Bloodstones : les guerriers les plus puissants sont la patience et le temps

Dans la galaxie des auteurs de jeux de société, j’apprécie particulièrement Martin Wallace. Il nous mijote des petites mécaniques intéressantes, bien intriquées. des jeux de gestion, de réseau, des wargames et même parfois un mix de cela, comme AuZtralia. On peut dire qu’il sort des sentiers battus et nous propose des jeux qui prennent des risques, mais ne laissent jamais indifférent. Parfois ça passe, parfois ça casse, c’est le prix à payer. Il a à son actif quelques grands chefs-d’œuvre intemporels, ou à tout le moins marquants. comme Brass lancashire, même si BGG lui a préféré la version Birmingham.

Pendant longtemps il a créé mais aussi auto édité ses propres jeux dans sa maison d’édition Treefrog Games qu’il a fermé en 2017 après Handful of Stars, le dernier édité. Avant de revenir dans un système classique. Il semblerait qu’il revienne à l’édition avec cette nouvelle société nommée Wallace Design. Bloodstones est le tout premier jeu de ce nouvel éditeur, il fut lancé sur Gamefound en 2022. On parlait du suivant Steam Powers dans la rubrique du participatif, on note aussi un Fighting Fantasy Adventures annoncé pour 2024.

 

 

Un wargame fantastique

Bloodstones se présente comme un wargame à base de bag-building dans un univers médiéval fantastique avec des dragonniers, des géants, des pirates, des nécromanciens, etc. Le but du jeu est de conquérir des territoires, construire des villages et raser ceux des autres. Le jeu se termine quand chaque joueur a mélangé sa défausse un certain nombre de fois. (à 4 joueurs ça sera deux fois chacun).

Le wargame est un genre que j’affectionne assez moyennement, même si la curiosité me pousse parfois à m’installer à la table, surtout si en plus c’est Wallace aux manettes (ou si l’ami El Duderino maître es Wargame me le propose !). Il a une certaine virtuosité dans le genre, je pourrais citer Lincoln où il nous fait revivre la guerre de sécession ou bien l’incroyable A Few Acres of Snow. Dans un autre genre je pense aussi à Naissance et apogée d’un empire.

Celui dont on parle aujourd’hui semble assez léger, que ça soit dans son traitement thématique mais aussi sa mécanique, qui m’évoque fortement un autre de ses jeux (que j’aime beaucoup) Handful of Stars.

 

 

On a dit pas le matos

En général on ne parle pas trop du matériel de jeu, mais ici c’est tout de même assez compliqué de passer sous silence ces tuiles dominos en bakélite du plus bel effet que l’on glisse dans des sacs en velours côtelés. Comment ne pas évoquer ces nappes qui servent de plateau, pas un vulgaire tapis de néoprène, non des nappes en tissus colorées avec les contours de ces continents dans lesquels on va s’étendre et s’étriper joyeusement. Ces plateaux nappes sont incroyablement beaux, et la qualité du tissu met en valeur le travail des illustrateurs (Atticus McNaughtonLeith Walton).

 

 

C’est la tuile

Sur le papier, j’avais été conquis par cette mécanique de dominos tuiles  multi usages servant à la fois d’unité, mais aussi de ressources que l’on va dépenser pour placer nos unités, nos villages, nos châteaux, etc. Elles sont utilisées aussi pour déplacer nos unités et même parfois pour les combats. Une ressource pour tout faire.

Chacune de nos tuiles possède plusieurs informations : au milieu le type d’unité que l’on va mettre en jeu, à gauche le coût de l’unité, par exemple, pour mettre mon chef en jeu, je vais devoir défausser deux de mes tuiles. Choisir, renoncer, mon mantra.

Enfin sur à droite, les espèces de triskell sont des points d’action, c’est en prenant en compte ces PA que l’on va pouvoir déplacer nos unités, construire et même capturer des villages, moyen de s’étendre et de gagner des points de victoire au moment du décompte. Ce sont ces PA aussi qui vont servir pendant les combats. mais j’y reviendrai plus tard et en détail. Et cela coûte plus ou moins de “PA” selon le terrain que l’on traverse pour nos unités ou même les constructions.

 

 

Quand on finit son tour, on refait sa main à six en piochant des tuiles dans notre sac, comme dans un Deckbuilding. Quand celui-ci est vide, on remet toutes les tuiles défaussées dans notre sac, mais surtout on fait avancer le marqueur de tour. On passe immédiatement au décompte (personnel), en fonction du nombre de villages que l’on a installés sur les territoires. Il faut donc s’étendre et construire le plus de villages possible avant cette phase. Le jeu se termine quand chaque joueur a refait son sac un certain nombre de fois, c’est un mécanisme que l’on retrouve dans  Handful of Stars.

Revenons sur ces tuiles, tout le dilemme étant dans la gestion de celles-ci. Quelle tuile j’utilise comme unité, quelle tuile je défausse pour les déplacer, etc. Combien de tuiles je garde pour le prochain tour ou même, est-ce que je garde cette tuile éventuellement pour les combats à venir. Il faut aussi calculer le bon moment pour réaliser le décompte, c’est à dire quand on a le plus de villages sur le plateau.

On se fait facilement des nœuds aux cheveux, et il n’est pas rare que l’on revienne en arrière (du moins sur les premières parties), parce que l’on a mal optimisé ses actions et qu’il nous manque un mouvement pour réaliser le coup planifié. Je retrouve les sensations des jeux à nombreux points d’actions comme Mexica, Tikal et consorts, et les tours peuvent être un peu longs, Il vaut mieux aussi qu’il soit supervisé par un autre joueur car on n’est jamais à l’abri d’une erreur. 

D’autant qu’il faut, et c’est heureux, jouer avec l’asymétrie de nos factions et de nos troupes. Fort heureusement on a une aide de jeu plutôt bien faite qui recense toutes nos tuiles et leurs pouvoirs, les coûts de déplacements en fonction des terrains, etc.

Mais en jeu cela donne souvent cela : 

– « Ah zut, une seconde, je recommence, j’avais oublié que cette unité a un mouvement en plus. Mince ! il me manque un point d’action pour faire ce que je voulais, je rembobine. »

C’est un peu dommage, on perd le coté épique et on se retrouve dans un calcul d’apothicaire qui nuit grandement au plaisir du jeu.

 

Fight !

Les combats quant à eux ne sont pas inintéressants, et nous laissent plusieurs choix possibles. D’abord le joueur attaqué peut décider de replier ses troupes et fuir le combat en se rendant sur une zone adjacente qu’il contrôle, si et seulement si il a autant ou plus d’unités de Cavalerie que le joueur attaquant. Oui de cavalerie parfaitement, c’est une des nombreuses micro règles du jeu qui fait que l’on se prend régulièrement les pieds dans le tapis.

Je vous passe les autres règles qui concernent les spécificités des factions. Sachez néanmoins que vous ne pouvez pas non plus vous retirer si vous avez un château ou une citadelle. Mais cela va de soi, on ne va pas abandonner son château aux mains de l’adversaire sans combattre.

 

Les sacs avec les tuiles combats.

 

Quand le combat s’engage, chacun des belligérants va piocher 3 ou 4 tuiles dans un sac dédié. Ces sacs de combat contiennent les mêmes huit tuiles de combat avec plus ou moins de ces « triskells ». L’avantage est donné à celui qui a le plus de troupes engagées, mais il piochera juste une tuile de plus et ne devra de toute façon en prendre en compte que trois. Le hasard existe évidemment, mais il est mitigé par les tuiles que l’on a en main.

C’est là que les “triskell” sur les tuiles peuvent servir. On peut aussi remplacer une de nos tuiles par une tuile que l’on a en main. Là aussi on va être dans un décompte un peu fastidieux qui m’a un peu sorti du jeu, tout va dépendre des tuiles que l’on a engagées dans le combat avec leurs éventuels bonus et malus. 

 

 

Ce qui accroît aussi le côté bordélique de la chose, c’est l’amoncellement des tuiles que l’on va déplacer, le plateau tissu est certes très joli, mais les cases sont trop petites pour accueillir tout le monde et on a tôt fait de se tromper. Quand on a deux ou trois tuiles ça va, mais il arrive surtout en fin de partie que l’on déplace une pile de tuiles qu’il va falloir dépiler justement pour réaliser le combat et gare aux erreurs.

 

 

Je reviens sur le le caillou, que dis-je le rocher dans la chaussure de ce jeu, si la mécanique centrale est simple elle est régie par de multiples règles qui vont interférer avec les règles de base, certaines relativement organiques, si vous jouez le peuple des collines et que vous avez un géant, c’est vous qui piochez 4 tuiles dans le combat. Chaque type de terrains a son nombre de déplacements, et ses spécificités, par exemple on ne peut pas traverser de terrains montagne, exceptés les dragons parce qu’ils volent, ou les zombies, parce que, ben je ne sais pas en fait, peut-être qu’ils ne ressentent pas la fatigue parce qu’ils sont morts ? ^^

Les dragons n’ont pas de malus dans les déplacements, normal ils volent, nos leaders ont un truc en plus, ils peuvent emporter avec eux une troupe gratos comme ça. On peut passer par un désert mais pas y rester, sauf..

Je vous vois venir « tu pinailles, on a l’habitude de tas de règles qui s’imbriquent les unes aux autres dans ce genre de jeux ! ».

Et vous avez raison, d’autant que la plupart d’entre elles sont thématiques en plus, mais mis bout à bout, ça devient le « bordel » et on repart dans des calculs qui encore une fois nous sortent du jeu. D’autant que ce qui m’avait séduit dans ce Bloodstones c’est sa relative simplicité, mais qui n’est finalement qu’apparente.

Bloodstones est fourni avec 6 factions, chacune d’elles ayant ses particularités, ses forces et faiblesses, l’une d’entre elle me semble plus intéressante : avec la horde du chaos vous ne gagnez pas vos points en construisant des villages, mais en gagnant deux points par village rasé (au lieu d’un seul), et vous débutez avec 10 points.

 

 

Faîtes l’amour pas la guerre

Bloodstones a quelque chose de Smallworld, avec nos factions issus du fantastique, dans l’occupation du terrain aussi. Mais Bloodstones fait dans la fausse simplicité, contrairement au jeu de Philip Kayaerts. On est noyé dans un océan de micro règles qui ternissent l’expérience, un jeu de calcul qui détruit tout souffle épique. On se dira aussi que c’est un peu long pour ce qu’il propose. Beaucoup trop de temps morts aussi, trop d’analysis paralysis. 

Il restera tout de même une belle asymétrie, une édition de toute beauté même s’il faut y mettre le prix. Vous l’avez compris, je n’ai pas été charmé par Bloodstones qui selon moi ne réussit son pari, il est vrai que ce n’est pas mon genre de prédilection, mais pour autant je peux apprécier la mécanique bien huilée d’un Naissance et apogée d’un empire, ou d’un Handful of Stars de ce même Martin Wallace, et je me serais laissé tenté par ce titre s’il avait été conforme à mes attentes.

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