un vrai jeu de dés au thème fort qui n’est pas un donjon crawler ! Peux tu stp donner la référence des pignons ? Merci
Groule 30/03/2021
Salut Flemeth et merci ! Je n’ai pas la référence car c’est Mathieu qui s’en est occupé. Je fais passer le message à notre spécialiste pignons et nous revenons vers toi 😉
Umberling 30/03/2021
Alors pour tout te dire, j’avais sous la main des pignons « échantillon » d’un imprimeur de jeu chinois… j’ai donc utilisé ce que j’avais ! Donc pas de référence, désolé 🙂
Flemeth 30/03/2021
C’est pas grave, merci d’avoir répondu 🙂
Raymond Nevada 31/03/2021
Pour information, toutes les extensions qui ne sont plus disponibles ne le seront jamais en VF. Ce KS a été un vrai calvaire pour Nuts Publishing et certaines étaient déjà rupture avant même la sortie boutique du jeu.
Groule 01/04/2021
Merci Raymond pour l’info. Petite citation officielle de Nuts! pour l’accompagner :
« Nous avons imprimé toutes les extensions faites en langue anglaise. Par contre, beaucoup sont indisponibles à ce jour et ne seront pas réimprimées. La liste est visible sur notre site »