CLUEDO : l’éternel retour
Regardé d’un œil parfois moqueur ou encore assimilé au Monopoly et des jeux d’un autre âge, le Cluedo malgré toutes ses années, est encore présent sur les étals. Et vivant. Essayant de se renouveler tant bien que mal, on aura pu voir apparaître des Cluedo jeu de cartes, Batman, Dr Who, Junior… quasi une centaine d’éditions différentes de ce titre crée par Anthony Pratt et sa femme, Elva Rosalie Pratt, en 1943 à Birmingham.
Pratt a été musicien. Mais pendant la seconde guerre mondiale, il devient ouvrier dans une usine fabriquant des composants pour les chars d’assaut. Il se souvient des jeux de meurtre et de mystère auxquels jouaient certains de ses clients lors de concerts privés, ainsi que des romans policiers en vogue à l’époque, en particulier ceux d’Agatha Christie. Retranché la nuit dans sa maison en Angleterre, pendant les raids aériens qui frappent la ville, il occupe ses insomnies en imaginant un jeu autour d’un crime. En 1944, Pratt dépose une demande de brevet pour son invention. Ce jeu est initialement baptisé Murder [Meurtre]. Le design de la maison du jeu aurait été inspiré par un ancien hôtel, le Tudor Close à Rottengdean, dans la ville de Brighton and Hove. Les premières éditions du jeu se sont intitulées Murder at Tudor Close.
Peu après, Pratt et sa femme, Elva Pratt, qui a participé à la conception du jeu, le présentent à Norman Watson, dirigeant de Waddingtons. Celui-ci l’achète immédiatement et lui donne le nom de marque Cluedo (un jeu de mots sur « clue » et « Ludo », le mot latin pour « je joue »). Bien que le brevet soit accordé en 1947, les pénuries d’après-guerre retardent le lancement officiel du jeu au Royaume-Uni jusqu’en 1949. Le jeu est simultanément concédé sous licence à Parker Brothers aux US pour publication, où il est rebaptisé Clue.
Le jeu se vend à des centaines de millions d’exemplaires. Depuis 1994, il appartient au groupe Hasbro. (source Wikipedia).
Tendance actuelle de l’escape game et des crimes à résoudre, on se dit que « oui, le Cluedo avec son univers à la Agatha Christie a toute sa place dans le genre ». Quatre titres façon escape game sont déjà parus. Ainsi qu’un jeu de rôle caché : Cluedo Conspiration. Nous aurons consacrés quelques soirées à enquêter, plongeant dans le passé de cet ancêtre, tout en attendant le changement, signe d’un monde ludique qui a évolué.
Alors, ces nouveaux Cluedo, qu’en est-il ?
Péril en haute mer
La boîte de moyen format renferme enveloppes, éléments de décor et paquets de cartes numérotées (les deck). Les personnages, s’ils sont connus de tous, Colonel Moutarde, Prof Violet ou Mlle Rose, ont changé d’apparence et affichent maintenant un look plus typé et international. Le couvercle soulevé, un avertissement nous ordonne de ne rien toucher avant la lecture du texte d’introduction (le capitaine tombe à l’eau), et des règles. L’ambiance est là. Un premier élément du décor va être posé sur la table : l’illustration du pont arrière du bateau. Chaque personnage (de simples pions à l’ancienne) va se déplacer sur un numéro et tirer des cartes.
Plusieurs types d’effets apparaissent dans les différents paquets que nous allons utiliser suivant l’avancée du jeu : Les cartes narratives racontent un pan du récit, les cartes énigmes posent un défi (la solution de l’énigme du tutoriel est d’ailleurs donnée dans la règle), les cartes objets, en se superposant donnent un numéro, celui d’une nouvelle carte à prendre. Les indices, eux, vous serviront pour la résolution finale. Plusieurs décors vont s’ajouter, se superposer au fur et à mesure de l’enquête. Peu à peu nous allons changer de deck, passer du 1 au 2 etc, se promener dans le bateau, du casino à la salle des machines, rencontrer les protagonistes et découvrir certains secrets de l’histoire. Concrètement, cela se passe toujours de la même façon. Il faut aller sur un lieu numéroté, prendre la carte, résoudre l’énigme ou lire le texte et résoudre l’énigme. Puis, se rendre sur un autre lieu, prendre le numéro etc.
Le jeu est très dirigiste, il faut tout explorer. Les cartes narratives sont courtes et on poursuit avec une énigme. Ces dernières sont souvent des codes puisque le résultat est toujours un chiffre. C’est là que ça commence à cafouiller. Si vous jouez avec le deck 2 vous savez que le code à trouver commence par un 2. Idem en deck 3 etc. Cela oriente les recherches ou parfois vous amène la solution sur un plateau quand il reste peu de cartes dans le paquet. Les énigmes sont d’un niveau facile, voire très facile. Si la construction du décor, pas à pas, et les petits événements sont un plus, on avance laborieusement, mécaniquement. La faute à un récit où on nous explique que « horreur, le bateau va sombrer ! », « qu’il faut réagir » mais où, si on veut avancer, il faut envoyer nos pions s’intéresser à une vieille partie de poker ou activer un bandit manchot. Se voulant drôle, ou immersif, le jeu vous demande par instants de retenir votre respiration (on nage) ou d’imiter le bruit d’une fusée éclairante !!!
On a un petit plaisir nostalgique à replonger dans l’univers de Cluedo et c’est ce qui m’a attiré, curieux de voir ce que proposait la licence. L’âge nécessaire pour jouer inscrit sur la boîte (10 ans) donne malheureusement un faux espoir sur son niveau. Si c’est votre premier rendez-vous avec ce genre de jeu, pourquoi pas. Et encore, la répétition des actions et de la majorité des énigmes peut lasser. Si les mécaniques, même déjà vues, étaient au service d’ une affaire qui tient son joueur en haleine, on pourrait être plus clément avec ce titre, mais hélas c’est poussif, la faute surtout à ce ridicule principe de code correspondant au numéro du paquet, aux cartes qui vous soufflent pratiquement la solution, et à un récit trop cadré. Le jeu se donne de l’allure mais prend l’eau rapidement. S’il y a un péril dans cette boite, c’est celui de naviguer sur une mer d’huile si vous vous êtes déjà frotté à d’autres gammes du genre.
Midnight hotel
« Suite” de Trahison au manoir Tudor, nous retrouvons les protagonistes de l’histoire précédente poursuivis par les secrets de Mat Lenoir. Ce dernier est mort avec des documents les incriminant. Et ces documents vont être lâchés sur la toile à minuit si rien n’est fait. Les personnages se retrouvent donc au MH afin de trouver les serveurs, récupérer les documents et savoir qui a déclenché l’alarme. L’âge de cette enquête est marqué 10 ans, et la difficulté est un peu plus importante, 3 sur une échelle de 5.
La mise en route et le déroulement sont identiques à ce que nous avions découvert dans Péril en haute mer. Nous commençons par une petite introduction, histoire de nous familiariser avec les éléments. Nous voilà dans un ascenseur. L’alarme résonne, nous allons devoir fouiller l’hôtel et résoudre l’énigme avant minuit !
Cette fois encore nous allons poser les tuiles des salles du bâtiment, le restaurant, le spa, les chambres etc… Le décor va littéralement se construire sous nos yeux et même en hauteur via l’immeuble en 3D. Un peu branlant, le matériel étant de faible qualité, il se gondole sur certaines pièces. Les decks vont se succéder, apportant leur lot de cartes énigmes, narration, alibi des personnages avec le problème évoqué précédemment : on sait que si nous jouons avec le deck 3, tous les codes débuteront par le chiffre 3. On s’est posé la question sur un parti pris pratique afin d’aider les joueurs, si c’est le cas, ce n’est pas une bonne idée. Moins on a de cartes, plus la solution est évidente. Quelques énigmes égayent une monotonie qui s’installe vite, se servant du building ou de perspectives. Rien de bien innovant non plus.
Au final, nous n’avons pas vu une réelle différence de difficulté avec le titre précédent. Un peu plus de fun avec ce building en volume. Par contre, nous sommes retombés dans le même déroulement mécanique avec obligation de tout explorer et un récit dirigiste. Niveau énigme, le niveau est faible, le jeu fait daté par moment, et si le clin d’œil à Cluedo est sympathique, il faudrait qu’il se détache d’une certaine facilité pour proposer quelque chose d’un peu plus compétitif. Encore une fois pour une famille qui découvre ce type de jeu, qui quitte le Monopoly pour tenter l’enquête, cela peut fonctionner. Pour un public moins novice, il est sûr que cela ne passera pas. Une gamme qu’on destinera à la grande distribution aux côtés d’autres produits de chez Hasbro et moins aux habitués des licences phare du jeu d’enquête et escape game.
Cluedo Conspiration
Dans Cluedo on aime les hôtels, et cette fois encore. Après le meurtre de Mat Lenoir au Manoir Tudor, vous êtes convoqués à la Vipère noire, un autre Resort appartenant au défunt. Vous, et les invités de cette funeste soirée ! Une tempête se lève et vous découvrez qu’une série de pièges mortels ont été installés dans le complexe. Le directeur, Mr Corail semble être la cible. Oh non, ça recommence !
Cluedo conspiration reprend donc l’univers bien connu : un lieu, un meurtre, une arme.
La donne change ici puisqu’il s’agit d’un jeu à rôle caché avec son lot de bluff et de déduction. Les joueurs seront donc, soit des conspirateurs chargés de tuer Mr Corail, soit des amis de ce dernier, chargés de le protéger et, si le pire arrive, de démasquer les coupables, le lieu et l’arme du crime.
Selon le nombre de joueurs, il y a aura plus ou moins de conspirateurs et d’amis. Le plateau représente les différents lieux de l’hôtel, de la réception à la piscine, de la terrasse à la crique extérieure… chacun dissimulant différents indices mais également des pièges. Chaque personnage démarre avec trois cartes d’équipement (valeur 1 ou 2 avec logo). Un lieu de départ sera visible, et donc sécurisé, attention aux pièges qu’il faudra désamorcer ENSEMBLE.
Pour débuter, il faut écarter un lieu et une arme. Tout le monde ferme les yeux, les conspirateurs se reconnaissent et prennent connaissance des deux cartes mises de côté. À eux d’amener Mr Corail au bon endroit en brouillant les pistes. Pour corser la chose, Mr Corail devra avoir été blessé une fois (ce n’est pas difficile), et le chef conspirateur devra être à côté de lui en tant que garde du corps (on ne laisse pas aux sous-fifres le droit de porter le coup fatal) pour valider le crime. Deux rôles vont donc permettre de moduler les manches : celui de l’éclaireur, formant l’équipe du moment et choisissant le lieu où se rendre, et celui du garde du corps qui va récupérer les indices du lieu et en faire part ou non, aux autres. Le rôle est important puisqu’ il permet de brouiller les pistes (regardez, je vous montre l’indice, je suis un ami, non ?) et d’assassiner la cible. Un vote validera la formation de l’équipe ou pas. On peut ne pas être d’accord sur la composition de l’équipe (c’est d’ailleurs une façon de blesser Mr Corail, en faisant capoter le vote). Sur une de nos parties, le colonel Moutarde a clairement affirmé qu’il ne validerait pas une équipe où la cheffe Leblanc serait présente, on peut donc faire pression.
Réunir l’équipe est une première approche de qui peut être avec qui ? La formation du groupe permet justement de voir qui est recruté par qui, qui donne des cartes désamorçage, qui en donne peu etc. Il est parfois dur de se faire une idée malgré tout. L’équipe est-elle soudée ? Qu’il s’agisse d’un crocodile ou un trou dans le plancher, il faut, en posant les cartes équipement de la bonne couleur (logo bleu ou rouge selon le lieu, sinon cela bascule en négatif), atteindre la valeur du piège. Zut, nous avons échoué ! Mr Corail prend une blessure (je vous avais dit que c’était facile). Manque de chance ou stratégie ? Le prof Violet a avoué ne pas avoir de quoi gérer la couleur de ce lieu, mais peut-être a-t-il menti ? Le jeu se poursuit, en affinant ses hypothèses, en se rendant dans les pièces du Resort, en supputant sur les rôles jusqu’au moment où la cible est touchée par le conspirateur en chef ou la totalité des pièges désamorcés. Ce qui peut aller vite.
Mais alors, qui a tué le Docteur Mr Corail ?
Essayer de former une équipe sans le traître présumé, bloquer des pièges, récupérer des indices qu’on va rendre public ou pas… Il y a des choses à faire durant ce séjour. Cela reste clair et accessible. Bien sûr, il ne faut pas commettre de boulettes et se rendre visible aux yeux de l’ennemi.
Cette conspiration, si elle est notée de 4 à 10 joueurs sur la boîte ne peut se jouer qu’avec un nombre conséquent. Une variante pour 4 joueurs existe où le chef des conspirateurs et son complice ne se reconnaissent pas. Un peu comme dans le Tarot à cinq, il faudra se trouver, ce qui fait perdre du temps aux protagonistes. La règle officielle commence d’ailleurs à partir de 5 (3 amis, deux conspirateurs). Six, sept invités me paraît être le bon ratio. Au dessus, il est difficile de faire le tri dans les personnes, et il est difficile pour le chef conspirateur d’être choisi au bon moment au bon endroit. En dessous, ce sont le désamorçage des pièges qui vont poser problème, la valeur des désamorçages étant la même que l’on soit 4 ou 7 joueurs. Un écart qui pèse sur le nombre de cartes à donner et permet moins de subtilité et de mensonge. La première chose à faire est de blesser Mr Corail via un piège qu’on échoue à désamorcer ou une série de votes annulés. Là, il faut être un peu léger sous peine de se faire remarquer si vous êtes la mauvaise graine qui dit toujours non.
Selon les parties, ça peut passer crème ou déraper dès les premiers tours. Si par exemple, le lieu où doit se passer le crime est choisi, pure coïncidence, en tout début de partie. Comment y retourner pour le conspirateur ? Pourquoi se rendre à nouveau dans un lieu vide. Il faudra alors essayer de blesser Mr Corail en faisant capoter les votes ou en faisant échouer les désamorçages de pièges. Le doute réussit néanmoins à s’installer si on la joue fine et une ambiance de légère parano peut planer si on a les bons convives, ceux qui savent baratiner avec mesure, glisser la mauvaise carte au bon moment etc. Une constante à ce genre de jeu me direz-vous.
Cluedo Conspiration suit donc les traces de ses deux confrères rencontrés quelques paragraphes au-dessus. Il affiche clairement sa cible familiale pour des parties où on se fendrait presque de quelques règles personnalisées. Rien que le fait de saisir les cartes désignant le lieu et l’arme du crime sur le plateau puis les glisser dans son enveloppe est déjà un exercice périlleux. Reste ensuite ce hasard qui peut mener l’équipe sur le bon lieu et pénaliser indirectement le conspirateur ayant été écarté cette fois-ci.
Ceux qui ont déjà pratiqué ce type d’exercice (Resistance, Avalon) n’y trouveront pas leur compte, mais pour les autres, voilà une première approche qui, suivant les parties, pourra donner satisfaction ou laisser sur sa faim. Une première approche que l’on quittera vite pour chercher autre chose si œuvrer dans l’ombre est une révélation.
Comme vous avez pu le lire, nous avons moyennement adhéré aux nouveautés Cluedo. La question à se poser est surtout celle-ci : étions-nous le bon public ? Effectivement non. Des joueurs habitués aux énigmes, ayant éprouvés des titres plus complexes pouvaient ils apprécier ? Clairement, le décor des escape qui se dévoile peu à peu est toujours un bon point, que ce soit dans Betrayal at house on the hill, Heredity ou plus simplement Cascadia, Carcassonne, construire peu à peu son terrain de jeu fait plaisir. Niveau énigme cela est très (parfois trop avec le principe des decks) téléguidés. Le retour de « non joueurs » à qui j’ai prêté les jeux rétorque qu’ils ont passé un bon moment avec la première boîte mais regretté que la deuxième soit à l’identique. Avec ce côté exploratoire qui laisse peu de marge de manœuvre. Quant au Conspiration, il suit le même ressenti, celui de ne pas assez oser.
Cluedo se bride-t-il pour rester dans le cadre de sa marque de fabrique, avec un cahier des charges contraignant ? Voila un mystère qu’il serait intéressant de percer.
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6gale 26/12/2023
Excellent tour d’horizon !
morlockbob 26/12/2023
merci 6gale