Arborea : le chant du psylo qui supplie
Avez-vous déjà joué à Bitoku de German P. Milan dans lequel il vous faut simplement remplacer le grand esprit de la forêt qui se meurt..? Et bien dans Arborea, de Dani Garcia, on est un peu dans le même genre d’univers, puisqu’on va tous ensemble œuvrer pour la croissance de mondes étranges.
Dani Garcia est un des nombreux auteurs espagnols dont je surveille les travaux, si Barcelona ne m’avait pas totalement convaincu (notre just played), il avait réussi à faire jouer les joueurs ensemble, je veux dire par là, à les faire lever le nez de leur plateau personnel. Arborea, on en parlait dans cette news, je dois dire que j’étais assez fortement excité. Jugez plutôt : un système de pose d’ouvriers à la Tzolkin (on y reviendra), des ressources communes aux joueurs, de la gestion de ressources, et de la pose de cartes. Alléchant non ? Et puis, c’est plutôt joli non ? Arborea a aussi fini cinquième au diamant d’or cette année 2024.
L’arbre qui cache la forêt…
Hum, alors quand vous vous approchez d’une table qui joue à Arborea mettez vos lunettes de soleil, vous pourriez vous brûler la rétine ! On a un plateau ultra coloré à la limite de la lisibilité. Finalement, Arborea est peut-être la vision que l’on aurait sous acide d’une banale forêt : )
Parlons aussi de nos ouvriers, pardon, les pèlerins que l’on va placer sur les pistes, on dirait des peuples champignons. Non vraiment c’est magnifique, on est à la limite de l’œuvre d’art, le travail de Nico Gendron et Javier Inkgolem (que l’on a déjà vu dans un autre genre sur Kraftwagen) est sublime. Je me moque un peu, mais une fois en jeu on s’habitue. On est aidé par une ergonomie certes abondante, mais vraiment très bien faite – et heureusement d’ailleurs.
Que fait-on dans cette forêt ?
Commençons par le commencement. À notre tour, nous avons deux choix, le tout premier, placer un de nos meeples sur une des quatre pistes, l’autre, faire avancer une piste. Quel que soit le choix, à la fin de la manche, toutes les pistes où nous avons des meeples avancent, en fonction du nombre et du type de meeple.
Ces pistes pèlerinage ressemblent mécaniquement à la roue de Tzolkin. Plus on attend et plus les gains et ressources sont importants. Quand on pousse une piste, on favorise tous les meeples présents sur celle-ci, que ce soit les nôtres ou non. Cette interaction est intéressante à plus d’un titre. Ce faisant, on peut décider de rester sur la piste pour des gains plus intéressants, ou descendre, et les autres joueurs peuvent faire de même. On pourra ensuite à notre tour, suivre le sentier et récupérer toutes les ressources. C’est tout de même plus permissif que Tzolkin, on peut toujours suivre un sentier précédent si on le souhaite et on n’est jamais éjecté de la piste.
Ensuite, on peut activer deux de nos meeples dans le même tour s’ils sont descendus et ce n’est pas anodin, car parfois on devra décider de descendre d’une piste pendant le tour d’un joueur. C’est assez délicieux en vérité car générant une interaction intéressante où l’on se place sur des pistes occupées par les joueurs.
Attention, il faudra procéder très séquentiellement sans quoi on pourrait tout simplement faire des erreurs, surtout quand on active deux meeples. On peut aussi activer un troisième meeple si on dépense de l’esprit.

Jauge d’Esprit
En effet, il y a une jauge d’esprit, on pourra en dépenser pour des actions bonus, mais cela peut se faire au prix de points en moins en fin de partie, il faut donc savamment jauger quand c’est utile de le faire, et quand il vaut mieux s’en dispenser (on peut gagner ou perdre jusqu’à 20 points). C’est un élément avec lequel on peut jouer, même si cela contribue à des phases de constipation neuronale supplémentaire. Bon, en réalité, il faut le faire, avoir des actions bonus c’est très important, et il existe des moyens de remonter cette piste, c’est même un axe primordial pour la victoire.

Ici le joueur bleu pourra activer son meeple pour attirer une créature Rouge : gagner une ressource feuille puis activer un sage avant de revenir sur son plateau.
Que fait-on sur ces sentiers ? Tout plein d’actions : on peut placer de nouveaux meeples, en débloquer d’autres, gagner des cartes, attirer des créatures, et les accueillir sur nos Biomes. Et surtout, gagner des ressources, de plusieurs types, cela dépendra de la zone que l’on a activée.
Ces ressources sont communes à tout le monde, vous pouvez les dépenser lors de votre tour quand vous les gagner pour réaliser une carte Biome au-dessus de votre plateau, mais sachez que si vous ne le faites pas, elles vont vous rapporter des points. Par contre, c’est peut-être un sacré cadeau que vous faites à vos adversaires – c’est un point crucial à ne pas négliger et parfois on temporisera pour dépenser nos ressources lors d’un tour prochain. D’autrefois au contraire, on sautera vite sur des ressources avant qu’elles ne disparaissent. Dans Arborea tout fonctionne sous forme d’écosystème. J’attire une créature, je gagne un bonus, mais ce faisant un autre joueur pourra ensuite l’accueillir chez lui.

Les ressources : sur la piste rouge que je viens de monter de 2 à 4, je peux dépenser les 4 ressources, ou bien en fin de tour gagner les 2PV indiqués dans la case entre les deux marqueurs rouges.
Ces cartes Biome sont un jeu dans le jeu. On dépense les ressources indiquées, on gagne les bonus, puis la carte est retournée et placée dans notre zone de jeu. Globalement on est assez libre dans le placement, on peut recouvrir partiellement une carte déjà placée, placer une carte adjacente à un bord par un autre, etc. Et pourquoi fait-on cela ?

Cartes biomes, avec une créature sur chaque pour le scoring de fin de partie.
Ces cartes Biomes vont accueillir des petites bestioles qui vont donner des points en fin de partie si on les place adjacents à leur biome ou s’ils sont alignés avec d’autres types de créatures. Une sorte de puzzle à optimiser au mieux. Et j’avoue que j’ai plutôt apprécié cet élément du jeu. Là aussi, c’est un axe de points de victoire très important. Dans l’exemple ci-dessus, ma Grenouille Fongie (cherchez pas, c’est son petit nom) rapporte 3 points pour chaque habitat de sa couleur adjacent, soit 6 points ici, mais en plus comme elle est adjacente à un Biome Eau, je double ces points. La ressource Eau est importante à plus d’un titre, on l’a vu pour le scoring, mais aussi parce que c’est une ressource joker, et dans un jeu où il y a pas moins de six ressources, ça peut aider.
Petit détail qui n’en est pas un : si on découvre ce qu’il y a derrière la carte qu’une fois celle-ci réalisée, en réalité on sait ce que l’on va avoir. Dans l’exemple ci-dessus, si je paye quatre Mousses (rose), j’aurais une zone avec des biomes de ces types-là, je ne sais juste pas comment ils seront agencés.

Un Biome bien occupé qui va me donner la bagatelle de 64 points sur un score de 200 points, c’est loin d’être négligeable.
Une forêt dense… trop dense…
Arborea c’est quatre pistes et huit zones différentes, trois types de meeples (les adultes, les jeunes, les anciens). Si les adultes reviennent d’un pèlerinage, prêts à repartir lors d’un tour prochain, ce n’est pas le cas des jeunes et des anciens qu’il faudra à nouveau recruter. Les anciens font avancer une piste de deux cases au lieu d’une. Ce qui est encore un axe à ne pas négliger.

Plateau perso avec mes pèlerins. Seuls ceux du bas sont débloqués pour aller sur les sentiers.
On peut faire des cadeaux aux Sages, ce qui donne des bonus quand on les active, seulement il existe huit sages (un par zone). Et chaque fin de piste, on peut activer notre sage et lui demander un cadeau parmi plusieurs choix (cela dépend du sage). C’est un élément de game design qui n’est pas inintéressant, mais cela ajoute à la surcharge d’informations. Et j’avoue qu’en fin de partie, quand je devais placer un cadeau je ne savais plus sur quel sage le faire, lequel j’avais prévu de déclencher plus tard.

Un des sages. avec les cadeaux à déclencher sur la gauche.
Et je n’ai pas fini : on a aussi des pistes de saisons qui vont donner des points en fin de partie selon une condition et un multiplicateur. On avance sur celles-ci principalement quand on place un de nos meeples sur la case correspondante, et c’est un peu lié à de l’opportunisme, ce n’est pas vraiment un choix stratégique, du coup j’avoue que je me serais bien passé de cet élément là.
Auprès de Arborea vit-on heureux ?
Arborea se disperse trop et part dans tous les sens. L’auteur nous a perdus dans les méandres de sa création. On finit dans une salade de points assez lourde et indigeste, et peu signifiante : on décompte chaque créature, la piste d’esprit, les pistes saisons, etc. Quand on marque 200 ou 300 points, on ne sait plus trop ce qui fait réellement la différence.
Autre point un peu critique, mais lié à l’appréciation de chacun·e, chaque tour se termine sur une petite phase de maintenance qui souvent incombe à une personne et qui peut être un peu pénalisante. Il faut surveiller que chacun·e n’oublie pas d’avancer les pistes, n’oublie pas de gagner les points pour les ressources non dépensées, et chaque créature que l’on place sur le plateau commun fait avancer le marqueur soleil qui déclenche la fin, et on peut facilement l’oublier quand on se retrouve à réaliser plusieurs multi actions. Cela fait beaucoup de manipulations. Si l’iconographie demande un peu de temps à être appréhendée, elle est vraiment très bien pensée. De manière générale, l’édition est incroyable, et le matériel aussi, toutes les photos proviennent de la version retail : c’est du Deluxe à la maison.

Les pistes de saison.
On se retrouve avec un jeu certes charmant, mais qui perd en dynamisme, les tours sont plutôt longs. Si j’ai apprécié toute la mécanique de l’écosystème entre les joueurs, la construction de son biome, je regrette cette tentation que je trouve un peu trop présente dans beaucoup d’eurogames actuels d’en faire des tonnes, d’ajouter trop de surcouches au jeu. Un peu comme Unconscious Mind (de Yoma, Laskas, Jonny Pac, Zax) dont on devrait parler très bientôt.
J’ai du mal à suivre un plan de jeu, d’un tour sur l’autre j’oublie facilement ce que je pensais faire. Par exemple sur un tour, je planifiais de jouer une de mes cartes mais il me manquait une Eau – en fait cette eau je pouvais la gagner en activant un sage et une fois mon tour arrivé, je me suis rendu compte que j’étais descendu du mauvais côté de la piste. En réalité ce n’était pas si grave, j’ai trouvé une alternative qui a peut-être été meilleure. C’est le genre de choses qui peut arriver dans les jeux un peu touffus. Dans Tzolkin il m’arrive d’avancer trop sur la roue parce que j’ai oublié ce que j’avais planifié, mais ça m’arrive une fois dans la partie. Dans Arborea, ce genre de choses arrivent très souvent. Probablement que le plateau surchargé n’aide pas la lecture. On a aussi eu du mal à trouver du concret dans ce que l’on faisait : si l’habillage est magnifique, il ne fait pas vraiment sens. Si l’on peut y jouer à partir de deux joueurs et jusqu’à cinq, je conseille plutôt trois ou quatre, pour trouver un équilibre entre l’interaction et la durée de partie.
À mon sens, on passe pas si loin d’un très bon jeu, malheureusement on dirait que l’auteur et/ou l’éditeur n’ont pas su débroussailler cette forêt. Le trop est l’ennemi du bien. Dommage !
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