Brains : Knizia, c’est plus fort que toi
Ces derniers temps, le bon Docteur Reiner Kiniza s’est penché sur l’exercice du casse-tête solitaire. Résultat, une série de désormais quatre titres chez Pegasus Spiele, portés depuis 2016 sur le marché francophone par son partenaire coutumier, j’ai nommé les Éditions du Matagot. Nous avons mis notre cerveau au banc d’essai.
Remue-méninges en gamme
À l’extérieur comme à l’intérieur, Brains pose ses marques en respectant un format et un design constant. Le côté collection joue ainsi à plein pour les plus sensibles d’entre nous à ce type de cohérence visuelle, toujours du plus bel effet en rayon d’une ludothèque soignée.
Le contenu n’est pas en reste puisqu’il s’avère très similaire d’une boîte à l’autre. En plus du matériel spécifique à chaque boîte (généralement des tuiles), 50 niveaux se matérialisent invariablement par 25 supports recto-verso en carton fin, dans format 11 x 16 environ.
Deux livrets sont systématiquement de la partie. Le premier fait rapidement état des règles du casse-tête proprement dit, accompagnées d’un « guide » thématique connexe à l’univers de la boîte. Le second délivre un indice et l’unique solution pour chaque niveau.
Sans être follement enthousiasmant, l’ensemble est propre, soigné, et fait son possible pour créer une atmosphère concrète atour de cet exercice pour le moins abstrait à la base.
Jardin japonais
Cet essai initial nous emmène en Asie et propose d’assembler des tuiles « Sentier » dont les courbes ne sont sans rappeler celles de Tsuro (un jeu à bien y réfléchir très kiniziesque mais qui est en réalité signé Tom McMurchie).
Le « guide » thématique se pose logiquement au pays du soleil levant et s’attache à illustrer quelques tenants et aboutissants des jardins japonais : miniaturisation du monde dans un lieu clos, rôle de l’eau dans sa composition, signification du Yin et du Yang, importance du minéral…
Ce petit plus apporte un éclairage appréciable pour les non-connaisseurs.
Après cette entrée en matière méditative, attaquons le défi ludique proprement dit : parmi les 7 tuiles Sentier disponibles, il s’agit de trouver la combinaison qui respecte toutes les contraintes indiquées sur les bords des emplacements, en sélectionnant et en orientant des tuiles de manière appropriée.
Les réjouissances sont de plusieurs sortes : créer un chemin qui mène à la Pagode ou au Yin-Yang, traverser un nombre imposé de Ponts ou de tuiles, ou encore relier obligatoirement des symboles identiques placés à divers endroits. Comme aucune tuile n’est symétrique, chacune se décline en 4 orientations distinctes, ce qui multiplie assez drastiquement les possibilités.
Les 15 premiers niveaux (à 1, 2 puis 3 tuiles) sont relativement simples et ne constituent qu’un échauffement progressif, mais pas d’inquiétude, les choses se corsent par la suite ; la prise de tête se rallonge sérieusement à partir du niveau 25.
Cette première expérience s’avère ma foi bien agréable. Avec un peu de méthode, la logique pure permet de progresser dans des déductions certaines, jusqu’à la solution. Là où sur certains casse-tête on a du mal à élaborer un modus operandi, on apprend ici à bien connaître les 7 tuiles à notre disposition. De fait, des techniques de raisonnement avancées finissent par germer naturellement.
La dernière flopée de niveaux est un challenge très relevé qui nécessitera une abnégation sans faille, mais toujours est-il qu’on se sent rarement vraiment bloqué ou forcé de s’en remettre à des tâtonnements 100% hasardeux.
Chasse au trésor
Rien ne l’annonce particulièrement en amont, mais force est de reconnaitre l’évidence une fois le matériel déballé et la règle parcourue : cette seconde boîte n’est ni plus ni moins qu’une variante rethématisée du Jardin japonais.
Le principe est en effet strictement le même. Le Coffre au trésor remplace la Pagode, le Volcan se substitue au Yin-Yang, et les Villages jouent le rôle des Ponts. Au final, 7 des 8 tuiles « Carte au Trésor » sont la copie conforme des 7 tuiles Sentiers.
Reste une « nouvelle » huitième tuile figurant des raccordements inédits et une contrainte particulière liée au sens de parcours. Grâce à elle, Herr Knizia a pu mettre au point 50 niveaux différents. Mais dans les faits, le type de réflexion et le processus mental induit sont pratiquement les mêmes. L’impression de rejouer au même jeu est immédiate et ne se contredit pas.
Pis, ce nouvel habillage est par ailleurs un raté pour moi. En particulier, le tracé tarabiscoté de ces chemins en pointillés rouge détériore le confort de visualisation.
Moins rédhibitoire mais un peu gênant malgré tout : l’ambiance ne prend pas non plus. Quel est cet endroit exactement ? Nous sommes a priori des pirates débarqués sur une île à la recherche d’un trésor. Mais la représentation désertique (évidemment nécessaire pour avoir une coïncidence quel que soit le sens de juxtaposition des tuiles) s’éloigne de l’ambiance côtière ou maritime à laquelle l’univers de la piraterie nous renvoie.
De guerre lasse, je n’ai pu me résoudre à le pratiquer autant que son frère, malgré des possibilités ludiques en théorie (en tous cas mathématiquement) supérieures.
Toujours est-il que voilà objectivement un gros doublon auquel je préfère – vous l’aurez compris – l’ambiance reposante et les courbes plus harmonieuses du Jardin japonais.
Avec le sourire !
Déjà échaudé, j’abordais le troisième opus avec d’autant moins d’entrain que son thème plutôt improbable (les émoticônes en général et les smileys en particulier) ne me disait rien qui vaille. Mais alors vraiment rien.
Il s’agit pourtant pour le coup d’un principe totalement différent, et au final assez original : améliorer l’humeur des smileys imprimés sur le niveau jusqu’à les passer tous en version « sourire » (jaune). Pour cela, on dispose d’un certain nombre de pions (de plus en plus au fur et à mesure de la progression dans les niveaux), qu’il faut successivement placer de manière adéquate.
À partir de tout nouveau pion posé, on trace une ligne imaginaire dans les 8 directions possibles (horizontalement, verticalement, et en diagonale) jusqu’à rencontrer un élément jaune (smiley ou pion précédemment posé). Si une telle ligne comporte uniquement des smileys bleus ou rouges et aucun espace vide, alors ces smileys évoluent de la manière suivante : bleu devient heureux en jaune, et rouge sèche ses larmes pour passer au bleu.
Ce principe est assez difficile à saisir totalement par écrit ; fort heureusement les schémas d’exemples viennent à la rescousse, l’idée fait vite son chemin, et on hésite à peine pour réaliser les premiers niveaux.
On comprend vite que l’exercice est plus subtil qu’il n’en a l’air. L’ordre de pose est primordial pour créer des points d’accroche nécessaires aux futures lignes, soit en passant des premiers smileys en jaune, soit via les pions en eux-mêmes.
De manière assez inattendue donc, la mayonnaise prend. Ce n’est pas non plus une claque intersidérale, mais à tout le moins une surprise relativement positive. Et là encore, les niveaux avancés en ont dans le ventre et m’auront mis en échec de longs moments au point de parfois succomber aux sirènes de l’indice (NDR : je ne suis pas forcément très doué non plus).
Potions magiques
Le dernier né de la série (octobre 2017) met les pieds dans la marmite. Il propose de mélanger correctement des ingrédients peu ragoûtants, dans le but avoué de mixer une potion parfaite.
Chaque niveau figure un quadrillage plus ou moins imposant supposé représenter une page de grimoire. Certaines lignes et colonnes comportent des contraintes de contenu : nombre précis d’un ingrédient déterminé, nombre total d’ingrédients tous types confondus, ou encore nombre de types d’ingrédients différents.
Charge au joueur de remplir les espaces vides avec l’une des 7 tuiles Ingrédients à sa disposition. Comme une tuile se décompose en 4 quadrants de 0, 1 ou 2 Ingrédients chacun, son orientation joue donc un rôle important, et peut d’ailleurs être choisie librement. L’auteur nous garantit comme d’habitude une unique solution pour chaque niveau (et je n’ai eu de cesse d’échouer à le contredire sur ce point).
On retombe pour le coup sur un principe assez approchant des deux premières boîtes de la série, avec une juxtaposition de tuiles. Il s’avère plutôt assez différent au final, pas désagréable mais pas folichon non plus. En tout cas, il n’aura pas su me tenir en haleine au point de vouloir résoudre l’exhaustivité des niveaux.
On notera par ailleurs la disparition du guide thématique, sans en percevoir toutefois la raison, le thème n’étant ni plus ni moins plaqué que pour les précédentes itérations. Quelques textes d’ambiance sur la mythologie des sorcières ou autres topos scientifiques sur les propriétés du soufre auraient pu être tout à fait pertinents.
Positionnement final
Constat de base : cette mini-gamme de casse-têtes n’est pas inintéressante en soi, avec une mention spéciale (selon moi) au Jardin Japonais et à Avec le sourire! On passe un moment sympathique, mais on a quand même du mal à se passionner outre mesure.
Elle affiche ceci dit deux atouts : un prix relativement modeste (12€ pièce), et un boîtage peu encombrant en utilisation nomade.
Un problème majeur ne peut cependant être ignoré : le parallèle avec le spécialiste de ce créneau, j’ai nommé SmartGames, tourne difficilement à son avantage. Que ce soit en terme de matériel, plaisir de manipulation, originalité du processus de réflexion, on est quand même assez loin de la classe atteinte par les titres phares de cet éditeur expert en la matière, bénéficiant d’un créateur attitré depuis plus de 20 ans (Raf Peeters).
Là où les SmartGames surfent sur les aspects 3D, exploitent des contraintes physiques et autres trouvailles d’une ingéniosité assez incroyable, on est réduit ici à des puzzles à plat certes plutôt futés, mais qui souffrent malgré tout assez cruellement de la comparaison. Sur un thème plus ou moins équivalent autour de l’exploration, Chasse au trésor n’a pas le même attrait que L’Aventurier par exemple.
Pour finir, ces jeux ne sont pas non plus vraiment adaptés aux enfants avant 9 ou 10 ans. Ils s’adressent donc avant tout aux adultes :
- collectionneurs fans de casse-tête
- et/ou allergiques au plastique
- et/ou limités dans leur budget.
Une série de jeux de Reiner Knizia Illustrée par Andreas Resch Editée par Matagot en VF Pays d’origine : Allemagne Date de sortie : 2016/2017 De 1 à 1 joueur Durée constatée : variable A partir de 10 ans Prix constaté : 12€ par boite |
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morlockbob 09/01/2018
Bonne idée ce petit panorama, je m’étais arrêté au premier pour me concentrer, comme tu le suggère, sur les lapins, les renards et les champignons de… smart game.
TheGoodTheBadAndTheMeeple 09/01/2018
Oui SmartGames domine le marché… Avec des productions de grande qualité, et parfois d’une difficulté déconcertante malgré la simplicité du principe.
Tasmat 09/01/2018
Pareil pour avoir tester 2 ou 3 Smart Games et le Brain Jardin Japonais, ma préférence va à Smart Games.
Le fait d’avoir du concret sous la main est vraiment plus agréable 🙂
Mention spéciale pour Au Voleur que j’apprécie particulièrement
Shanouillette 09/01/2018
En effet je plussoie pas évident de venir concurrencer Smart Games sur leur terrain !
Meeeuuhhh 09/01/2018
Si ce n’est que SmartGames est beaucoup plus léger sur le côté : « cohérence visuelle, toujours du plus bel effet en rayon d’une ludothèque soignée », qui est quand même important.
J’aime beaucoup l’expression.
ReiXou 10/01/2018
A noter qu’au moins le premier est disponible en application Smartphone, très sympa !
https://itunes.apple.com/us/app/reiner-knizias-brains-japanese-garden/id985165888?mt=8
FX 18/01/2018
Avoir un challenger est toujours utile, sur le principe. Personnellement, j’ai passé un bon moment dans les jardins japonais. J’irais donc plutôt voir les brains suivant que SmartGames, même si je ne m’interdis pas d’y revenir ultérieur en cas de tarissement de la source 🙂