ahoy : ça fait mal !

Avec des illustrations FORT reconnaissables, un éditeur, Leder games, qu’on pratique régulièrement, ce Ahoy titille de suite ceux qui se sont frottés au hit asymétrique qu’est Root. Asymétrique, ce mot qui promet une jouabilité particulière, puisque chaque joueur a un but et/ou une façon de manœuvrer qui lui est propre. À lui seul. Il faudra maîtriser son clan/faction, mais également savoir comment procèdent les voisins pour mieux anticiper leurs manœuvres. Ce qui s’avère vrai une fois encore avec ce Ahoy.

 

 

Avec une légère différence : deux des quatre factions  présentées sont identiques. Nous aurons à faire à deux Pirates dont la manière de gagner des points diffère, et deux Livreurs, œuvrant à l’identique mais à l’opposé des pirates. En résumé, deux factions seront concentrées sur la prise de territoire et le contrôle de régions, deux sur la livraison. Mais ceci n’est qu’un survol, car bien vite tout se complique. (Si la VF est annoncée pour le 12 avril sur le site de Matagot, la règle et les noms des factions ne sont pas disponibles au moment où j’écris cet article. Nous appellerons donc les factions à notre sauce : Les Requins (noir), les Livreurs (rouge) et les Mollusques (jaune) dans cette partie à trois).

 

 

Les trois factions distinctes déjà par le nombre de cases allouées…

 

Un océan trop étr-oy

La mise en place du jeu est assez rapide et minimale. Chacun prend sa faction, le nombre de dés qui vont avec, son navire, un or et les éléments associés (cartes, jetons, ailerons…). On dispose trois cartes équipage/lieu de livraison à recruter sur le marché, la piste des points est prête, nous voilà parés. Parés à… naviguer. La mer, terrain des déplacements, est en début de partie un espace riquiqui avec juste deux tuiles régions où placer son navire. Le décor va pouvoir s’agrandir avec l’exploration dont dispose chaque faction. Il y a 12 tuiles qui attendent. L’océan est parsemé de contraintes positives, négatives ou les deux, selon le hasard de la pioche et leur agencement :

Les courants : ils vous font avancer d’une case ou vous empêchent de passer, selon le sens dans lequel vous vous engagez. 

Les ports : une avarie, c’est le bon endroit pour réparer ou recharger ses canons.

Le brouillard signifie tranquillité. Ici pas de combat, on ne voit rien.

Le banc de sable : là impossible de traverser.

La décharge : certaines vous donnent un or, mais toutes vous infligent un dégât qui encombre une case de votre navire.

L’île : c’est là que l’on va recruter son équipage ou livrer sa cargaison, sous certaines conditions. Pour recruter, il faut que le logo du membre d’équipage désiré corresponde à celui de l’île sur laquelle vous avez accosté (tête de mort/oiseau/palmier/arête de poisson/boussole/sabres), et en payer le prix. Pour le Livreur, ce principe lui permet également de s’emparer de cartes qu’il place sous son cargo, un autre logo lui indiquant le type d’île où il doit livrer. Pour la faction jaune, les Mollusques, l’île est l’endroit où parachuter ses troupes pour prendre le contrôle de la région.

Le tailwind est une valeur qui figure sur certaines régions et permet, si le navire peut afficher le dé de la même valeur, de se téléporter (ou de naviguer toutes voiles dehors) sur la dite tuile. Cela aide à traverser le plateau rapidement pour venir batailler, livrer ou prendre des points.

 

À peine le second tour et l’océan se dévoile.

 

Ce décor va donc être le théâtre des opérations via les déplacements, combats, livraisons, aidé en cela par les recrutements de l’équipage, chacun essayant, suivant sa charte, de glaner des points durant la manche (en livrant par exemple), ou à la fin (en contrôlant des régions). Des points qui vont augmenter avec l’avancée de la partie, le jeu ayant avec la découverte des nouvelles tuiles, une courbe exponentielle. Exponentielle mais dont tout le monde ne bénéficiera pas forcément.

 

Mollusque, Requin ou Livreur à domicile ?

Si le plateau dédié à chaque faction possède une base commune (des cases pour se déplacer, un tailwind, un canon et de quoi réparer), les différences vont être notoires. Toutes les actions se font à l’aide des valeurs figurant sur les dés que l’on lance en début de tour. Les dés sont modifiables -1/+1 pour  chaque or dépensé.

The Buefin squadron (dit le Requin) : ce sont les bastonneurs. Avec un bateau noir et des troupes (patrol) en forme d’aileron que le requin sème dès qu’il bouge, il a vite fait de prendre possession des eaux. Les ailerons sont des défenses qu’il faut dégommer si l’on se place sur la même case, ils peuvent explorer de nouvelles régions à la place du navire. Si deux ailerons sont sur une île en fin de manche, on peut construire un fortin. Il a une valeur de défense de 2 et interdit aux autres de recruter ou de livrer. Son propriétaire peut, lui, recruter même si son bateau n’est pas dans la région. Le requin a 2 canons, une cinquième action (5 dés contre 4 chez les autres), et peut bombarder une île (retirer tous les pions mollusques). Pour la plupart des actions, le bateau doit se trouver dans la région.

 

Navires supplémentaires, cartes spéciales et jetons en masse, pfff, il est trop fort ce Mollusque ! Vraiment ?

 

The Mollusk Union (cf les Mollusques) : Eux aussi vont tenter de contrôler un maximum de régions en y lâchant les jetons copain (comrade) préalablement placés dans la réserve du bateau. Cela se fait en deux temps, on ne les a pas directement. Il y a une petite gestion à ce niveau. Les Mollusques s’éparpillent grâce à des actions comme parachuter un copain sur 4 îles ou 4 copains sur une île de la région où mouille son navire. Deux navires supplémentaires permettent de gonfler ses effectifs ainsi qu’un paquet de cartes à pouvoir (augmenter la puissance des canons et se déplacer en tailwind/déplacer ses jetons ailleurs/retirer 2 ailerons d’une région…). À chaque tour, le Mollusque tire deux cartes de son paquet. À lui de les jouer au bon moment, et de les obtenir au bon moment.

Requin et Mollusque visent donc l’expansion et le contrôle des régions. Mais pas n’importe lesquelles. Pour qu’une région soit intéressante et affiche un nombre de points satisfaisants, il faudra que le Livreur puisse livrer…

The Smugglers  (cf Le Livreur) : suivant le nombre de joueurs (à 4), il peut y avoir deux Livreurs . On joue en ordre alterné, il ne peut y avoir deux factions du même bord côte à côte. Le Livreur est le rôle le plus déstabilisant du jeu puisqu’il doit gérer l’équilibre des points de régions. Comme déjà dit le navire effectue des livraisons et c’est à peu près son unique moyen de gagner des points. La grosse difficulté va être de gérer l’équilibre des points à gagner et ceux qu’il va potentiellement offrir à ses adversaires car, à chaque livraison, la valeur de la région augmente d’1 PV. Le Livreur doit donc livrer pour ne pas se faire distancer tout en offrant des points à ses adversaires.  Et l’exercice est difficile, car mieux vaut deux joueurs gagnant 5 points à la fin de la manche qu’un seul grattant 10 points. Le Livreur a pour lui une facilité à recruter ainsi qu’un tableau de récompenses (reward) lui offrant des bonus à chaque livraison. Il parie aussi sur qui contrôlera les îles sur lesquelles il a livré en fin de partie. Plusieurs façons de remonter sur la piste de score à condition de ne pas être à la traîne.

 

Le tableau des rewards sur lequel se promènent les cubes du Livreur

 

Tout ce beau monde peut combattre et infliger des dégâts à autrui. Certains sont plus aptes au combat, mais la chance au dé peut faire très mal et pénaliser un joueur pendant plus d’un tour. À user avec parcimonie où en étant blindé. Ahoy malgré les canons équipant chaque navire, n’est pas un jeu de rentre dedans.

Dernier élément et non des moindres : l’équipage (crew). Les illustrations font plaisir tout autant que les compétences des membres. Certains marins dans de bonnes mains peuvent faire mal  (déplacer deux copains d’une île à une autre/se déplacer sur n’importe quelle case/réparer tous ses dégâts…).

 

Des cartes à pouvoir mais également avec des lieux de livraison selon leur logo

 

On recrute autant pour se gonfler que pour éviter que l’autre n’ait le bon pouvoir. Là aussi, la gestion des cartes est à double tranchant puisque ces mêmes personnages servent de destination de livraison au Livreur. Si on recrute trop, il a moins de possibilité de livrer…

Quand un joueur atteint 30 points, la partie est terminée. Le Livreur ajoute ses points de paris et le décompte est achevé.

 

Contrôlé, dé-livré ?

Comme évoqué en introduction, les similitudes avec Root sont assez évidentes. J’ai lu ici et là que ce jeu était une version light du hit forestier, voire un jeu apéro. Soit je ne suis pas doué, soit  les chroniqueurs n’ont pas dépassé la lecture des règles pour donner un avis. Le jeu, à part moi, a été joué avec des fans purs et durs de Root. À l’heure où j’écris ces lignes (11 parties plus tard), nous avons encore du mal à maîtriser totalement les trois factions. Selon la configuration (3 ou 4 joueurs et pour le moment rien ne nous permet de privilégier un nombre ou un autre), les cartes équipage écartées comme le demande la règle ou prises sous son nez par un adversaire, une erreur de départ (défoncer un des pirates et de ce fait, laisser l’autre s’envoler), beaucoup de choses peuvent influer sur la partie. Selon les parties, nous aurons trouvé que les Requins étaient les plus forts, puis non, en fait les Mollusques, que le Livreur n’avait aucune chance s’il est seul, que…  Le jeu doit s’apprivoiser et, ce sera un de ces défauts, ne peut pas être sorti avec tout le monde. Il faudra apprendre ensemble, avec le même groupe, à jouer les factions et connaître les cartes et effets des adversaires. Un joueur frais prenant le train navire en marche aura peu de chances de ne pas sombrer.

Et ne nous y trompons pas, si l’éditeur et l’illustrateur sont les mêmes que pour Root, Ahoy est un jeu de Greg LoringAlbright et non Cole Wehrle.

 

Allez hop, dehors mauvaises troupes !

 

À part Fort, Ahoy est plus léger que les autres titres de la gamme (Root, Oath) mais n’est pas si facile à prendre en main pour autant. Les Requins, même s’ils peuvent s’étendre en posant des troupes, ne sont pas forcément amenés à découvrir les nouvelles tuiles mais plutôt à faire la chasse aux Mollusques et les freiner dans leur expansion grâce, notamment  à leur capacité de bombardement, leur double canon et la construction de fortins. Fortins qui vont rendre toute livraison impossible au Livreur (est-ce une bonne idée que de le bloquer ?). Ils seront tout de même obligés de s’étendre et de prendre des majorités. Les Mollusques grâce à leurs jetons copains qui se reproduisent et peuvent apparaître un peu partout, ont tout intérêt à s’étendre et à éviter le combat, même s’ils sont armés. Si on peut assez facilement dégager leurs jetons des tuiles régions, les copains reviennent rapidement. Le gros point fort sera ce paquet de cartes spéciales qui permettent de casser des contrôles de zones ou de combattre avec plus de puissance. Un lot d’effets qu’il faut jouer au bon moment. 

 

Un terrain de jeu plus difficile à contrôler

 

Les Livreurs ne se battent pas ou peu, et ne sont guère intéressés par le contrôle de zones. Leur truc, c’est la livraison. On les laisse plus ou moins faire car c’est grâce à eux que la valeur des zones augmente. Cette gestion n’est pas évidente et ce rôle est assez complexe. Ils sont aidés par leur tableau évolutif des récompenses leur octroyant certains effets. Dans une partie à quatre, avec deux Livreurs, il a été plus facile de contrer les pirates en aidant le moins avancé et en livrant à outrance. Une bonne technique consiste à livrer sur l’île où l’on peut aussitôt reprendre une nouvelle livraison. On aime moins, même s’il permet à terme un retournement de situation, le fait d’avoir à parier sur qui sera le propriétaire de chaque île en fin de partie. Ce qui est somme toute hasardeux, sauf si vous œuvrez pour soutenir l’un des joueurs et finissez la partie en ayant réalisé une dizaine de livraisons.

On le voit, Ahoy, sous ses dehors de piraterie, est un jeu qui demande une certaine réflexion. La première partie à la tête d’une faction différente de la fois précédente est déroutante. Les questions en fin de partie sont légions : Doit-on livrer rapidement, doit-on se battre, doit-on explorer au maximum ? Il n’y a pas vraiment de réponse globale tant le jeu dépend de ce que font les joueurs, de l’équipage qu’on possède et de la valeur de ses dés. Le jeu peut sembler impénétrable au départ, et il faut tester des stratégies pour que s’en dégage une ligne directrice.

 

30 points, on peut faire mieux…

 

Ahoy titille donc son joueur en proposant via une belle édition, un jeu qui demande à être manipulé et (mentalement) malmené pour en extraire la moelle ludique. Bien sûr, il sera bon d’incarner tous les rôles afin de mieux comprendre comment ils agissent et interagissent. La bonne idée, au-delà de l’asymétrie des factions et d’avoir glissé ces Livreurs qui cassent ce qui aurait pu vite tourner à de l’affrontement. On assimile vite le fait que le jeu n’est pas un combat et certaines parties se déroulent presque sans attaque directe. Le nœud de la stratégie sera surtout de s’étendre et de garder, au moins jusqu’au décompte votre majorité. Malgré tout cela, la malchance aux dés (même modifiable) pourra par moment être agaçante et vous forcer à revoir vos plans, voire vous mettre à mal si vous perdez le combat. Mais rien n’est vraiment perdu et les retournements de situation peuvent se produire. Il ne faut pas se laisser distancer, c’est tout.

Ahoy fournit donc sa dose de surprise et de tension. L’issue se dessine rapidement dans les premières parties. Le but étant d’atteindre 30 points, cela, même graduellement, peut aller vite. Il n’est plus aussi linéaire après quelques essais. Ahoy propose donc un vrai challenge. Alors Root light ? Oui et non. Oui car les factions et leurs cadres d’actions sont moindres, non car le jeu, même si on comprend vite les règles, ne se dévoilent pas en une partie, les lancers de dés ajoutant leur dose de chaos mais aussi de la saveur aux parties. Le mieux ne serait-il pas de s’y frotter tout bêtement ?

À noter qu’Ahoy sort en français chez Matagot courant avril et qu’une extension nommée New Horizons est déjà sur les rails en vo.

Sur ce, je vous dis Ahoy ! Si ce terme signalait autrefois un bateau, il est aujourd’hui plus utilisé comme un avertissement ou un… Salut

 

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3 Commentaires

  1. ihmotep 08/02/2024
    Répondre

    J’avais bien accroché à Root puis finalement revendu : c’est un jeu qui pour être vraiment apprécié doit être joué avec des joueurs qui connaissent suffisamment le jeu pour qu’il prenne une autre dimension stratégique. Tu me confirmes que c’est pareil avec celui-ci ?
    Est ce tu as aussi Oath ?

  2. morlockbob 08/02/2024
    Répondre

    salut

    c ‘est précisé dans la chronique  » Le jeu doit s’apprivoiser et, ce sera un de ces défauts, ne peut pas être sorti avec tout le monde. Il faudra apprendre ensemble, avec le même groupe, à jouer les factions et connaître les cartes et effets des adversaires. Un joueur frais prenant le train navire en marche aura peu de chances de ne pas sombrer. »

    Pour Oath, j’ai pas aimé la fin où les adversaires (comme chez Inis) ont une action pour te faire perdre la victoire. Du coup ça devient tournez manège. Je gagne, ah non. A toi, ah non… J’avoue que les fans de Root autour de moi  n en parlent plus.

  3. Ihmotep 09/02/2024
    Répondre

    Oki merci ^^.

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