7 Wonders Architects – Le petit frère qui va faire du bruit
Si vous vous intéressez un tant soit peu à la chose ludique, alors vous connaissez forcément 7 Wonders (Antoine Bauza), ce jeu de draft qui a su s’imposer et devenir un classique incontournable en moins de 10 ans. Ce monstre devenu iconique chez les ludistes a su se décliner via de multiples extensions, quatre à ce jour, et a vu son spin-off spécial deux joueurs rencontrer un succès tout aussi incroyable, lui aussi déjà agrémenté de deux extensions.
Les extensions, c’est bien utile pour faire vivre une gamme et un jeu sur le long terme. Le seul soucis, c’est qu’à force, on dénature un peu la base du jeu en le rendant de plus en plus complexe, et c’est le cas avec 7 Wonders. La dernière extension sortie à ce jour, Armada, le rend plus intéressant mais aussi bien plus complexe. L’ajout d’extensions pour faire durer cette licence s’avère un vrai handicap à terme, contrairement à d’autres licences comme Les aventuriers du rail ou Pandemic, dont on reboot régulièrement les jeux avec un thème/plateau différent, en se contentant de très légères modifications de gameplay.
Du fait de ces rajouts, 7 Wonders a perdu peu à peu son statut de jeu « familial », à savoir très accessible pour jouer avec tout un chacun. De plus, il faut avouer qu’après 10 ans, certaines mécaniques grincent un peu. Non pas qu’il ait vieilli, mais avec du recul, cette mécanique de comptage de points de la Science est quand même rudement complexe pour un public familial. Sans parler de ce système de ressources « non consommables », qui nécessite un peu de gymnastique intellectuelle pour être accepté. Bref, on est en 2021, le temps du reboot était arrivé !
Voici donc 7 Wonders Architects, par le même auteur. Un spin-off que l’on peut pratiquement considérer comme un reboot de la série. On garde la licence à succès, on conserve l’essence du jeu avec tous les éléments connus (ressources, icônes, guerre avec ses voisins, Merveilles à construire…), mais on élimine tout ce qui dépasse un peu pour en faire un jeu hyper épuré, ne garder que l’essentiel, à destination d’un public très large, sans pour autant déplaire aux joueurs avertis.
Alors rentrons un peu dans le vif du sujet !
Comment ça marche ? (bien)
Pour un aperçu rapide, sachez que le but du jeu est toujours de gagner le plus de points de victoire, et vous les remporterez principalement de la même manière que son grand-frère, c’est-à-dire en construisant des étages de Merveille, des bâtiments civils (cartes bleues), en jouant sur la recherche scientifique et en faisant la guerre à vos voisins (cartes rouges). Vous allez récupérer des cartes qui vont vous permettre de réaliser ces diverses actions, et la partie se termine dès que l’un des joueurs achève sa Merveille.
Vous voyez, on est pas dépaysé ni côté thème ni côté principes du jeu. Ce qui change, c’est le gameplay !
Tout ce qui change (ou pas)
Alors commençons tout de suite avec le changement le plus important : le draft. En effet, la mécanique qui avait fait le succès du jeu, à savoir de jouer en simultané avec tous les joueurs, disparaît au profit d’un système de sélection de cartes parmi trois pioches : deux visibles partagés avec nos voisins de droite et de gauche, et une cachée commune à tous. C’est un choix étonnant sachant que le draft avait fait la renommée de 7 Wonders, qu’il marchait fantastiquement bien, et qu’il permettait des durées de parties similaires quel que soit le nombre de joueurs autour de la table. Mais rappelez-vous, l’idée est de séduire un public encore plus large qu’avant, et le draft de 7 Wonders n’est pas une mécanique que vous avez envie d’apprendre à tatie Brigitte ou Oncle Jojo. Alors que piocher une carte au choix parmi trois tas de cartes, ça passe tout seul.
Il faut avouer que ce nouveau système de sélection de cartes est diablement efficace. Simplissime, mais pas dénué de choix intéressants. On surveille les tas que l’on a à disposition en fonction de nos voisins directs, et cette pioche cachée et commune permet d’aller tenter sa chance quand on est mal servi. C’est rapide à expliquer et plaisant à jouer, tout en laissant des dilemmes régulièrement.
Quand au temps de jeu qu’on pensait rallongé, que nenni. Le draft a beau disparaître, la phase de pioche de cartes est tellement rapide que le jeu n’en pâtit pas du tout (en tout cas à moins de 5 joueurs, au-delà le temps d’attente de son tour peut-être un peu long).
En fait, faire un tour de pioche de tous les joueurs est plus rapide qu’une passe de draft de 7 Wonders classique. De plus, toute l’économie du jeu a été réduite, ce qui fait que les coûts sont moindres, donc tout se déroule plus vite. Bilan, les parties durent environ 20 minutes. C’est donc tendu, et chaque choix de carte devient un dilemme, car les mauvais choix (ou un gros coup de déveine) peuvent nous mettre vraiment en retard dans la course aux points.
Ainsi, les Merveilles sont devenues très simples à construire, en dépensant selon les étages, 2, 3 ou 4 ressources (similaires ou différentes suivant la condition proposée par les différents étages). Les étages rapportent des points bien sûr, mais pas que. En effet, chacune des 7 Merveilles du jeu est différente, et active des pouvoirs spécifiques quand certaines parties de leur structure sont construites. Les pouvoirs étant principalement des pouvoirs de pioche, cela permet d’emballer un peu plus le jeu pour accélérer la récupération de cartes. Les joueurs les plus aguerris regretteront sûrement la profondeur des stratégies offertes par les différentes Merveilles du jeu original au profit de pouvoirs très similaires et peu clivants, mais là encore, le choix de la simplification à l’extrême se ressent partout.
Bref, c’est efficace, c’est tendu, ça tourne bien.
Côté guerre, on affronte toujours uniquement nos voisins directs, en récupérant des cartes rouges Boucliers, sachant que ces cartes comportent des symboles Cor de bataille, qui servent de compteur pour savoir quand arrivera le moment de décompter la guerre (puisqu’il n’y a plus d’âges et donc plus de fin de période). Ainsi, dès qu’un certain nombre de Cors sont visibles, on résout la bataille. Il faudra donc surveiller l’avancement de ce compteur pour voir si on tente de résister à nos adversaires, de les suivre dans la course à l’armement (ce qui peut précipiter les choses) ou si on laisse filer ces points potentiels. Ce système est d’autant plus intéressant que ces cartes sont éphémères, et disparaissent quasi toutes après le combat (en effet, après la bataille, on défausse toutes nos cartes présentant un Cor et on garde que celles dénuées de l’icône). Ainsi, les ressources boucliers ne s’accumulent pas au fur et à mesure des tours de jeu, et il n’est donc plus possible de construire une forteresse imprenable. Ce système de jeu est plutôt agréable, mais j’ai trouvé le timer d’activation de la guerre un peu court. Il arrive souvent qu’on ait même pas le temps de se prémunir d’une attaque ennemie, car la guerre sera activée avant que l’on puisse jouer. Un peu frustrant pour ma part, même si je comprends que tactiquement, cela offre parfois des possibilités intéressantes.
Enfin, j’ai particulièrement aimé le système de des cartes Science de 7W Architects. En effet, oubliez les scorings compliqués, on se retrouve dans un système proche de 7w Duels, où il faut combiner soit deux symboles identiques soit une triplette de symboles différents. Y parvenir nous permet de récupérer un jeton Progrès, qui vous permettra d’obtenir parfois des points mais le plus souvent un pouvoir passif qui permettra de piocher plus de cartes selon certaines conditions. Des pouvoirs souvent bien attractifs, qui donnent très envie d’être récupérés. Mais attention, c’est assez chronophage d’aller chercher ces jetons, et il vous faudra faire attention à évaluer si ce temps perdu pourra être compensé par le gain du pouvoir d’ici à ce que la partie se termine, puisque, insistons sur ce point, les parties sont maintenant très courtes !
Pour le coup, ces jetons Progrès sont la partie la plus « compliquée » du jeu, étant donné qu’ils offrent des nouvelles possibilités de scoring et de combo de pioche intéressants et multiples. Vu leur nombre (il y a 15 jetons), ils sont illustrés de multiples symboles différents, et font tous quelque chose de spécifique. Et c’est là que ça peut couiner un petit peu avec un public peu habitué. En effet, si tout le reste du jeu est hyper accessible à tout type de joueur, les pouvoirs des jetons Progrès parlent un peu plus au public déjà joueur. Ce système nécessite d’intégrer les icônes, de savoir quel jeton est intéressant selon l’avancée du jeu, et de mettre en place une façon de jouer qui le rentabilise. C’est vraiment un élément qui permet aux joueurs plus avertis de prendre plaisir dans ce jeu très familial, mais c’est aussi un élément qui pourra être un frein aux premières parties de joueurs non initiés, et ce malgré une iconographie sans reproche.
Edition aux petit oignons
Repos Production nous gratifie ici d’une édition sensationnelle. D’une part graphiquement, rien à redire, les illustrations sont jolies (signées Etienne Hebinger), les icônes sont toujours aussi efficaces, aucun doute n’est laissé à quelque niveau que ce soit, permettant ainsi aux moins aguerris aux jeux de société de se focaliser uniquement sur leurs choix et le gameplay.
D’autre part, matériellement, on est sur un niveau de finition rarement atteint pour un jeu destiné aux boutiques (on trouve cela plus souvent dans des produits issus du participatif). Chaque Merveille vient en effet avec son petit insert plastique dans lequel on trouve sa structure et son paquet de cartes dédiées, le tout avec un petit indicateur des spécificités collées dessus. Lorsque l’on ouvre la boîte de 7 Wonders Acrhitects, chaque joueur prend un insert au hasard/de son choix, et on est prêts à jouer. L’installation et le rangement de la boîte ne prennent que quelques secondes, c’est un vrai régal.
Vraiment, félicitations pour cette édition de belle qualité qui permet à des joueurs aussi débutants qu’ils soient, de profiter d’un produit qu’on peut considérer comme haut de gamme.
Stratégies ? Ou pas ?
Malgré sa simplicité et son côté opportuniste, le jeu laisse tout de même entrevoir plusieurs axes de stratégie.
On pourra faire un rush sur la construction de Merveille, en essayant de clôturer la partie très vite pour prendre de vitesse les autres joueurs. Mais terminer sa Merveille en premier ne signifie pas forcément être gagnant en points et on a parfois plutôt intérêt à faire durer.
On pourra également tenter de faire un maximum de points avec les cartes bleues, tout en construisant petit à petit les étages de Merveille afin de profiter de nos pouvoirs et d’utiliser les cartes ressources quand les cartes souhaitées ne sortent pas.
Et enfin tenter une stratégie plus long terme, en tentant d’avoir un, voire deux jetons progrès (ou plus !), avant de vous lancer dans la construction de la Merveille, ce qui vous permettra de créer un moteur très puissant pour la suite du jeu, et jouer des tours très satisfaisants où tout avance plus vite. Mais attention à la stratégie rush qui pourra vous laisser sur le bord de la route facilement !
Tout cela reste bien sûr basé sur un bel équilibre entre chance et opportunisme, mais saisir les bonnes occasions permet parfois de bien retourner la partie à votre avantage.
Cependant, il reste une ombre au tableau, car il faut reconnaître que nous avons eu du mal à comprendre un point important des règles : Pourquoi décider que le jeu s’arrête dès qu’un joueur termine sa Merveille, plutôt que de laisser le tour se finir pour que tout le monde puisse jouer le même nombre de coups ? En effet, pour un jeu de « course aux points », le fait d’être le premier à démarrer offre un avantage non négligeable, et à l’usage, on a pu constater que de nombreuses parties étaient remportées par le 1er joueur. Ce n’est pas systématique, et cet avantage est censé être dilué au cours du jeu dans les aléas des tirages des cartes et des développements de chacun, mais on reste frustré de ne pas avoir la possibilité de finir le tour de jeu en cours pour que tous les joueurs soient à égalité. Cela dit, cela reste un point de règles facile à modifier.
Au final, les stratégies restent simples et pas ultra nombreuses. En effet, il ne faut pas prendre ce jeu pour ce qu’il n’est pas. On pourrait être tentés d’en attendre trop. On voudrait plusieurs axes de stratégies, plusieurs effets de combos, de la rejouabilité… Mais ce jeu ne se destine pas aux joueurs aguerris qui recherchent une nouvelle expérience plus poussée que 7 Wonders. Cependant, vu comment la base est simple, il est probable que l’éditeur puisse la complexifier avec de futures extensions. Pour le coup, ici, il s’agit vraiment d’un jeu familial qui se définit comme une entrée dans le monde du jeu de société. En l’état, le jeu pourra tourner un peu en rond pour les joueurs aguerris, car une fois la découverte passée et l’enchaînement des parties (de façon un peu addictive il faut le dire), les parties finissent par se ressembler, et manquent un peu de peps. 7W Architects est loin d’avoir la profondeur tactique d’un 7 Wonders Duel. Mais il n’a pas forcément pour but de séduire les joueurs actuels de 7 Wonders et 7 Wonders Duel, se destinant plutôt à des nouveaux joueurs qui se contenteront pleinement des choix proposés ici.
Alors, c’est une Merveille ?
Vous l’aurez compris, je pense que 7 Wonders Architects est une pépite. C’était un tour de force que de créer une nouvelle déclinaison à partir de cette franchise, et le résultat est plus que pertinent. Ce nouveau gameplay est tout à fait adapté et permet de prendre plaisir dès la première partie avec des règles très simples d’accès, mais qui proposent des choix et des dilemmes intéressants tout le long de la partie.
Le jeu manquera sûrement d’un peu de saveur et de profondeur pour les personnes déjà bien initiées aux de jeux de société, mais conviendra parfaitement à celles et ceux qui arrivent, ou arriveront bientôt, dans le monde du jeu toujours plus populaire.
C’est une porte d’entrée magnifique qui leur est faite, avec un jeu simple et efficace, sans pour autant être dénué d’intérêt, le tout dans une édition parfaite.
Probablement un achat indispensable pour les amateurs qui voudront jouer avec leurs enfants ou avec leur belle-famille en vacances (oui, je le mets dans ma ludothèque perso, vous l’aurez compris !), ou avec n’importe quel public sans avoir besoin de bases sur les jeux modernes. Un carton assuré.
7 Wonders: Architects sortira chez Repos Prod (Asmodee) mi octobre au prix de vente de 40€.
Il se joue de 2 à 7 joueurs à partir de 8 ans et pour une durée allant de 20 à 30 minutes.
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