Cicéron : la quadrature du cercle au sénat romain

Difficile de se faire une place dans l’histoire quand on a vécu à côté de deux grandes figures comme César et Pompée. Et pourtant, Cicéron l’a fait.
En une période trouble de Rome avec de nombreux chamboulements politiques, ses talents d’orateur l’ont amené jusqu’au prestigieux poste de consul.
C’est dans ce contexte de concessions que vous allez prendre la tête d’une importante famille de Rome. En envoyant vos serviteurs sur les différents emplacements du plateau, vous allez pouvoir accroître votre influence auprès des guildes et castes de Rome, tout en vous assurant les soutiens des sénateurs indispensables pour faire valider votre budg… pour vous mener à la tête de Rome.

Cependant, pour chaque action que vous ferez, vos adversaires pourront également bénéficier d’un effet (toutefois moindre que vous).
Il faudra également prendre en compte les doléances de Cicéron pour lutter contre la corruption et répondre aux attentes du Triumvirat.
Sweet Games édite ce jeu de François Delbosc.

 

Rome vous accueille et attend votre avènement.

 

Un emballage carré

Le premier contact est plutôt flatteur. L’illustration sur la boîte est du plus bel effet et ressort particulièrement bien sur ce blanc couleur pilier romain.
À l’ouverture de la boîte, un cache d’un blanc immaculé héberge une citation de Cicéron en lettres d’Or. Il s’avère que c’est le dos du plateau de jeu, qui une fois soulevé révèle une boîte bien vide :(. J’avoue qu’il y a 15 ans de cela, ça n’aurait choqué personne. Aujourd’hui la réaction des joueurs a été « Pourquoi une si grande boîte ? Pourquoi un si grand plateau alors que tout tenait largement sur un format plus compact ? Peut-être que ce choix se justifie en termes de coût économique et écologique par les formats plus standards. Toutefois, notre réaction de joueurs a été plutôt critique en y voyant un gaspillage de matières et d’espace.

Cependant, il faut reconnaître une belle qualité dans le matériel proposé. Les illustrations de Ann&Seb font merveille, avec des personnages réalistes. Les plateaux sont double couches, le touché des cartes très agréable, les jetons légions de belle facture, rien à redire de ce côté-là.

 

Notre plateau de belle facture.

 

Uncéron, Deuxcéron,…

Cicéron est un jeu de type pose d’ouvriers avec seulement 3 actions différentes. Autant dire que c’est vite expliqué et c’est un des gros atouts du jeu.
Il a toutefois son lot de particularités.Les ressources dans le jeu sont représentées par 6 pistes d’influence allant de 0 à 10, une par caste.
Le jeu est légèrement asymétrique, puisqu’en fonction de son plateau, chaque joueur débutera avec des influences différentes dans chaque caste, dont une privilégiée qui bénéficiera d’une double montée bonus au début de chaque manche. Une diversité bienvenue qui ne va pas non plus chambouler votre façon de jouer.
Le cœur du jeu est notre cénacle qui contient nos sénateurs. Ceux-ci appartiennent à une caste et vont nous donner des « voix », puis éventuellement des icônes de guildes, des points de victoire en fonction des icônes guildes présentes dans notre cénacle, ou des gains potentiels en influence sur certaines castes. 

 

Les sénateurs fournissent de l’influence, des PVs,, des voix…

 

Le tour débute par un vote pour élire le Princeps : chaque joueur annonce le total des voix sur ses sénateurs. Ensuite chacun peut faire un discours enflammé (non pas toi Néron) afin de négocier ses voix ou celles des autres. Une partie du jeu qui peut être un régal si vos joueurs ont des âmes d’acteurs.
Là où le bât blesse, c’est que le Princeps va trancher les égalités de fin de tour. Et comme nous allons nous battre sur la majorité de 6 castes et 6 guildes, les égalités sont assez nombreuses. Autant dire que, bien souvent, le Princeps va pouvoir fortement avantager un joueur ou une joueuse, voire lui offrir la victoire. Un aspect très « kingmaking » qui peut faire grincer des dents.

Ensuite, nous allons tirer une carte « corruption de Cicéron ». Cette carte nous demandera pour lutter contre la corruption de soit payer 2 influences parmi 4 proposées, soit défausser un sénateur parmi 2 castes imposées, soit perdre 10 PV. Une idée sympathique sur le papier, mais qui fait flop dans les faits, car tout le monde choisit toujours les 2 influences, bien moins pénalisante que les autres choix proposés.

Tels sont les doléances de Cicéron, cette manche pour lutter contre la corruption.

Enfin arrive le cœur du tour, la pose des serviteurs. Là ce n’est pas compliqué, il y a 3 actions différentes possibles. À chaque fois vos adversaires vont pouvoir effectuer la même action que vous en un peu moins balaise. Si nous y retrouvons un ADN à la la Puerto Rico, la sensation en jeu n’est pas tout à fait la même. Dans Puerto Rico, cela offre un véritable choix stratégique. Il faut prendre en compte les besoins de nos adversaires pour les contrer. Dans Cicéron cela amène plutôt un côté dynamique au jeu : je choisis une action surtout en fonction de mes besoins et les autres joueurs vont partiellement en bénéficier (voire pas du tout). Comme généralement cela consiste à prendre une carte ou gagner de l’influence, ça ne prend que quelques secondes. C’est comme si on jouait 12 actions par manche, mais qu’on en choisissait 3 ^^.

Trois lieux vont nous permettre de piocher des sénateurs moyennant un coût en influence. Le joueur actif en pioche quatre et peut en poser deux, les autres joueurs en piochent deux pour en poser un. Les sénateurs sont le nerf de la guerre. Nous allons nous battre pour être majoritaire sur les guildes, sur les castes et éventuellement marquer des points en ayant les bons symboles sur nos sénateurs. Mais le saint Graal (enfin plutôt le saint Gladius en cette époque) reste les très rares sénateurs qui permettent d’accroître la capacité d’accueil de notre Cénacle. Parce qu’au démarrage nous n’avons que 4 sièges, pas de quoi assurer une majorité stable. Du coup la pioche est très très aléatoire. Heureusement nous allons souvent à la pêche aux sénateurs, mais il peut être frustrant de voir César enchaîner les points parce qu’il a les bons sénateurs et pas nous.

 

Le sénat nous permet de recruter des sénateurs (ça se tient).

Ensuite il y a 6 lieux (un par caste) avec des cartes actions. Sur chaque, deux emplacements sont disponibles. Le premier va permettre de piocher une carte et de gagner 1 d’influence (là où nos adversaires feront l’un des deux) et l’autre permet de jouer une carte et gagner de l’influence en fonction de nos sénateurs. Ces cartes vont essentiellement chambouler les sénateurs en place, avec notamment des assassinats. Alors oui, cela peut être drôle pour celles et ceux comme Brutus qui aime bien les interactions agressives. Il faut par contre accepter de voir le sénateur qu’on a passé 5 tours à chercher se faire zigouiller en rentrant d’orgi… d’un conseil d’administration. Et alors, autant dire qu’il ne faut pas trop caracoler en tête sous peine de se voir massacrer (ce qui colle bien avec la politique de l’époque). 

 

Un triumvirat belliqueux

Il existe aussi une caste qui permet de poser des légions via ses cartes actions. En gros, quand je pose une légion, je gagne un bonus (influence ou PV). Mais  en fin de manche nous allons piocher une carte Triumvirat. Cette carte nous indique le nombre de légions nécessaires sur le plateau (donc tout joueur confondu). Si ce quota n’est pas atteint, il va falloir « recasquer » une deuxième fois la carte corruption de Cicéron, mais en payant différemment de la première fois. Alors autant 2 d’influences c’est comme pisser dans un Tuba, autant perdre un sénateur ou 10 PV ça donne des scrupules (en latin Scrupulus désigne un petit caillou pointu, fort gênant quand il se glisse dans votre sandale, et qui a donné plus tard l’expression « Avoir des scrupules » ).

 

Les cartes action.

 

À la fin de la manche, nous déterminons les majorités qui donnent des points de victoire ou des avantages pour la manche suivante. Nous marquons les points des cartes sénateurs si nous avons les bons combos de symboles dans notre cénacle et c’est reparti pour un tour. Et c’est là qu’en cas d’égalité de majorité, le Princeps décide qui gagne les points.

 

Les majorités sur les guildes et castes donnent des PV ou quelques capacités bonus.

 

Cicestbien ?

Personnellement, dans ma lointaine jeunesse, j’ai fait trois années de latin car je trouvais cette période de l’histoire fascinante. César, Pompée et Crassus ont fondé le premier Triumvirat, les trois hommes forts alliés pour s’assurer la gouvernance du pays (tout rapport avec des faits actuels ou à venir serait parfaitement fortuit). Car en -60 av JC, la politique romaine était en avance sur son temps, avec un sénat, des magistrats, des consuls, et des ‘alliances qui ne finissait pas toujours très bien. Un pan de l’histoire dans lequel j’ai replongé avec joie grâce à Cicéron qui lui rend bien hommage. Toutefois il demeure trop aléatoire avec sa pioche de carte et trop Kingmaker pour véritablement me séduire.
Les jeux prenant place dans l’époque de la Rome Antique sont légions (oui jeu de mots facile ^^). Deux m’ont particulièrement marqué dans ma carrière de ludiste : Mare Nostrum de Serge Laget, un jeu qui associe à merveille commerce, négociation et conquête militaire, et qui a connu une réédition en 2016, et Antique, une merveille de tactique pour un système de jeu très épuré, et qui a donné lieu à une version 2 joueurs fort réussie (Antique Duellum), de même que Concordia.

 

Crassus exige qu’au moins 2 légions romaines soient sur le front.

 

Ciceron est un jeu clivant. S’il saura séduire par ses règles simples et rapidement expliquées, son thème sur la politique romaine et la forte interaction entre joueurs. Il faut toutefois accepter la forte probabilité de Kingmaking, le hasard des pioches et une interaction très agressive (Brutus, pose ce poignard !). Certains apprécieront, d’autres pas.

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