Alubari : À Bord du Darjeeling Limited
Alubari est une création de Tony Boydell – pour ceux qui ne le connaissent pas, c’est lui qui a créé Snowdonia (2012), un jeu de pose d’ouvriers où l’on devait construire le chemin de fer dans le pays de Galles. Alubari est une réitération de Snowdonia repérée par Hicham quand il était chez Matagot et il est parti avec le projet sous le bras quand il a fondé le Studio H.
Je me permets une petite pause tout en sirotant mon Darjeeling. J’aimerais attirer votre attention sur cette magnifique cover qui nous invite au voyage, le titre Alubari inscrit avec des enluminures dorées et un train à vapeur stylisé qui laisse échapper des volutes de fumée se transformant en feuilles de thé. Tout cela sur un fond vert chaleureux avec des éléments de décorations indiennes. Magnifique !
Construisons le chemin de fer vers l’Himalaya
Nous allons déblayer les plantations de thé pour y placer nos marqueurs de propriété, afin d’y récolter du thé. Mais nous allons aussi nous atteler à construire les rails pour aller jusqu’à Darjeeling. N’oublions pas non plus de souscrire quelques contrats qui, une fois honorés, nous offriront des points de victoire en fin de partie.
Attention, la météo capricieuse va nous impacter, sans oublier les événements qui peuvent avoir des effets positifs comme négatifs.
Les mains dans le cambouis (écosystème)
Alubari est ce que j’appelle un jeu à écosystème, c’est-à-dire que le jeu va évoluer en fonction des actions de joueurs. En effet, au début, notre terrain de jeu est limité : on ne pourra que déblayer les plantations de thé, ou bien construire dans la ville de Siliguri Town… mais quand un joueur construira les premiers rails, on pourra installer nos gares dans les villes suivantes jusqu’à la prochaine intersection.
De même, nous avons des plantations à déblayer pour y installer nos comptoirs. Quand un joueur déblaye l’intégralité d’un lieu, il peut y placer son marqueur de propriété, cette plantation produira pour lui.
On essaie d’optimiser pour pas faire le boulot pour les autres, même si les gravats pourront être utilisés plus tard. Quand toutes les plantations sont déblayées, l’action idoine n’est plus disponible et on la remplace par une action de construction (c’est logique non ? ^^).
La roue des événements
Mais ce n’est pas tout, si les joueurs ont un impact sur ce fameux écosystème, le jeu lui-même l’alimente. En début de chaque manche, pendant la phase de maintenance nous allons approvisionner l’entrepôt en piochant des cubes dans le sac, pour chaque cube blanc un événement va se déclencher et ceux-ci peuvent accélérer le jeu ou bien nous mettre une épine dans le pied. On pourra les anticiper, bien que le hasard n’empêche pas que l’on puisse piocher 3 cubes d’un coup… Mais cela engendre une belle tension.
Par exemple pour l’événement Maintenance on devra payer un acier pour chaque équipement, et si on n’en a pas, il faut défausser ledit équipement… Aïe ! Un autre construit directement une nouvelle voie (on pose un jeton neutre sur le premier rail). Si on traîne trop, le jeu accélère la partie. Bref, cela ajoute de la vie et encore plus de tension s’il en était besoin. Mais cela n’engendre pas que des effets négatifs, en effet un événement nous permet de récolter du thé et c’est le thé qui nous permet de produire du chai (mais nous y reviendrons).
On retrouve un tel système d’événements dans beaucoup de jeux, il a le mérite d’apporter une once de thématisation (je pense à Outlive ou à Orléans mais bien sûr aussi aux jeux plus ameritrash qui utilisaient cette formule avant) mais aussi de casser la monotonie. Mais dans Alubari ces événements sont partiellement maîtrisables, on sait ce qui va se passer et dans quel ordre. Ce que l’on ne sait pas, c’est quand et cela met une petite pression. On peut jouer avec le feu en se disant qu’on a le temps, au risque d’être puni si jamais les petits cubes blancs sortent du sac tel un lapin du chapeau d’un magicien (oui j’ai le droit de faire des métaphores complètement fumées si je veux ^^).
La pluie et le beau temps
Dans Alubari le temps est changeant et impacte notre jeu. Au soleil, nos ouvriers seront plus efficaces pour déblayer ou construire des voies. La pluie a bien entendu l’effet contraire, néanmoins elle favorise la production de nos plantations de thé (tout n’est pas perdu !). Pour des raisons de sécurité, on ne peut pas déblayer ou construire des voies dans le brouillard.
Pas de panique, si la météo est changeante on sait toujours deux tours à l’avance le temps qu’il va faire, et c’est à nous de nous adapter. Cette petite mécanique est intéressante, car en plus d’être thématique, elle engendre un peu d’anticipation et d’optimisation, mais aussi un peu de variété dans le jeu en étant plus ou moins prévisible.
La météo est un gimmick utilisé dans de nombreux jeux. On pense à Takenoko ou la pluie fera pousser les parcelles irriguées ; à Niagara où les joueurs pourront influer en jouant des cartes pour accélérer le flux de la rivière ou le ralentir. Robinson Crusoé proposait un système de ce genre avec des dés et des aléas qu’il fallait prévoir (gare à vos fesses si vous n’avez pas construit un abri avant le déferlement des tempêtes !). Et revenons à Snowdonia où cette mécanique était présente et faisait tout le sel du jeu. Dans Alubari comme Snowdonia d’ailleurs, c’est un élément que l’on peut anticiper, prévoir (comme un bulletin météorologique).
De la pose d’ouvriers classique
De la pose d’ouvriers ordinaire, oui sauf que nous n’avons que deux ouvriers : tout à tour nous posons nos ouvriers et nous résolvons les actions dans le sens de la marche. On pourra éventuellement engager un intérimaire plus tard, mais à la fin de la manche il repartira à la Tea House.
Là aussi nous sommes dans du classique, pour ainsi dire en terrain connu : on ira à l’entrepôt récupérer des ressources, déblayer des plantations, poser des rails, construire des bâtiment dans les villes reliées au rail, acquérir des contrats au bureau de poste et produire du thé ou du chai. Vaste programme.
Qui dit pose d’ouvriers dit aussi emplacements limités. Il va falloir se battre pour certains emplacements, et prendre le marqueur premier joueur est important. Le timing est crucial pour ne pas avoir l’impression de travailler pour les autres. Mais dans Alubari il faudra penser ses choix dans le bon ordre afin d’optimiser au mieux ses actions : un passage à l’entrepôt pour prendre des ressources de minerais, puis un saut à la fonderie pour aller transformer ces ressources en acier afin de construire des rails ou acheter un équipement.
Les thés indiens
Le chai a des vertus insoupçonnées ! On pourra le dépenser pour réaliser des actions améliorées et c’est délicieux, car ce n’est pas si simple d’avoir du chai, à vous de le dépenser avec justesse. Exemples d’actions bonifiées : prendre deux ressources de plus à l’entrepôt, doubler l’action de construction (mais je paye les ressources pour les deux c’est pas la fête du pagne ^^). Accessoirement, c’est ce genre d’actions qui me permettra de griller la priorité à un joueur qui allait construire (et de bien le faire couiner).
Le chai nous permet aussi d’engager notre troisième ouvrier qui se prélasse à la Tea House, mais attention ne rêvez pas, ce n’est qu’un intérimaire, par conséquent il faudra l’engager à chaque nouveau tour. Pour cela, on devra payer avec du chai (eh oui rien n’est gratuit, vous auriez voulu l’exploiter sans conditions ?).
Comment gagne-t-on du chai ? Le plus simple reste d’utiliser les feuilles de thé que nous avons produites pour les transformer, mais encore faut-il avoir du thé (et cela dépendra aussi des conditions météorologiques).
Anecdote : Sur une partie, j’ai rapidement pu embaucher mon troisième intérimaire, pendant que mon adversaire n’en avait que deux pendant un bon moment et cela ne m’a pas empêché de perdre lamentablement. À l’inverse dans une autre session, je n’ai jamais réussi à obtenir ce troisième larron et pourtant, en optimisant bien mes actions, je l’ai emporté au nez et à la barbe de mon adversaire (qui n’a pas de barbe, mais passons ^^).
Quand tout est bien huilé
Alubari est un jeu d’optimisation nous l’avons vu, mais il nous offre aussi des jolies combos, les deux aspects sont liés. En achetant des équipements, on pourra embaucher notre intérimaire (non, ce n’est pas possible avant). De plus, chacun de ces équipements a un bonus que l’on va tenter de faire fructifier : ça peut être un gain sur une action, le Garratt D Class nous offre un chai quand on construit une voie, l’équipe de construction nous offre une réduction dans les constructions…
En construisant un bâtiment (en payant les ressources bien sûr) on marquera des points de victoire et/ou des bonus. Là aussi, si on prend ceux qui sont adéquats, ça peut faire la différence.
Enfin les contrats, que l’on souscrit au bureau de poste, sont indispensables pour remporter la partie. Tony Boydell (l’auteur) nous mettait en garde dans les règles de Snowdonia : n’espérez pas gagner sans les contrats nous disait-il. En effet, ceux-ci sont très juteux, et si l’on parvient à les honorer ce sera des points de victoire en fin de partie. Ils nous poussent aussi dans une direction. De plus les contrats offrent un bonus (une seule fois dans la partie, mais pour toute la manche). Et, encore une fois, jouer là dessus à bon escient peut faire la différence.
Snowdonia 2.0 ?
Quand on regarde l’ADN de Alubari on constate beaucoup de similitudes avec Snowdonia. La mécanique est quasiment la même. Il faudra gérer des événements ainsi que la météo (même si dans Alubari la pluie n’est pas uniquement négative, elle permet aussi d’irriguer et donc d’apporter un peu de feuilles de thé nous l’avons dit). Dans Snowdonia on devait déblayer des gravats pour pouvoir accéder aux gares, avec Alubari déblayer nous offre des plantations qui donneront du thé quand la récolte viendra.
L’installation de Snowdonia était fastidieuse : il fallait placer des cartes autour du plateau, ainsi que des cubes de gravats sur certaines (les cartes représentaient les villes et gares à déblayer, construire puis traverser). Dans Alubari tout est simplifié, et surtout déjà présent sur le plateau. L’installation s’en trouve améliorée.
Ce qui fait la différence, c’est principalement cette piste de chai qui nous permet de gagner un nouvel ouvrier, mais aussi et surtout de donner un boost à nos actions. Il est à noter que le géomètre a quant à lui pris sa retraite.
Là où Alubari enfonce Snowdonia c’est indubitablement sur l’édition, je vous ai déjà parlé de cette boite magnifique, mais le plateau est à l’avenant, et cela sans casser la sacro-sainte ergonomie. Les aquarelles de Cécile Guinement nous permettent d’apprécier le paysage de cette région de l’Inde (Bengale-Occidental). Le matériel tout en bois est d’excellente qualité. Le mot qui me vient à l’esprit, c’est sobriété et classicisme (oui je sais, ça fait deux mots).
Certains jeux ajoutent des quantités de cartes et de tuiles pour nous faire croire à leur rejouabilité que je trouve personnellement souvent artificielle. Dans Alubari la mise en place va différer sur les cartes plantations (un équipement sur les 8 n’est pas présent par partie). Mais ce qui offre des situations diverses et variées c’est avant tout le jeu des joueurs, ainsi que les événements et la météo qui est loin d’être anodine nous l’avons dit. Assurément la partie ne va pas se dérouler de la même façon selon ces conditions, cela va influer directement sur votre production de thé et donc de chai.
Pour conclure, je dirais qu’Alubari est un jeu qui mélange la pose d’ouvriers avec de la récupération – transformation de ressources, et des réalisations de contrats. Un genre classique, plutôt sur-représenté, cependant il tire son épingle grâce à cet écosystème qui nous implique dans le jeu, ainsi que la météo et les événements qui rebattent les cartes. Son tempo est très particulier, rendant le jeu dynamique et créant de la tension et des dilemmes permanents. Sans oublier l’optimisation prépondérante pour l’emporter. Nous avons joué à deux joueurs et cette configuration est parfaite. C’est la seule question que j’émettrais : comment Alubari tourne à plus de deux, ne risque-t-on pas de moins maîtriser la partie ? À priori non car les emplacements sont limités en fonction du nombre de joueurs… Mais on reviendra dessus dans un futur Test.
Un thème peu usité, des aquarelles et un matériel aux petits oignons, une mécanique simple et pourtant originale, une interaction certes indirecte, mais très forte… on sent que l’auteur s’est inspiré de Wallace (mais qui ne s’est pas inspiré du maître ? ^^). Nous avons beaucoup aimé Alubari qui se savoure comme un bon thé ; entre amis ou avec sa conjointe ou son conjoint. Un nuage de lait dans votre eau chaude ?
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Seb0 06/02/2020
Dommage qu’il y ai une erreur de traduction en français pour le fonctionnement de la roue d’évènement. En anglais c’est clair, en français c’est faux et casse complètement le jeu. Ça a gâché notre partie et enterré le jeux: aucune envie d’y revenir autour de la table.
atom 16/02/2020
Je ne suis pas certain de bien comprendre, surtout que j’ai lu les deux règles (Vo et Vf) et que je ne vois pas de différences sur ce point précis.