La conquête de Genesia à travers les âges
Genesia est la prochaine sortie ludique de Super Meeple co-éditée avec Citizen Game, création originale et premier jeu de Eric Labouze, il tourne déjà depuis quelques jours sur certains festivals avant d’être enfin disponible pour le FIJ de Cannes.
Prévu pour 1 à 5 joueurs et des parties d’environ 20 minutes par joueur, il trouve sa place dans la catégorie des joueurs confirmés, n’étant pas totalement familial mais pas pour autant réservé aux experts.
Présenté comme un jeu de civilisation, il mélange mécanismes de draft et de contrôle de territoires : avec quelques cartes triées sur le volet, les joueurs devront déployer judicieusement leurs clans et construire leurs cités sur des points stratégiques afin de s’étendre par delà leurs continents et ravir les meilleures Régions sous contrôle adverse, le tout en 3 âges. On pense forcément à 7 Wonders (thème civilisationnel avec draft en trois âges), ou Bunny Kingdom (prise de territoire par le draft), mais Genesia parvient à offrir une expérience qui se démarque de ses aïeux.
“ Insensés que nous sommes, nous voulons tout conquérir, comme si nous avions le temps de tout posséder ! “ (Frédéric II)
En début de partie, les joueurs commencent chacun sur leurs Continents respectifs, ils devront y créer et développer leurs Clans, avant de les déplacer vers Genesia la Terre Promise et les Continents adverses afin d’en coloniser les Régions et de s’y installer, jusqu’à ce qu’une guerre les en déloge.
Genesia à travers les âges
Les 3 âges du jeu vont donc se dérouler sur ce modèle (non sans avoir préalablement récupéré 15 sous et drafté les cartes de l’Age en cours) : une succession de 3 phases distinctes à savoir, la Croissance, l’Expansion et l’Attaque, durant lesquelles les joueurs pourront jouer tout ou partie de leurs cartes correspondantes.
Ces cartes peuvent être parfois payantes, parfois sources de points, et elles peuvent toujours être défaussées contre des pièces (ce qui n’est pas négligeable, vous verrez que chaque âge est grandement pièçovore !).
Ainsi, durant la phase de Croissance, les cartes jouées permettent principalement de remplir sa bourse ou de recruter gratuitement des Clans (à défaut, il faudra se délester de 2 sous par Clan) dans une Terre Natale ou l’une de vos Cités.
En phase d’Expansion, les cartes octroient à vos Clans des déplacements gratuits, parfois sous condition, à défaut il en coûtera un sous par déplacement par Clan.
Heureusement, après les mammouths et les diligences, l’âge III voit l’avènement des TGV et autres technologies accélérant le déplacement d’une pile de Clan pour seulement un sous… ce qui présage donc une colonisation maximale des Territoires au dernier âge.
Vient ensuite la phase d’Attaque… Ouh là rangez donc vos gourdins, carabines et autres pistolets lasers ! Si Genesia est un jeu prompt à l’interaction, l’affrontement n’est pas pour autant systématique, loin de là, tant il fait de dégâts chez l’attaqué et chez l’attaquant !
À l’orée de la phase d’Attaque, chaque joueur prend son petit jeton dédié et choisit secrètement une face : Attaque (ouais ! 😀 ) ou Paix (ooohhh 🙁 ). Si un joueur choisit l’Attaque, il peut faire la guerre à une seule Région adverse adjacente où il est en supériorité numérique, classiquement les Clans se détruisent à raison de 1 pour 1.
Enfin, c’est sans compter les cartes Attaque qui viennent bien évidemment pimenter un peu les combats en modifiant parfois les règles, à l’instar du Prix Nobel de la Paix qui fait perdre 2 Unités à l’attaquant contre 1 seule pour le défenseur, ou du Drone qui attaque les Régions à distance.
Une fois le terrain largement élagué et les soifs de sang étanchées (c’est-à-dire quand tous les joueurs ont enfin tous choisi la Paix), on clôture l’âge en cours en construisant des Cités (sur chaque Territoire accueillant au moins deux Clans), avant de réaliser un décompte intermédiaire de points correspondant aux cartes Fin d’âge fraîchement jouées et Inventions jouées depuis le début de la partie.
“ Le plus grand conquérant est celui qui sait vaincre sans bataille “ (Lao-Tseu)
C’est bien beau de faire des bébés Clans, de les laisser se dégourdir les pattes à travers les Continents avant qu’ils ne s’égorgent (ou ne se contemplent pacifiquement en chien de faïence, c’est selon), mais comment gagne-t-on dans Genesia ?
Le décompte final est en fait un mélange de plusieurs sources de points : Points de Progrès accumulés au cours des âges, points apportés par les Objectifs secrets, ainsi que les valeurs des Territoires contrôlés (chaque Région dans laquelle on possède un Clan ou une Cité), Genesia étant bien sûr très généreuse en points mais particulièrement convoitée, alors que les Continents adverses octroient 2 points supplémentaires. L’aide de décompte des scores fournie, si elle peut faire peur au premier regard, rend heureusement cette phase plus efficiente.
Sans pour autant avoir eu l’impression d’un effet « salade de points » indigeste, on aime la pluralité des stratégies possibles : entre Attaques, Objectifs secrets, concentration des efforts dans Genesia ou, au contraire, dispersion dans les Régions, ou encore cartes Inventions, aucune ne semble surplomber l’autre, à condition de ne pas picorer oisivement dans chacune des voies, pour ne pas s’affaiblir.
On sent d’ailleurs que le palpitant du jeu réside bien dans l’interaction stratégique : chaque déplacement doit être mûrement réfléchi au risque de faire chavirer la bascule d’expansion à l’extermination de nos Clans (s’étendre, c’est bien, mais c’est aussi prendre le risque de laisser nos Territoires sans défense…). Les seules notions d’aléatoire sont d’ailleurs apportées par le tirage des cartes âges – hasard évidemment atténué par le draft – et les objectifs secrets.
Il est tout à fait possible de se passer de ces derniers pour s’affranchir de ce soupçon de hasard, on perd alors ce petit côté d’asymétrie et de surprise qui, à mon sens, apportent une dose non négligeable de tension à Genesia.
La boîte vaut son pesant d’or en matériel, même si le bois m’aurait été plus agréable que le plastique (mais sans doute pas au même prix), et on constate la présence de plusieurs plateaux (la Terre de Genesia en elle-même) pour s’adapter au nombre de joueurs. Les parties semblent donc rester tendues et intéressantes quelque soit la configuration, et les Territoires sont assez vastes pour ne pas se terminer systématiquement en guerre des tranchées, ce qui est d’ailleurs loin d’être une stratégie payante dans Genesia.
En effet, si la Guerre permet de vider une région des clans adverses, elle a surtout la fâcheuse tendance à zigouiller nos propres clans dans l’histoire, ce qui en plus de nous fragiliser (dépenser toutes ses unités au combat c’est au risque de perdre toute sa défense, donc de devenir ensuite une proie facile) s’avère assez coûteux (2 ors par clan pour renflouer les rangs par la suite, c’est pas rien !).
Ainsi, je le disais, dans Genesia l’interaction n’est pas aussi violente qu’il n’y paraît : le flux tendu de cartes rend le contre-draft moins intéressant, et si on peut taper sur les copains et les déloger (ce qui fera toujours râler certains), au contraire d’un Bunny Kingdom, ce sera souvent au prix d’une note salée comparée aux gains. On misera alors plutôt sur la force de dissuasion et les menaces, pour ne préférer le recours à l’Attaque qu’en cas de réel intérêt stratégique, une fois les pertes soupesées et les points de victoires évalués.
Genesia : Coup d’oeil
Je n’ai pas encore pu tester le mode solo, mais il présente une originalité qui à mon sens n’en fait pas qu’un simple rajout pour être dans l’air du temps : s’il faut gérer simultanément deux peuples indépendants mais pacifistes, seul le score du peuple le plus faible sera pris en compte. Cela nécessite surement un calcul permanent, tout en sachant que le draft, les objectifs secrets et la guerre n’auront pas cours en solo ; parallèlement, la défausse deviendra plus lourde de conséquences. Ce mode se décline en trois niveaux de difficulté, il a donc vocation à être plus qu’un moyen de se familiariser avec le jeu, mais un vrai défi à part entière.
Sachez par ailleurs qu’il existe aussi un mode équipe où le score le plus bas des coéquipiers compte en fin de partie comme score de l’équipe. Il faudra un minimum de coopération et de coordination, sans pour autant pouvoir partager nos ressources.
Concernant le thème, il est loin d’être révolutionnaire – même si bien retranscrit par les illustrations de Fabrice Weiss et Alexei Iakovlev et les textes d’ambiance plutôt travaillés – et on aurait tendance à le mettre de côté en déplaçant nos petits pions à travers ces no man’s lands numérotés.
D’ailleurs, je n’ai pas été complètement convaincue par l’aspect « civilisation » de Genesia (pour rappel, Kabrateo parlait ici des jeux de Civilisation), le jeu m’a semblé plutôt axé sur le placement et le contrôle des territoires au détriment du développement à proprement parler d’une civilisation, tant autour des aspects de l’économie, de la culture, de la religion ou de la gestion des ressources. Certes ces éléments se retrouvent dans les cartes draftées, entre les illustrations et les textes immersifs, mais je n’ai pas eu la réelle sensation de bâtir ma civilisation et de la voir évoluer au cours des âges. On reste sur une sensation assez abstraite et les amateurs de gros jeux de civilisation risquent d’être déçus s’ils prennent ce titre pour tel.
Pour autant, ça ne fait pas de Genesia un mauvais jeu, bien au contraire. Nous avons même été conquis autour de la table par sa richesse, provenant en particulier des cartes qui ouvrent de nombreuses voies stratégiques (et on en jouera seulement 5 par âge maxi : chaque choix est impactant). Entre draft et conquête de territoires, il faudra réfléchir assidûment à toutes les possibilités offertes par les cartes et les offensives adverses, au risque parfois de devoir réviser sa stratégie ou d’essuyer quelques revers…
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Zuton 25/02/2020
Merci pour l’éclairage de ce jeu qui m’intriguait et pourrait me plaire, de part sa durée et sa complexité moyenne. En revanche le côté placement et guéguerre m attire beaucoup moins.
Comment le jeu tourne t il à 2 joueurs ?
Shanen 25/02/2020
Le côté n’est pas systématique, au contraire comme il est aussi destructeur pour celui qui attaque que pour l’attaqué, il n’est pas utilisé souvent 😉
je n’ai pas pu tester le mode deux joueurs, mais de ce que j’ai entendu sur cette configuration, elle tourne plutôt bien car le plateau est adapté (plateau central avec moins de territoires + deux Terres Natales), permettant de ressentir tout de même une certaine tension 🙂