D.A.D. : Devine qui vient Dealer ce soir ?
Le rêve américain
– Dis papa, il viennent tes copains ce soir?
– Oui ma chérie, bien sûr, c’est jeudi !
– Et à quoi vous allez jouer ce soir ?
– On va jouer à DEAL: American Dream.
– Et c’est un jeu où on récupère des moutons et où on plante des légumes ?
– Euh… non, pas vraim…
– Alors c’est un jeu où vous allez deviner les belles cartes des autres et faire avancer les lapins ?
– Non plus…
– Alors peut-être un jeu où vous jouez tous ensemble pour trouver des médicaments et guérir les mala…
– Non non ma poupette. En fait, on joue un gang mafieux qui va produire de la drogue en Amérique du Sud pour la revendre aux enfants des pays riches, et en même temps on va éliminer tous les autres mafieux qui se mettront sur notre chemin.
– Ah ?
Et oui, l’univers ludique nous ramène à la froide et dure réalité du monde où nous vivons. Que de polémiques, que de polémiques ! L’équité, la place de la femme, l’eco-responsabili-auto-gestion-morale du monde ludique nous revient en pleine face, et devant DEAL, l’éternel débat du thème refait immanquablement surface. Mais à quoi bon, hein ? Peut-on nous demander de jouer un cartel, désespérément violent et masculin ?
Alors en bref : oui, on peut. Et Borderline saute à pieds joints dans la mare en nous proposant ce jeu sans aucune moralité ni adoucissement graphique.
Le thème : drogue, fric, meurtres.
L’habillage : blanc comme la came, rouge comme le sang, noir comme la mort.
Le pitch : L’Amérique, la vraie, la rance, celle de Scorcese.
Le pitch
L’Amérique du sud produit de la drogue, celle du nord la consomme. Entre les deux : vous, moi, les joueurs quoi, qui devons faire passer le max de drogue du sud vers le nord pour faire un max de profit.
Franchement, ça aurait été trop beau que les pays producteurs de drogue la consomment sur place : pas de trajet, pas de filière ; pas de filière, pas de cartel. Pas de cartel… pas de cartel.
Seulement, la vraie vie en a décidé autrement. Les Nord-Américains semblent être friands de poudre.
Et comme ce n’est pas facile de monter une filière d’acheminement tout seul, il va bien falloir s’acoquiner avec les gangs adverses et trouver des arrangements pour que le commerce de stups nous soit profitable. Voilà le cœur du jeu : comment s’entendre avec son voisin, tout aussi teigneux que vous, pour monter la drogue du sud vers le nord.
Mais ce n’est pas l’objectif du jeu. L’objectif, c’est de gagner le respect de ses adversaire, et pour cela, trois façons de le faire : contrôler certains territoires, remplir certains objectifs secrets, tuer un boss adverse.
Mais pas n’importe lequel : votre ennemi juré.
C’est celui qui atteindra les 10 points de respect le premier qui remporte la partie.
Oui, la mécanique principale du jeu, celle qui attire l’œil du joueur, l’interdépendance relative entre gangs producteurs et gangs consommateurs et la nécessité de créer des circuits n’est qu’un moyen, pas une fin.
La pilule rouge ou la pilule bleue?
Chaque joueur se voit attribuer en début de partie une carte de faction, qui lui donne son petit pouvoir particulier et sa zone de départ.
On récupère également tous les pions à sa couleur, mais comme au début de la partie, on n’est qu’une bande de petites frappes, on ne dispose que de son boss, un lieutenant et deux soldats – et il va falloir ramer avant de devenir un grand cartel.
On reçoit également, et secrètement, une carte d’objectifs à atteindre, ainsi que la carte d’un boss adverse à éliminer, cartes qui seront les principales sources de gains de points de victoire.
On reçoit enfin une main de 5 cartes armes, qui permettront de résoudre les combats (un genre de bataille améliorée) lorsque l’on convoitera un territoire occupé par un gang adverse, car vous vous doutez bien que les mafieux ne sont pas du genre à faire de la coloc.
The spice must flow!
Chaque joueur joue toutes les phases de son tour, et puis c’est au joueur suivant, jusqu’à ce que l’un d’eux puisse revendiquer la victoire en ayant atteint 10 points de respect.
Ressources
Au début de son tour, un joueur reçoit 1 million de narco-dollars pour chaque zone bleue qu’il contrôle (où il est présent), et produit un pion came sur chaque zone rouge qu’il contrôle.
De plus, il est possible de vendre tout ou partie de sa came présente sur une région bleue qu l’on contrôle pour se faire encore plus de blé.
Les capitales (zones entourées d’une bande blanche) sont des sortes de super régions où la production de came et le revenu sont majorés. Elle sont malheureusement plus difficilement accessibles aux joueurs puisque pour s’y installer, il va falloir vaincre la pègre locale !
Une fois la came produite et les billets récupérés, les joueurs peuvent recruter des unités.
Recrutement
Vous pouvez à présent payer pour rajouter quelques troupes sur le plateau.
Quelques petites précisions : on ne peut recruter que sur des zones rouges ou bleues que l’on contrôle, et pas sur les grises, sauf celle sur laquelle se trouve notre boss (sans doute est-il plus persuasif que ses petits soldats…).
On peut en outre convertir un pion came en soldat, ce qui est fort appréciable pour les clans producteurs qui, en début de partie, n’ont aucun revenu. Les soldats sont des petites frappes qui n’ont de valeur qu’en grand nombre, tandis que les lieutenants, sont plus costauds et plus mobiles (puisqu’ils peuvent se déplacer de deux cases par tour) mais ils sont plus chers à l’achat.
Action
Il est maintenant possible de déplacer toutes ses unités (Boss, soldats, pions came) d’une case (ou deux pour les lieutenants), soit pour occuper une région libre, soit pour attaquer une capitale ou bien une région contrôlée par un autre joueur.
Le système de résolution des combats est assez trivial : chaque joueur choisit secrètement une carte arme de sa main puis la révèle, et la différence de valeur entre les deux cartes donnera le nombre de points de dégâts infligés au perdant (ce qui lui fera autant d’unités en moins pour la manche suivante).
Les joueurs continuent ainsi jusqu’à ce qu’une des deux factions soit éliminée. La petite subtilité c’est que chaque carte nécessite une certaine valeur de troupe pour pouvoir être déclenchée : c’est le nombre de petits soldats en bas à gauche de la carte (chaque soldat, lieutenant et boss en présence permet d’augmenter cette valeur de troupe de 1, 3 et 6), donc moins vous avez de troupes présentes dans la bataille, moins vous aurez de choix dans les cartes à jouer.
Il y a un petit côté « la lose pour la lose » car plus vous allez perdre d’unités, moins vous aurez de choix. Et lorsque vous jouez une carte qui ne peut être déclenchée, ce qui arrive souvent, elle a une valeur de 0…
Le Deal
C’est la phase qui apporte sans doute le sel du jeu : le joueur actif peut proposer d’acheter ou vendre de la came à un autre clan limitrophe du sien. Lorsqu’un pion came a été acheminé dans une région frontalière entre deux clans, ceux-ci peuvent s’entendre pour effectuer une transaction.
Ils sont assez libres dans l’échange : cash, promesses, tout est négociable. Cela permet en outre de faire avancer la came d’une case de plus.
Le joueur actif peut également proposer d’échanger ses cartes armes avec n’importe quel autre joueur, et avec pour seule limite : une carte contre une, afin que chaque joueur ait toujours 5 cartes en main.
Il peut également décider de renouveler l’intégralité de ses cartes armes.
Une fois tout cela fait, c’est au joueur suivant.
Chacun va donc tenter de s’étendre progressivement, de recruter du monde afin d’engranger plus de cash, afin de recruter plus de monde, afin d’engranger plus de cash, jusqu’à atteindre ses objectifs et faire la nique aux autres joueurs.
Total Respect
Ah ! oui, j’oubliais : à chaque fois qu’un joueur marque un ou plusieurs points de respect (contrôle de territoire, objectif révélé, fumage de boss), on révèle une carte évènement : ce sont des cartes à effet immédiat ou permanent qui viennent bouleverser un peu le jeu. Blocus sur la Havane, voies maritimes condamnées, telle région perd tous ses pions came… Pas mal d’effets violents qui nous rappellent qu’on n’est pas là pour beurrer les toasts.
Il ne peut y avoir qu’un seul effet permanent en cours, car dès qu’un joueur marquera des points de respect et tirera un nouvel évènement permanent, il chassera le précédent.
Bonne came ou camelotte ?
Personnellement je suis ultra-fan de la patte graphique de ce jeu. Elle colle parfaitement au thème, et le thème est très bien rendu dans ce jeu où il faut savoir négocier avec ses adversaires et rouler des mécaniques.
Mais je suis au regret d’admettre que c’est justement dans les mécaniques que ça pêche. La première partie nous a laissé un arrière goût de « hein ?? » dans la gorge. Sans doute parce que la grosse part de hasard n’est pas à notre goût, et que des joueurs un peu plus « random-friendly » s’en seraient accommodés. Personnellement, je ne suis pas du tout allergique au hasard, mais là, il y avait autre chose.
Pourtant cette mécanique d’acheminement de la drogue n’est pas si mal : on sent bien la volonté des auteurs à vouloir tirailler les joueurs entre la nécessité de faire affaire avec les adversaires et la nécessité de les écraser pour gagner. Malheureusement, dans cette partie de découverte, il y avait quelques hics, à savoir que certains clans, plutôt centraux, ne dépendaient que d’eux même pour produire et vendre, et que d’autres, en Amérique du Nord, n’avaient pas trop besoin des clans producteurs puisqu’avec les revenus de base des régions bleues, ils pouvaient déjà monter des armées. Cela dit, je mets cela sur le compte d’une mauvaise répartition des clans en début de partie, et je pense que ce n’est pas un défaut inhérent au jeu. On devrait pouvoir trouver un équilibre dans le placement de départ.
Cela mis à part, il y a quelques trucs qui nous ont vraiment chiffonnés : le système de résolution des combats par exemple, est un genre de bataille dont je ne vois pas bien le sens : une bataille qui se veut améliorée mais qui reste aléatoire au possible avec des écarts dingues. On pioche 5 cartes sans pouvoir effectuer une quelconque sélection dessus (hormis pour un clan, dont le pouvoir est de sélectionner les cartes qu’il veut renouveler), et si on a de la chance, on chope les cartes fumées, sinon c’est les cartes pourries, et avoir 15 soldats ne changera rien car les écarts de force entre certaines cartes sont tout simplement délirants.
Les cartes évènements, elles, apportent des modifications intéressantes au jeu, mais elles peuvent être très violentes et mettre à mal toute la partie d’un joueur. Le côté hasard de ces cartes ne m’a pas dérangé outre mesure : je trouve même intéressant qu’un évènement inattendu nous oblige à revoir nos plans, à trouver d’autres filières, à avaler notre chapeau et à négocier avec un voisin pas commode, etc. Le truc, c’est que ces cartes ne font pas que nous gêner, elles peuvent provoquer un retard irrattrapable, et ça, c’est vraiment dommage. Il faudrait presque regarder les cartes évènement avant de jouer, pour avoir une idée de ce qui pourrait nous tomber dessus, et avec quelle marge de risques.
Un des joueurs s’est vu coincé pendant presque toute la partie à cause d’un blocus : ce n’est pas faute d’avoir tenté de s’en sortir, ou même de faire bouger la piste de respect, mais rien à faire. À chaque fois c’était un évènement immédiat qui sortait et l’évènement permanent qui le jugulait n’a été chassé qu’un ou deux tours avant la fin.
Il y a dans DEAL, en filigrane dans une bonne partie des mécaniques du jeu, ce sentiment d’inabouti, d’inachevé, pas mauvais, mais juste pas encore équilibré, et qui se retrouve aussi dans l’ergonomie du jeu par exemple : plateau énorme avec le logo du jeu surdimensionné, qui ne sert pourtant à rien durant la partie, ou piste de score tout aussi énorme alors qu’on y place quelques pions minuscules. Des petites imperfections, des erreurs de jeunesses, qui au bout font que nous n’avons pas vraiment été convaincus à la première partie.
Il faudrait tout de même lui laisser sa chance car il y a un bon thème, de bonnes idées, et je proposerai à un autre public d’y jouer pour voir si DEAL peut rendre accro.
Un jeu de Mat, Trist, Vinc
Illustré par Krog
Edité par (Self-published), Borderline
Pays d’origine : France
Langue et traductions : Anglais, Français
Date de sortie : 02-2016
De 3 à 6 joueurs
A partir de 16 ans
Durée moyenne d’une partie : 90 minutes
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morlockbob 15/07/2016
merci pour ces éclaircissements, j’avoue avoir hésité avec ce jeu et j ‘ai laissé tomber (car la drogue c’est mal).
dommage, car effectivement en le survolant, il semblait coller à son thème