Templari qui rira le dernier

Enchères et en os ?

Quoi de plus parfait pour me relancer dans l’écriture de chroniques sur le jeu de société que d’aborder un jeu aux confluences de mes goûts, de mes envies et de mes attentes ? Templari, sorti chez Igiari il y a désormais quelques semaines, ou bien mois (vu le peu de mémoire qu’il me reste, je ne saurais affirmer quoi que ce soit – NDLR : le jeu est arrivé début octobre), est en effet un jeu allemand signé Michael Schacht illustré par l’une de mes illustratrices préférées, à savoir Noboru Sugiura, japonaise (Chronicle, Love Letter, Mai-Star…) !

Templari est un petit jeu de cartes et de jetons. Il y a plus de jetons que de cartes d’ailleurs. C’est un jeu d’enchères, comme il y en a de nouveaux pas mal ces derniers temps, de toutes tailles et de toutes épaisseurs : Emperor’s Choice de Hisashi Hayashi, Modern Art de Reiner Knizia qui ressort dans différents écrins, japonais pour l’Allemagne chez Oink Games, une version anglaise chez CMON, ou encore une version deluxe chez DiceTree Games…

modern art dicetree

Une mécanique qui revient à la vie, ou qui semble refaire surface, c’est toujours beaucoup de plaisir et une certaine attente chez ceux qui la découvrent ou lui ouvrent de nouveau les bras. Il y a aussi une dimension « collection » très importante et c’est l’association subtile des deux qui donne à ce jeu son charme un tantinet désuet.

N’oublions pas que les trentenaires et quadragénaires d’aujourd’hui sont les deux pieds dans la nostalgie depuis un bon moment maintenant, dans le jeu de société comme dans d’autres domaines du culturel (Nintendo l’a bien compris !). 

On pourrait s’arrêter là sur la description de Templari, mais ce ne serait pas faire justice à ce petit jeu revenu plusieurs fois à la vie. Il n’est pas comme les autres. Il est un petit peu différent et c’est sans doute ce qu’y a vu Igiari, éditeur aux choix originaux et parfois courageux (Art of War, de Takashi Sakaue, par exemple).

 

Un jeu aux mille visages…

La première chose qu’il me semble important d’évoquer, c’est les divers mondes qui ont été développés autour de ce jeu de Michael Schacht. Souvenez-vous donc qu’en 2001 (alors que je ne connaissais encore que le Scrabble et le Monopoly), Schacht a sorti Don, chez Queen Games.

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1ere édition du jeu

 

Dans ce jeu, vous incarniez un gangster qui essayait de contrôler des quartiers de la ville de Chicago ! Les 6 familles de cartes représentaient donc toutes des quartiers différents de cette ville à la réputation cinématographique suffisamment sulfureuse pour vous inviter à vous méfier de vos partenaires de jeu. La tension devait être palpable à chaque tour de table. Surtout que l’inspiration est directement puisée chez Coppola. Oui, rien que ça, avec un Marlon Brando déjà post-beauté-fatale, moustache grisonnante et sourire de clown triste.

Thématiquement, j’ai fait tourner plusieurs scénarios dans ma tête : les gangsters utilisent leurs jetons « argent » pour s’octroyer le service d’hommes de main ou de nettoyeurs, ou bien pour balancer des pots de vin à quelques notables et politicien(ne)s influents. J’imagine déjà Harvey Keitel, tout propret version Pulp Fiction, ou le grand muet (c’est mieux quand il l’est, pour dire vrai) Jean Reno dans Léon. Ou bien, le jeu vidéo Mafia, qui parlera aux plus nostalgiques (ou vieux) d’entre vous.

Et puis, allez savoir pourquoi, les gangsters ont rangé leurs pièces blanchies, et le jeu Don a disparu… pour laisser la place à un autre lieu, à un autre temps, plus étonnant encore : Serengeti.

serengeti

Cette fois-ci, exit Chicago, direction l’Afrique. Du local au gigantesque. Et pourtant, contrairement à son thème, le jeu s’enferme dans une boîte beaucoup plus petite que Don. À croire que les menaces de quelques familles italo-américaines ont su faire leur effet. Les quartiers de la ville corrompue ont laissé leur place à des objets africains que les collectionneurs se disputent.

C’est toute la beauté, et aussi l’évidence artificielle, des jeux dont le thème est collé sur les mécaniques. Le cœur du jeu n’est pas dans son art mais dans ses mécanismes. Alors, pour Igiari, pourquoi ne pas céder avec ferveur à cet amour pour le Japon qui semble évident dès que l’on jette un œil au catalogue de l’éditeur : OnitamaArt of War… ?

Mais quand même, quelle rencontre improbable que de voir ce jeu d’enchères malin et un poil alambiqué être plongé dans l’univers unique de Sugiura, illustratrice habituellement associée à Seiji Kanai. Cette fois, les objets d’art africains et les gangsters au revolver sensible se font bouter par la lance du chevalier aux joues rouges adolescentes qui s’étend en diagonale sur la couverture du jeu.

 

Formules mathématiques

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Dans Templari, nous incarnons des membres de « l’Ordre du Temple » qui découvrent une partie du trésor des Templiers et qui se répartissent version Maths Sup’ le butin. Ce dernier consiste en quelques objets fort communs à une époque où nos ancêtres pensaient plus à étriller leur voisin qu’à jouer à des jeux de société. Ecussons, heaumes, boucliers… tout l’attirail des chevaliers dont la moitié du vocabulaire m’échappe.

Contrairement à Serengeti, toutes les cartes proposent des illustrations différentes donnant l’impression que le désir de collection dépasse le cadre de la « famille d’objets ». C’est un détail mais en jeu, cela crée une sensation intéressante : on n’a jamais l’impression d’enchérir sur un objet déjà vu plusieurs fois, dont l’intérêt pour des collectionneurs en quête d’unique devient tout relatif…

Chaque joueur (joueuse) possède 12 pièces au départ. Deux cartes parmi les 30 du jeu sont mises aux enchères. Jusqu’ici, rien de plus classique. Les joueurs, tour à tour, vont proposer une somme supérieure à ceux et celles qui le précèdent ou se retirer. Une fois que tout le monde sauf une personne a passé, la somme est versée au « pot » et répartie entre tous ceux et celles qui ont passé.

Oui. Bon. Et alors, c’est quoi l’originalité dans tout ça ?

Eh bien, comme dans toute rêverie arthurienne ou templière, les objets sont tout aussi bénis que maudits et celui ou celle qui possède un objet d’une certaine valeur n’osera guère enchérir de cette somme (l’unité seule compte ici)… Oui, à expliquer avec des mots, ce n’est pas si simple, d’autant plus si comme moi, les maths et autres joyeusetés pour les winners de nos sociétés modernes, vous semblent inapprochables.

Mettons-nous en situation, voulez-vous ?

Par exemple, prenez X. Il a des objets de valeurs différentes posés devant lui : une carte 0, 3 et 8. A son tour, lorsqu’il devra décider quelle somme proposer, il évitera ces valeurs, au risque de devoir payer un tribut d’une pièce en fin d’enchères. Quand on en a peu, 1 pièce dans un jeu d’enchères, ça veut dire beaucoup, et cela n’a rien à voir avec la chanson sur le piano qui vous est revenue en tête.

De même, les cartes posées de Y. Elle a décidé de passer pendant l’enchère. Les autres joueurs et joueuses s’entêtent à proposer des sommes plus folles les unes que les autres. Tout le monde passe et là, c’est le drame. Et oui, les entêtés tête en l’air viennent de s’apercevoir que la somme de 8 était parfaite pour Y. En effet, elle a devant elle deux cartes de valeur 8. Les autres n’en ont pas. Du coup, au lieu de répartir les pièces entre les perdant(e)s de l’enchère, elle récupère tout ! TOUT !

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C’est là que le jeu devient passionnant et c’est là aussi que son équilibre fragile peut être abîmé. Il ne s’agit pas seulement dans Templari d’essayer de récupérer des cartes objets mais de parvenir à créer au moment précis où vous faites votre proposition d’enchère un piège qui pourrait vous permettre sinon de remporter les cartes, en tout cas de récupérer l’intégralité du pot. Cette dimension du jeu est tout aussi fascinante que difficile à maîtriser.

Vous allez donc essayer de multiplier vos chances en collectionnant une variété de valeurs de cartes mais tout en faisant attention à ne pas vous perdre dans un cercle vicieux de malédictions continues qui vous ferait perdre une pièce à chaque enchère ! Et puis, il faut aussi faire attention à votre voisine de gauche qui a déjà deux cartes de valeur 5, et celle de droite avec ses 3 cartes de valeur 8.

Bref, ça fait mal au crâne. Une erreur d’inattention, ou un mauvais choix peut complètement changer la donne et laisser quelqu’un prendre l’avantage, sur un ou deux tours. Rattrapable mais parfois difficilement.

cartes

En 5 mots comme en 100, Templari est un bon jeu. Exigeant et délicat. Son équilibre subtil et le maintien de ce dernier sont tributaires des choix effectués par les gens autour de la table. On me répondra que c’est souvent le cas. Certes. Spafo. Mais l’impression que j’ai eue après nos quelques parties à 3 et 4, c’est que les erreurs commises par l’une peuvent donner un sérieux avantage à l’autre.

Je conseillerais le jeu à ceux et celles qui ont envie de (re)découvrir Don/Serengeti dans un univers différent et graphiquement beaucoup plus travaillé que les éditions/thèmes précédents. Templari est très certainement un très bon jeu d’enchères et il mérite d’être joué avec des partenaires prudents et particulièrement attentifs à ce qui se passe autour de la table. Chaque enchère, chaque choix crée une possible succession d’événements aux conséquences plus qu’importantes. C’est cette dimension du jeu que j’apprécie le plus, même si elle s’avère parfois très frustrante. 

 

3 questions à Raph d’Igiari :

  1. Pourquoi cette réédition de Don/Serengeti ?

« Car c’est un excellent jeu aux règles très simples mais qui est au final assez retors.

Le jeu a digiariéjà quelques années derrière lui, mais son style est toujours d’actualité. Du coup, je voulais remettre en avant cette pépite ludique pour que la jeune génération de joueurs puisse la découvrir.

Dans notre société ludique actuelle, nous avons tendance à consommer rapidement les nouveautés puis à passer à une autre nouveauté, sans prendre le temps de se retourner et de regarder ce qui a été fait avant. Igiari s’en charge pour vous donc ^^

Après Intrigue, il y a eu donc Don / Serengeti / Templari. Le prochain sera … Non sincèrement, je ne sais pas. Je n’ai pas encore creusé pour la prochaine réédition. »

 

  1. Tu as choisi Noboru Sugiura pour illustrer le jeu. Pourquoi ce choix et comment s’est passée votre collaboration ?

« J’aimais beaucoup le style de Franck Dion sur Serengeti mais deux choses me gênaient.

Premièrement, il s’agit d’un jeu où il y a des collections. Dans Serengeti, chaque objet de la même famille avait le même dessin (pour être une collection, c’est vraiment une collection ^^). Il fallait donc que chaque carte soit illustrée différemment.

Et enfin deuxièmement, bien que ce soit un jeu d’un auteur allemand, Michael Schacht, le jeu en lui-même n’est pas un jeu à l’allemande. Or, je trouvais que le style de Franck Dion lui donnait cet aspect là, ce que je ne voulais pas.

Je voulais un jeu coloré, pop, qui fasse penser à un public familial rien qu’en voyant les cartes. Et pour cela, plusieurs illustrateurs et illustratrices pouvaient le faire. Mais avec Igiari, je veux proposer des choses différentes, atypiques même si je prends des risques à chaque fois pour cela. Et celle qui se distinguait largement du lot et qui correspondait parfaitement au style que j’avais en tête, c’était Noboru Sugiura.

Pour la collaboration, c’était très simple. J’ai contacté Seiji Kanai pour entrer en contact avec elle. Il m’a expliqué qu’elle ne parle pas très bien l’anglais. De mon côté, je ne parle pas très bien le japonais. Il s’est proposé volontairement de faire le lien entre nous deux car cela lui faisait très plaisir de la voir travailler sur un jeu autre que les siens, directement en dehors du Japon. Du coup, je n’ai jamais écrit un seul mail à Noboru, mais uniquement à Seiji. »

 

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  1. Onitama, Sugiura, Art of War, tu sembles avoir un intérêt tout particulier pour le jeu japonais. Est-ce une surinterprétation ou une vraie envie d’éditer des jeux venus du Japon ? Et pour quelles raisons ? On s’éloigne un peu de Templari mais ça me semble intéressant de mettre ça en lumière.

« J’aime beaucoup la culture asiatique en général. J’ai déjà visité seul plusieurs pays : Hong Kong, Macao, la Corée du Sud et plusieurs fois le Japon que j’apprécie tout particulièrement.

Pour les jeux japonais, j’avais envie d’en éditer certains car je les trouve excellents et ils ont tout à fait leur place sur le marché français actuel. Toutefois, je ne veux pas éditer des jeux parce qu’ils viennent du Japon, je veux éditer ces jeux parce qu’ils sont très bons, tout simplement.

Vu que j’ai déjà des contacts là-bas et que j’ai déjà édité des jeux japonais, ils me font encore plus confiance pour leurs jeux maintenant. Donc il est plus simple pour Igiari de les éditer.

Mais, depuis des mois et pour certains depuis plus d’un an, j’ai des projets de localisation cette fois-ci de l’autre côté du globe, aux USA. Mais avec eux, c’est généralement « Let’s stay in touch » ou comment dire non tout en restant poli car ils veulent négocier avec des plus gros partenaires. Ce n’est donc pas faute d’essayer de changer. Du coup, je continue d’éditer les jeux que j’aime, que je trouve intéressant pour la gamme d’Igiari et surtout avec celles et ceux qui me font confiance. »

 

 

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La fiche de jeu

Un jeu de Michael Schacht
Illustré par Noboru Sugiura
Edité par Igiari
Distribué par Novalis
Pays d’origine : France
Langue et traductions : Français
Date de sortie : 2017
De 3 à 5 joueurs 
A partir de 10 ans 
Durée moyenne d’une partie : 30 minutes 

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2 Commentaires

  1. fouilloux 25/11/2017
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    Templari m’a semblé sympa, alors que les enchères, j’évite en général ça comme la peste. J’ai bien aimé Onitama et Overseer m’intrigue. Voilà donc une boîte d’édition que je vais suivre de près.

  2. Grovast 27/11/2017
    Répondre

    J’avais joué à Serengeti à l’époque et en effet, le twist est super vicieux. M’est avis que cette remise en avant est tout à fait méritée/pertinente.

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