Chronicles of Crime : Analyse de la série millénaire !

Depuis 2018, Chronicles of Crime (David Cicurel) a vu sortir ses premières itérations, mais aussi, via un second financement participatif, la série « millénaire », soit trois boîtes espacées de 500 ans chacune : 1400, 1900 et 2400. Chacune présente un tuto et quelques scénarios que je vais m’empresser de décortiquer… sans pour autant les gâcher : le but est ici d’analyser ce qu’apporte chaque itération de la série millénaire, et de réfléchir à la gamme dans son ensemble, de tirer des parallèles.

 

1400

Dans 1400, vous incarnez Abélard Lavel, un enquêteur du roi, maître espion, avec un chien, Perceval. Mais, en sus de cela, vous avez… des visions ! Des cartes Vision vous sont données en début d’enquête, et c’est à vous d’en faire sens.

1400 promet beaucoup. Déjà, des enquêtes moyenâgeuses, c’est différent ! Exit les empreintes digitales, exit la communication instantanée d’un smartphone : la distribution de l’information se fait différemment, on cherche d’autres types de preuves. Cela, en soi, est rafraîchissant et permet aurait pu suffire à apporter un renouvellement plus que bienvenu à l’expérience.

Le Paris de 1400 est brossé assez rapidement mais pas sommairement non plus. On sait également qu’il n’y a pas besoin de diplôme en histoire pour résoudre les enquêtes… ce qui, quelque part, simplifie (peut-être un peu trop ?) la tâche.

 

Ensuite, le chien. Perceval est véritablement une pierre angulaire de l’opus, et sa capacité à nous amener d’un lieu à l’autre en sentant le vêtement de quelqu’un ou une trace de sang est véritablement un cheminement important… mais cela a dû causer bien des soucis aux développeurs : en effet, Chronicles of Crime repose souvent sa progression sur l’absence d’un personnage, ou du moins la méconnaissance de l’endroit où il se trouve. Comment, dès lors, restreindre les pouvoirs du chien, les équilibrer ? M’est avis qu’il a fallu trouver un compromis différent à chaque fois.

 

Les visions, quant à elles, ne m’ont absolument pas convaincu. Non pas parce qu’elles ne servent à rien, mais plutôt parce qu’elles apportent un élément fantastique dans l’intrigue. Sommes-nous le seul à bénéficier de ce genre d’avantage ? Certains scénarios font appel à des choses occultes, mais doit-on les tenir pour vraies ? Ces questions sont à la vérité quelque peu problématiques, car le simple fait de les poser déconstruit le décor du jeu : j’imagine qu’il fallait, pour différencier les boîtes, avoir un “petit plus” qui vienne donner le La. Le fait que certains personnages non-joueurs mentionnent nos visions, et d’autres pas du tout, vient troubler le message, et rompt la cohérence historique. Et il faut souvent interpréter ces visions de façon très littérale, et non pas comme, justement, une vision : ce n’est pas une prophétie que nous aurons sous les yeux, mais plutôt un événement passé que nous n’étions pas censé voir.

 

Et, enfin, notre personnage ! Abélard Lavel est connu de tous, en tant que prodige de l’enquête, mais le personnage-joueur est souvent ignoré par la petite piétaille : il y a clairement un décalage entre la révérence qui lui est faite à certains moments et ce qui se passe en jeu. Il est dommage d’avoir un personnage joueur, mais de ne pas utiliser ce personnage pour faire vibrer le joueur, justement. Je vois des solutions, mais elles requièrent toutes d’ajouter du texte, et donc d’allonger les enquêtes, et d’augmenter les coûts de développement et de localisation liés à l’enquête… Je comprends donc la décision. C’est un problème que j’ai eu plus avec Abélard que les autres personnages de la série Millénaire, d’ailleurs, du fait de sa renommée et de son rang dans la société.

 

Mais, dans tout ça, est-ce que les enquêtes sont bonnes ? Ben… oui. Force est de constater que l’équipe de Lucky Duck a fait un travail d’une constance remarquable, ainsi que les écrivains/développeurs des deux scénarios. On se sent bien “ailleurs”, et les bottes d’Abélard Lavel sont tout à fait seyantes. Malgré mes réserves de puriste (ou de snob, je vous laisse choisir), je n’ai pas boudé mon plaisir !

 

1900

Dans 1900, Victor Lavel, journaliste de son état, sera votre avatar. Et vous avez une seconde, la fraîche et malicieuse Charlotte.

La plongée dans la Paris de la Belle-Époque se fait sans peine, avec une direction artistique toujours efficace avec cette patte particulière pour les personnages, cette touche de modernité. Question mécanismes, on reviendra sur les innovations de 1400 pour n’avoir qu’une feature, qu’une fonctionnalité distinctive : des énigmes à la Unlock!. Des combinaisons de coffre, des mécanismes qu’il s’agit de décrypter et de résoudre. On a donc moins à dire sur ce volet-ci de la trilogie, car il est véritablement moins déroutant vis à vis de l’expérience “de base” de Chronicles of Crime ! Il est donc l’endroit idéal de cette trilogie pour commencer à jouer à CoC.

 

Ces énigmes sont à vrai dire bienvenues dans le gameplay de base. En effet, la boucle de gameplay est perturbée par la présence de ces énigmes, dont la réponse se trouve bien souvent… dans les scènes en 3D ! On vivra donc ces moments d’observation différemment, ajoutant donc une tension supplémentaire (bienvenue) à la petite routine ! Certes, ces mécanismes sont toujours un peu “étranges” mais l’on passe rapidement le côté artificiel des énigmes, pour relever le défi avec plaisir. Les enquêtes, solides, s’avèrent aussi parfois source de surprise, pour mon plus grand bonheur en tout cas !

 

Comparé à Abélard, son chien et ses visions, Victor est en retrait, et sa place dans le monde prête moins à confusion : certes, c’est moins coloré, mais c’est sans histoires. Et, du côté des scénarios, on navigue dans un Paris à la fois reconnaissable mais également très fantasmé. En tant que français connaissant Paris, je ne vois pas les détails qui me font me sentir à Paris : mais, je comprends tout à fait que pour les gens n’ayant pas connaissance de la ville, il faille prendre des raccourcis. Il s’agit du même cas que pour 1400 : on ne voudrait pas que la connaissance soit nécessaire. Il est toutefois dommage que Chronicles of Crime n’ait pas autant travaillé la texture des enquêtes, au-delà du vernis esthétique : les joueurs oublient bien trop vite où ils se trouvent au profit de leur smartphone.

 

2400

Kalia Lavel. Ancienne flic de l’entreprise BelCor qui a rendu l’insigne pour défendre les plus méritants, éprise de justice.

 

Le Paris de 2400 est résolument cyberpunk et on sent un travail sur l’univers plus prononcé. On nous évoque, au détour d’une conversation mondaine, les guerres qui ont secoué le monde et mené à la destruction de la tour Eiffel, le passé trouble de BelCor ou encore la déréliction de Paris et son abandon aux gangs (du moins, la partie populaire, les riches vivant sous des dômes bien cosy). À défaut de faire preuve d’idées 100% originales, 2400 est résolument décidé à emprunter le meilleur de ce qui se fait, avec un peu de Gunm par-ci, de Blade Runner par là, de Deus Ex et de Cyberpunk 2077 en passant par Shadowrun ou Netrunner, sans compter les influences littéraires : le genre cyberpunk est traité avec honneur et révérence, dans l’esthétique comme dans les thèmes abordés. La méchante corpo qui exploite les (déjà) opprimés et infortunés, les guerres de gang, la drogue, les plaisirs virtuels… Le sense of place un peu absent de 1900 est ici bien présent : on doit décrypter les nouveaux codes, réfléchir aux implications qu’a la technologie dans notre société.

 

Mais c’est sans compter le gameplay. Quelques petites innovations par-ci par-là. Tout d’abord, Kalia a accès à un corbeau pour googler tout ce que nous voudrions faire. C’est un peu notre aide, et les rares fois où nous avons voulu l’utiliser, il s’est avéré déterminant dans l’aiguillage de notre partie. Coup de pot ou aide vraiment trop forte, je ne saurais dire, mais mon groupe a été presque déçu de cette aide trop frontale. En revanche, cyberpunk oblige, tout un univers virtuel existe et il sera possible de s’y connecter, simplement et efficacement, à partir du lieu où l’on est. Seul souci, dans l’univers virtuel, vous ne rencontrez que des avatars, qui parfois vous diront qui ils sont… parfois, non. Ou des chatbots, même. Et si vous mettez trop la pression à un personnage, il pourrait se déconnecter. De quoi rajouter le soupçon de tension qu’il faut.

Attention, à chaque incursion dans le virtuel, la batterie de Kalia se décharge… ce qui arrivera également si vous utilisez ses implants cybernétiques.

 

Les scénarios vous donneront accès à des implants permettant de détecter les anomalies cybernétiques chez les témoins, de désactiver des robots ou de changer la visualisation des scènes de crime. Tout cela est ultra-malin, et rappelle certaines autres mécaniques utilisées par le passé dans la série (la désactivation rappelle le passage à tabac de CoC: Noir, par exemple). Et si Kalia arrive à court de jus, hop, il faut faire un passage au domicile et passer une heure à se charger. Vraiment pas handicapant, mais cela prend un temps certain.

 

Bien que des efforts soient faits, notre protagoniste demeure un peu transparente. Cet opus, plus déroutant et exigeant, est aussi plus abouti, syncrétisme de ce que la série a fait de mieux. Ce n’est pas un hasard si le développement s’est déroulé en plusieurs phases et que ces les jeux sont sortis en vague de livraisons successives.

Un certain travail de worldbuilding, disions-nous.

 

En bref

Ce que je retiens de cette série millénaire, c’est une promesse tenue au mieux, avec certaines inadéquations entre concept et réalisation. Notamment ces personnages, censés représenter l’époque jouée et qui s’effacent. Je ne dis pas qu’il faut absolument un personnage (trop) fort au milieu d’un jeu d’enquête, loin de là, car l’important, c’est justement l’enquête : si le protagoniste est au cœur des débats, c’est que les joueurs doivent pouvoir avoir une influence sur lui – simple question de focus narratif.

 

Cette série tape gentiment dans les limites de Chronicle of Crime, sans pour autant réinventer la formule : on sent le studio polonais prendre en expérience, affirmer ses choix plus précisément. Ceci fleure bon pour The Dark Quarter, récemment annoncé comme étant le financement participatif de Lucky Duck en 2022, se basant sur leur système maison de Destinies et en s’appuyant sur le savoir faire narratif de Van Ryder Games (les darons d’Enquête à Los Angeles et Final Girl). À titre personnel, j’apprécie cette série, bien que je préfère jouer à deux joueurs maximum, car j’éprouve plus de plaisir à avancer fluidement dans l’enquête, et cela permet de limiter le passage un peu pénible de l’appareil (téléphone/tablette). 

 

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