Black Forest : Faites tourner les verres !
C’est dans les vieilles marmites qu’on fait la meilleure soupe ! S’il y a bien une phrase qui caractérise Uwe Rosenberg, c’est bien celle-ci, même si ses soupes ne sont pas toujours très réussies. Uwe, accompagné de Tido Lorenz, nous propose une révision d’un jeu de ces années 2010 : La route du verre (que j’avais couvert ici à mes débuts sur Ludovox, cela ne nous rajeunit pas…).
La route du verre fait partie des jeux qui ont marqué ma sensibilité ludique, sans doute un des titres de l’auteur que j’ai le plus apprécié, même s’il est moins connu que d’autres plus emblématiques. Véritable casse-neurones rotatif, il mettait notre réflexion à rude épreuve avec un système de roue de ressources innovant.
De la micro-gestion à manipuler avec une grande finesse, où chaque point de victoire gagné était mérité à la sueur de nos choix. Bref, une perle ludique entre mes doigts de joueur !
Black Forest, c’est la Route du verre. Enfin presque.
Cela ressemble à s’y méprendre, mais ce n’est pas tout à fait pareil.
Pour commencer, on reste thématiquement dans la forêt bavaroise, au fin fond de l’Allemagne rurale du 19eme siècle, où nous allons gérer tout un écosystème d’artisans désireux de produire du verre. Oui, c’est un thème qui peut envoyer du rêve. Cela me met des étoiles plein les yeux. J’assume. C’est tellement stimulant d’avoir à activer tous ces corps de métier, bûcheron, porteur d’eau, etc, et de les faire travailler en symbiose pour obtenir ce noble produit manufacturé qu’est le verre.
Pour profiter pleinement de l’analyse qui va suivre, je vous suggère au préalable de regarder le ludochrono.
Choisir, c’est renoncer…
Pour celles et ceux qui connaissent La route du verre, ce qui frappe dès l’ouverture de la boîte, c’est le plateau de jeu. Inexistant dans le premier opus, nous avons maintenant une belle carte rurale avec ses villages, ses chemins, et divers lieux typiques des campagnes de l’époque, comme le château ou le marché aux bestiaux.
Ce plateau va remplacer une mécanique centrale du jeu original : la sélection des cartes Artisan.
Les joueurs et joueuses avaient auparavant une main de quinze artisans, devaient en choisir cinq, et en jouer seulement trois sur une manche. Chaque artisan proposant deux actions – si personne d’autre n’avait pris cet artisan, youpi, on pouvait réaliser les deux actions. Sinon chacun·e l’ayant sélectionné pouvait réaliser une des deux actions.
Cette sélection était le paroxysme du choix, à devoir éliminer des cartes tout en essayant de deviner ce qu’allaient faire les autres… Se concentrer sur l’essentiel. Que ces choix étaient difficiles ! Qu’est-ce qu’ils rendaient le jeu tendu ! Qu’est-ce que j’ai pu hésiter sur chacune de mes décisions !
Mais ils pouvaient aussi provoquer de la frustration, parfois mal vécue dans ce type de jeux où l’on cherche l’optimisation ultime, quand toutes nos cartes artisans se retrouvaient tronquées à moitié de leur capacité, du fait des choix des autres. Une part de chance laissant un goût parfois amer.
Ce système de choix cornéliens n’existe plus dans Black Forest. Les artisans sont tous sur le plateau de jeu et il suffira de se rendre dans le village où ils se trouvent pour les activer.
Ils seront parfois bloqués par des pions adverses, mais le nouvel artisan Marchand peut pallier cette problématique de blocage. Moins d’interactions et d’observation du jeu des autres, mais plus de contrôle sur l’enchaînement des actions pour construire son jeu. De l’interaction entre les joueurs sur le choix des artisans, il ne reste que cette ressource qu’on donnera aux autres, si on positionne notre pion dans le village où ils sont présents. C’est irritant mais loin d’être pénalisant.
Ce changement majeur dans la mécanique du jeu ne lui porte néanmoins pas tant préjudice. Black Forest se concentre sur l’optimisation fine, organisée, précise de nos choix, sans cette incertitude de pouvoir mener notre plan dans son intégralité.
Tourne, tourne, petit moulin !
Ce qui faisait le cœur de La route du verre reprend du service dans Black Forest. Il s’agit de l’élément principal de la mécanique, de ce qui fait toute la saveur du titre : les deux roues permettant la gestion de vos nombreuses ressources.
Les ressources de base permettront de payer divers coûts (bâtiments, activation d’ouvriers…) mais surtout de générer automatiquement de précieuses ressources manufacturées : le verre sur la première roue et les marchandises et provisions sur la seconde.
Dans La route du Verre et Black Forest, les ressources de base sont essentiellement générées via l’activation des artisans. Ces derniers n’ont guère changé : le bûcheron coupe vos forêts pour avoir du bois, le bâtisseur construit… Mais quelques nouveaux venus font tout de même leur apparition, particulièrement le boucher, qui introduit une nouvelle ressource : la viande. Et oui, une touche d’Agricola intègre Black Forest avec les animaux, bœuf et sangliers, qu’il faudra parquer ou manger (mais pas reproduire).
Le marchand, précédemment cité, fait aussi son entrée, et pourra s’intervertir avec un autre artisan contre une marchandise, autre nouvelle ressource. Enfin, et pas des moindres, les provisions intègrent le jeu. Celles-ci seront indispensables à votre pion pour vous déplacer sur le plateau. Un chemin parcouru, une provision. C’est un élément à ne pas négliger, car se retrouver sans devient vite pénalisant.
Votre capacité à gérer vos roues de ressources sera déterminante dans l’extension de votre petit domaine agricole. La maîtrise s’en fait au cours des parties, pour ne plus se laisser surprendre par une perte subite d’un ensemble de ressources de base transformées en une ressource manufacturée. Heureusement, nous retrouvons un autre élément central du premier opus : les bâtiments à construire.
Zwiesel (ville du verre bavaroise) ne s’est pas construite en un jour
Trente-six. C’est le nombre de bâtiments qui vous seront directement accessibles dès le début de la partie. Bien sûr, tous ne seront pas constructibles au premier tour, mais la possibilité de choix reste impressionnante. Dans La route du verre, un nombre limité étaient accessibles, se renouvelant en début de manche. Dans Black Forest, tout est à disposition immédiatement.
Bien que cela puisse donner une première impression de se noyer dans la multitude de choix possibles, cela permet en réalité d’avoir un meilleur contrôle sur la planification de nos actions et d’anticiper les ressources à obtenir sur certains bâtiments un peu coûteux, en étant attentif à ne pas passer 30 minutes en début de partie pour tout analyser.
Comme dans La route du verre, les bâtiments de Black Forest se séparent en trois grandes catégories : Ceux donnant un gain immédiat, ceux donnant un avantage pour toute la partie, puis ceux qui permettent de faire de la conversion de ressources à tout moment.
Vous ne construirez que peu de bâtiments dans votre domaine agricole, en moyenne cinq ou six selon votre stratégie, mais leurs choix orienteront très fortement votre développement. Avoir de la conversion est très fort, mais cela signifie se spécialiser sur une ressource pour en profiter. Il faudra aussi construire vos bâtiments sur votre petit domaine agricole. Nouveauté de Black Forest, ce dernier peut maintenant s’étendre (via une piste de progression de votre domaine), ce qui sera nécessaire pour avoir plus de forêt (donc du bois), plus de place, ainsi que de nouveaux espaces pour parquer vos animaux.
Une part importante de la rejouabilité du titre est assurée par la dizaine de bâtiments qu’il faudra retourner aléatoirement en début de partie sur leur autre face. Loin d’être anecdotiques, ces changements d’une partie à une autre permettront des axes de progression variés et des combos intéressants entre les bâtiments. Cela montre à quel point ceux-ci sont primordiaux à votre développement. Cerise confite sur le gâteau, certains bâtiments, plus grands, plus nobles, seront générateurs de points de victoire, et plutôt accessibles en fin de partie.
Au rang des nouveautés de Black Forest vient se rajouter les missions. Elles arriveront progressivement en fonction de l’avancée sur une des pistes de ressources, et seront toujours plafonnées au nombre de joueurs. Dès qu’une mission est réalisée, elle est remplacée par une nouvelle. Ces missions, très généreuses en gain si on réussit à les accomplir (en général, il faudra investir beaucoup pour avoir encore plus) peuvent vous relancer dans la partie.
Cependant, elles introduisent un aspect aléatoire surprenant, presque gênant pour ce jeu où l’on recherche l’optimisation la plus parfaite. En effet, quand une mission apparaît, pour peu que notre pion ne soit pas trop loin et qu’on ait les ressources disponibles, c’est jackpot, au grand dam des adversaires ! C’est un reproche qui est ressorti à chacune de mes parties, rajoutant cette touche d’opportunisme un peu malvenue, au point que j’envisage de modifier la règle pour que la prochaine mission à venir soit visible, histoire que tout le monde puisse anticiper son arrivée et ne pas être pris au dépourvu.
Vous reprendrez bien une part de Forêt noire ?
Black Forest est une vraie réussite. Peut-être ne suis-je pas complètement objectif, ayant tant apprécié La route du verre, mais cette revisite du jeu a été admirablement bien menée. On reste dans un jeu de même calibre, pour « experts » ravis de faire chauffer leurs neurones, mais les améliorations apportent un plus indéniable au jeu, sans en dénaturer l’essence.
On retrouve exactement les sensations du premier opus, avec moins de frustration, et plus de maîtrise. Le tout sur une édition de toute beauté (reconnaissons que ce n’était pas bien difficile de faire mieux, La route du verre étant assez austère graphiquement). De dubitatif (à vouloir faire du neuf avec du vieux, Uwe Rosenberg ne m’a pas toujours convaincu sur le renouvellement de ses titres), je suis aujourd’hui comblé, ravi et enthousiaste à ouvrir cette boîte remplie à bloc. Black Forest prend sa place méritée dans mes titres phares de l’année 2024.
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Ihmotep il y a 19 heures
Par rapport aux « gros » jeux de Uwe (Agricola, Ora et Labora, Caverna, et cetera,….), la route du verre était plus rapide à jouer tout en restant riche de choix et passionnant. Le système de cartes est ce qui pour moi le rendait exceptionnelle et lui donnait son originalité. Choisir ses cartes avec soin en anticipant les choix des autres, planifier en avance les alternatives possibles en 5 cartes, prévoir des plans B, que du bonheur. Dommage qu’ils aient abandonné ce qui faisait le sel du jeu 🙁
Grovast il y a 19 heures
Le choix des cartes artisans et son pseudo-guessing était ce qui me déplaisait pas dans La Route du Verre. Avec si peu d’indices, grosse réussite nécessaire pour tomber juste et passer entre les goutes.
Donc, intéressé par ce refactoring. Ça file dans ma playlist ! Merci pour le survol.
Grovast il y a 19 heures
Erratum : ce qui me déplaisait
L’inverse de Ihmotep quoi 🙂
Par contre je suis d’accord que c’était aussi ce qui en faisait une singularité, à voir s’il reste suffisamment pour être autre chose qu’un énième jeu de collecte / transformation de ressources en PV.