Agent Trouble fait-il voir double ?
J’ai découvert Agent Trouble en retard, parce que je suis en retard sur pas mal de choses (sur House of Cards, par exemple). Du coup, en rentrant de festival, je me suis demandé si j’allais me procurer ce titre. Et… il était épuisé. Bim, dans l’os. Il aurait fallu que je commande en import pour en avoir un, et franchement, vu la quantité de texte sur la boîte, je me suis bien demandé si je n’allais pas récupérer une édition américaine. Et puis on m’a dit que Gigamic allait faire un second tirage du jeu. Je me suis rué dessus.
Spyfall, ou Agent trouble (Alexandr Ushan), c’est d’abord l’histoire de ce jeu de mots foireux qui rappelle immanquablement les classiques du genre espionnage. Le thème de Spyfall n’est pas au cœur de la narration, à la manière d’un Codenames : ce qui importe, c’est l’expérience sur le moment, le déroulement de la partie et comment on agit/réagit face aux autres.
Le principe du jeu relève lui aussi d’un grand classique : vous avez un groupe de joueurs parmi lesquels se cache un espion. Ce dernier gagne s’il ne s’est pas fait attraper en huit minutes, ou si, avant la fin du timer, il se révèle et devine le lieu où se trouvent les autres joueurs.
Les « contre-espions », eux, ont une carte représentant un lieu (paquebot, spa, boîte de nuit, supermarché, etc), et un personnage associé à cet endroit (client, caissier, gérant de supermarché, gamin perturbateur, agent de sécurité, boucher pour le supermarché, par exemple).
Les cartes sont distribuées face cachée, et donnent donc un rôle précis à chacun. Il faudra donc s’innocenter et débusquer l’espion en s’échangeant des questions à tour de rôle. Mais donner trop d’informations, dans la question comme dans la réponse, ne fait de bien qu’à l’infiltré, qui peut alors se révéler ou répondre de façon beaucoup plus précises aux requêtes qu’on lui fait.
Lorsqu’une question est posée au joueur A par le joueur B, A doit répondre, puis poser une autre question à un autre joueur qui n’est pas B. Il n’y a pas à proprement parler d’ordre dans lequel jouer et souvent un joueur suspicieux sera la cible de multiples questions. Parfois, cela peut s’avérer un peu frustrant si l’on s’est innocenté dès le début et qu’on joue à nombreux…
Chaque contre-espion a le droit de formuler une accusation par manche et demander un vote contre un suspect. On a besoin de l’unanimité pour terminer la manche et révéler le rôle du suspect (ou pas).
Si l’espion l’emporte au temps ou à cause d’une accusation fallacieuse, il gagne deux points. Si les contre-espions remportent la manche, ils gagnent 1 point chacun. Si l’espion atteint la victoire en se révélant – plus difficile -, il sera d’autant plus récompensé (avec 2 points de plus, soit 4). Mais franchement, cette règle de scoring n’est pas si importante car le jeu ne s’embarrasse pas de ça, et n’a pas besoin de cette vision à long terme pour être fun.
Un double je(u) qui s’apprend
Agent Trouble est un jeu de transmission d’informations. Il faut en dire beaucoup mais pas trop, dans des cadres très fermés. Un peu moins claustrophobe que des LinQ mais plus restreint que des Loups-Garous de Thiercelieux : on posera une question et obtiendra une phrase, voire deux. Pas de place pour un débat, sauf au moment du vote ! La première partie s’avère le plus souvent désastreuse car les joueurs ont peur d’en dire trop, et hésitent avant de prononcer le moindre mot. Les questions sont vagues à souhait, et transmettent une information tellement floue qu’elle ne sert à personne.
« Euuuh… Il fait chaud, hein ? » ou « On s’amuse bien ? » reviennent souvent. Mais ces questions anodines peuvent trahir l’embarras d’un espion, autant que les réponses peuvent révéler beaucoup (trop) de choses sur le lieu.
Dès lors qu’on commence à transmettre de l’information, on en transmet trop et l’espion gagne. Puis, peu à peu, chacun commence à trouver ses repères, à donner des références communes plus fines (parler de dessin à la française pour parler du film Titanic quand on est sur le paquebot, c’est quand même pas mal tordu), et les parties prennent de l’ampleur pour devenir des échanges du tac au tac dans lesquels on se regarde en chiens de faïence. Cette mimique était-elle voulue ? Ou cette imprécision, a-t-elle à voir avec son rôle ? Les rôles, par ailleurs, donnent parfois des indices comme ils peuvent troubler le jeu. Si vous êtes l’alien de la station spatiale, bonne chance ! Un peu injuste, certes, mais le défi à relever est si marrant que l’on s’en fiche un peu. Comment faire comprendre qu’on appartient bien au lieu alors qu’on est en décalage avec les autres ?
Il n’en reste pas moins quelques petits défauts ; chaque joueur a une aide de jeu comportant les trente lieux d’Agent Trouble, sauf que dans la pratique, celui qui scrute de façon bien évidente sa carte a de grandes chances d’être l’espion. Du coup, sur les premières parties, le jeu souffrira un peu de l’inexpérience des participants. De la même façon, étant donné qu’il s’agit d’un jeu reposant entièrement sur l’interaction sociale, le bluff, le tac au tac et les compétences sociales, certaines personnes auront du mal à accrocher ou à trouver leurs mots. Et du coup, avoir des joueurs plus faibles signifie une partie plus lente et plus frustrante, car moins riche en rebondissements. D’ailleurs, le jeu n’est pas vraiment fun à trois ou quatre joueurs : ce sont des situations où il faut vraiment travailler ses questions pour être le plus évasif possible, car on aura beaucoup de temps pour se faire interroger. Dès que l’on est un peu plus, tout va mieux !
L’originalité d’Agent Trouble, c’est de proposer un support si minimal pour tant d’histoires autour, tant de possibilités. Questions comme réponses peuvent s’avérer totalement inattendues, farfelues, sans pour autant s’écarter du principe de jeu.
Je recommande vivement Agent Trouble pour les tranches de rigolades qu’il a su provoquer lors de nos parties, et pour celles qu’il produira encore. Car j’ai une envie tenace de l’extraire de mes étagères. Est-ce la marque d’un bon jeu ? Sûrement.
Note : est prévu pour 2016 une seconde édition, baptisée Spyfall 2 (en russe et en anglais chez Hobby World). Elle permettra de jouer jusqu’à douze et avec deux espions maxi.
Note 2 : il existe une bonne palanquée de variantes pour Agent Trouble. Faire rimer la réponse avec la question, rééquilibrer le jeu à peu, jouer en jumeaux (paires de lieux,) etc. Si le jeu de base vous plait, je vous suggère d’aller fouiner les forums de Boardgame Geek pour trouver d’autres façons de procéder !
Edité par Gigamic
Langue et traductions : Français
Date de sortie : 06-2015
De 3 à 8 joueurs , Optimisé à 6 joueurs
A partir de 12 ans
Durée moyenne d’une partie : 15 minutes
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-Nem- 27/06/2016
Perso j’ai beaucoup aimé ce jeu aussi. En général les jeux ou il faut raconter et improviser des histoires fonctionnent pas trop dans mon entourage… Mais là ça a très bien fonctionné à chaque fois. Surement dû aux prises de parole courtes et suffisamment orientées (en plus du lieu ou on se trouve on a un métier qui peut aider à trouver quoi répondre).