New Angeles : libéraux et fédéraux dans un même haricot

L’univers : Android

Fantasy Flight Games développe l’univers d’Android depuis quelques années, en ayant commencé, si je ne m’abuse, par le jeu éponyme. Dans les règles d’Android (non traduit en français), l’auteur, Kevin Wilson, livrait dans un texte assez touchant sa passion pour la science-fiction qui l’avait amenée à proposer ce jeu intéressant et se rapprochant du jeu de rôle mais aux règles complexes, touffues et aux parties longues dont il est au final très difficile de maîtriser l’issue.

Cet univers a depuis été largement développé par l’éditeur, notamment via des livres, non traduits à ma connaissance et dont je ne pourrai pas plus vous parler faute de les avoir lus. Mais ils sont nombreux, ce qui suggère que l’univers est assez fouillé. Cet univers puise allègrement dans les classiques anglo-saxons de la science-fiction et particulièrement Dick et Blade Runner.

Dernièrement, j’ai eu l’occasion de voir « Fantôme dans la coquille ». Hum, « Ghost in the Shell », si vous préférez. Et je me suis dit, « Tiens ? C’est vraiment le même univers que dans Android ». Même si en réalité, c’est sans doute l’inverse qui est vrai : villes futuristes et féeriques de loin mais sales de près ; droïdes qui prennent le travail des humains qui réagissent par des mouvements de rejet violents ; humains « améliorés », voire clonés et problèmes éthiques qui en découlent ; corporations richissimes qui écrasent les peuples ; consommation de masse de biens tous aussi indispensables les uns que les autres mais dont on s’était bien passé jusque-là ; bref, comme tout univers de science-fiction, celui d’Android nous parle de notre temps de façon assez transparente pour que je ne vous fasse pas l’affront de souligner les parallèles, ce qui reviendrait du reste à faire de la politique, et ce n’est pas le lieu ici.

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Plusieurs jeux ont été tirés de cet univers, et notamment Android : Netrunner (Netrunner, « Blade Runner », ça rime) qui met aux prises une corporation et des cyberhackers. C’est donc essentiellement cet univers familier qui m’a attiré vers New Angeles, plus que les règles. J’aimerais bien en effet jouer plus souvent à Android, mais sa longueur ne permet pas de le sortir facilement. J’avais donc vaguement l’espoir que New Angeles permette de se plonger dans ce futur angoissant en une durée moindre.

Nous allons voir si ce nouvel opus de James Kniffen, jeune auteur de bons jeux comme Star Wars : Armada et Forbidden Stars a su tenir à mes yeux ses promesses au vu de cette première partie.

 

Le thème, ou comment exploiter un haricot,
et le but du jeu, ou comment gagner à plusieurs mais pas tous.

« Ce paragraphe fait un peu redite avec le précédent », me direz-vous. Alors non, le précédent c’était le général, ici, ce sera le particulier. Aller du général au particulier : la base.

La ville de New Angeles est construite autour du « Haricot Magique », surnom donné par les habitants à un immense ascenseur permettant d’atteindre la Lune et, de là, de partir à la conquête spatiale (la planète rouge a été colonisée, et il y a déjà eu une guerre entre la Terre et Mars ; oui, désolé, je repars sur le général). Bien que située en Equateur, cette ville est plus ou moins sous la houlette des Etats-Unis mais dans une relative indépendance.

Les vrais maîtres de la ville sont les corporations qui s’enrichissent dans cet environnement propice au commerce et indispensable aux échanges Terre-Lune. Néanmoins, l’état fédéral est libéral jusqu’à un certain point : si les corporations cherchent trop à augmenter leurs profits au détriment de la stabilité de la ville, il prendra le contrôle de la ville et finita la comedia.

Dans ce jeu, les joueurs incarnent les corporations et cherchent à s’enrichir tout en préservant l’équilibre de la ville, ce qui est du reste indispensable à leur propre pérennité.

Pour ce faire, ils vont, chacun leur tour, proposer des actions qu’un autre joueur pourra tenter de contrecarrer. Si c’est le cas, les joueurs n’ayant pas proposé d’action devront voter pour l’un ou l’autre : on voit poindre le jeu où il faut faire preuve de bagou (« Mais non ! Vous voyez bien que c’est moi qui propose la meilleure action pour tout le monde ! »).
L’action choisie va s’appliquer et aura des effets sur les quartiers de la ville, comme d’améliorer la situation sanitaire des populations, faire baisser son niveau d’insatisfaction, positionner les droïdes dans les quartiers qui produisent des denrées demandées par la ville, réprimer des ligues factieuses, et, parfois, ma foi, oui, s’enrichir un peu.
Puis, à certains moment, auront lieu des sortes de décomptes qui auront comme effet de mesurer l’accroissement de la richesse de joueurs, mais aussi le niveau d’énervement de l’état fédéral et son envie de remettre le grappin sur New Angeles.

 

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Parmi les joueurs peut néanmoins se glisser une sorte de traître, c’est-à-dire un joueur qui a intérêt à ce que les Etats-Unis reprennent le contrôle de New Angeles.

Nous avons donc une sorte de jeu coopératif (les joueurs doivent éviter que les Etats-Unis reprennent le contrôle de la ville) avec un traître potentiel (le fédéraliste) mais où tout le monde ne gagne pas si à la fin de la partie la ville reste indépendante. Un seul joueur gagne-t-il ? Non, plusieurs. En effet, le but du jeu est d’être plus riche qu’un joueur dont on a tiré la carte en début de partie.

Si par exemple le joueur A a comme objectif d’être plus riche que B et que B a comme objectif d’être plus riche que C, il suffit que sur la piste des scores (de l’argent) A soit devant B et que B soit devant C pour que A et B l’emportent. Fastoche pour B me direz-vous, il n’y a pas grand mérite à cela ! Oui, bon, pas tant que cela…

Ces mécanismes sont censés éviter le syndrome Res Publica Romana : « J’ai perdu tout espoir de gagner, donc je sabote le jeu pour que tout le monde perde ». Y parviennent-ils ? Il est difficile de le dire après une seule partie, mais nous y reviendrons. Chaque chose en son temps, il n’y a pas le feu au haricot comme il sera d’usage de dire à New Angeles dans quelques années.

Le matériel 

Le matériel est du standard de Fantasy Flight Games, c’est-à-dire de bonne qualité : pions épais, cartes bien illustrées, figurines joliment détaillées et qui donnent presque envie de peindre (peindre des figurines, c’est ma petite crise de la quarantaine à moi que j’ai).

Mais on ne croule pas non plus sous le matériel, on est loin d’Android où, après lecture des règles, on se grattait le menton d’un air dubitatif en se demandant « hmm à quoi peut bien servir ce pion…? ». Et, il est important de le noter, pas de dés.

Certain le regretteront, d’autres non. Je me bornerai à souligner que les mécanismes ne nécessitant pas de dés, il est normal qu’il n’y en ait pas. Vous ne manquerez pas de noter dans ces propos un certain sens pratique.

Voici le plateau en début de partie :

Le plateau en début de partie ; jusque-là, tout va bien. Matériel simple et de bon goût. Et quelle belle table !

Le plateau en début de partie ; jusque-là, tout va bien. Matériel simple et de bon goût. Et quelle belle table !

 

Ah, à propos de plateau : il fait partie de ce type de plateaux où il faut avoir bac + 12 pour arriver à les déplier sans mettre en péril leur intégrité. Vous savez, ces plateaux coupés en six qui se plient en accordéon et dont on se dit à chaque rangement « ah, mais en fait c’est facile » et qu’on n’arrive jamais à déplier. C’est celui-là même.

Sinon, j’ai trouvé l’ergonomie très bonne, avec de jolies icônes futuristes, notamment celle de la poubelle qui est vraiment mignonne.

C’est fait : je me suis entraîné à déplier le plateau, ce coup-ci, c’est bon, promis.

 

Les corporations

Nous sommes donc des corporations, avides et grippe-sous, prêtes à tout pour avoir le plus gros compte en banque ; enfin, presque à tout, pas à perdre leur indépendance.

Voyons de plus près à quoi ressemble une corporation :

La fiche de corporation NBN et sa carte d’action spéciale

La fiche de corporation NBN et sa carte d’action spéciale

 

Un logo, une capacité spéciale (ici « Faire l’info »), les cartes d’action piochées à chaque tour (ici, deux cartes de Media et une carte Biotech) et une carte d’action spéciale. Voilà tout ce qui vous distingue des autres. Cela peut sembler peu, mais cela suffit à introduire une asymétrie intéressante.

Il existe six corporations dans le jeu, dont nous pouvons voir un aperçu artistique fort réussi ci-dessous :

Les fiches des 6 corporations artistement présentées, les cartes actions spéciales tout aussi artistement présentées, le tas de cartes objectifs et, au fond, le pion joueur actif ; et quelle belle table !

Les fiches des 6 corporations artistement présentées, les cartes actions spéciales tout aussi artistement présentées, le tas de cartes objectifs et, au fond, le pion joueur actif ; et quelle belle table !

 

Les unités

Il existe trois types d’unité, deux « méchantes » (qui empêchent de s’enrichir en rond) et une « gentille » (qui aide à s’enrichir en rond).

Les deux premières sont respectivement les unités « Les humains d’abord », qui représentent des personnes qui vivent mal que les droïdes remplacent progressivement les humains dans les unités de production et les mettent au chômage (voyez-vous ça ! je vous demande un peu à quoi pensent ces gens) ; et les unités « Orgcrime », des sortes de mafieux qui essaient de s’enrichir aussi en détournant la production arrachée à la sueur du front des droïdes (les droïdes transpirent-ils en travaillant ?), ce qui n’est pas pour nous plaire (mais peut-on vraiment leur en vouloir ?).

Les voici représentés dans toute leur splendeur :

 

A gauche, unité « Les Humains d’abord » ; à droite, unité Orgcrime ; au fond, les renforts qui trépignent sur une fort belle table

A gauche, unité « Les Humains d’abord » ; à droite, unité Orgcrime ; au fond, les renforts qui trépignent sur une fort belle table

 

Quant à l’unité « gentille », la voici :

Unité Prisec, défendant un droïde corps et âme (les Prisecs ont-ils une âme ?)

Unité Prisec, défendant un droïde corps et âme (les Prisecs ont-ils une âme ?)

 

Elle empêche tout simplement des unités « méchantes » de venir dans le quartier. Je vous laisse voir si la notion de gentillesse de cette époque correspond à l’idée que vous vous en faites…

 

Séquence de jeu

Expliquer la séquence de jeu, c’est la base (l’autre base puisque la première est d’aller du général au particulier).

Alors la voilà :

new angelesTour normal

► Marché :

  • On met en jeu un « avoir »
  • Le joueur actif propose une carte action
  • Les autres joueurs peuvent faire une contre-proposition
  • Les joueurs autres que le joueur actif et celui qui a fait la contre-proposition finale votent pour une des deux offres
  • Le joueur qui remporte le vote gagne l’avoir mis en jeu et fait l’action qu’il a proposée

 

À la fin de la phase de marché, s’il n’y a plus d’avoir à mettre en jeu, on passe à la phase de production, sinon, on refait un Marché.

 

► Phase de production :

  • Tous les quartiers avec des droïdes et qui ne sont pas en grève ou en panne produisent
  • Des problèmes peuvent se produire si on n’a pas bien géré la ville
  • Si on a fait deux phases de production, on passe au tour « spécial »

 

Tour « spécial » 

  • On vérifie si on a atteint les objectifs de production
  • Chaque joueur gagne de l’argent en fonction d’objectifs secrets à lui qu’il a
  • On passe au prochain tour normal, sauf si on a fait trois tours spéciaux, auquel cas la partie prend fin

 

Voyons quelques détails sur les éléments de jeu les plus essentiels.

 

Les objectifs de production

L’image ci-dessous représente les pistes de production (outre les pioches de carte d’action dont nous parlerons plus tard) :

Les pistes d’objectifs de production en haut ; en bas, les pioches de carte action

Les pistes d’objectifs de production en haut ; en bas, les pioches de carte action

 

L’aspect production-économie du jeu est très simple : les dix quartiers du jeu peuvent produire un à deux types de ressources lors de la phase de production pour peu qu’un des trois droïdes y soit présent et que le quartier ne soit ni en grève ni en panne. « Comment ? Les droïdes feraient donc des e-grèves ? Mais qu’est-ce qui m’a foutu un matériel pareil ? » Mais non, mais non, vous rassurerai-je : les droïdes ne font pas grève mais si le quartier est très agité par des manifestations, la production est bloquée.

De même, s’il y a eu des émeutes, le quartier est en panne. C’est là que les unités « Les Humains d’abord » sont importantes : un quartier qui produit voit son niveau d’agitation augmenter de 1. Il passe par exemple de « neutre » à « agitation mineure », ou d’« agitation mineure » à « agitation majeure » (qui bloque la production).

Si des unités « Les Humains d’abord » sont présentes, le niveau augmente de deux directement, voire même peut passer à « en panne » (qui bloque aussi la production).

Atteindre le niveau de production demandé dans les quatre ressources nécessite donc une bonne coopération, pour changer les droïdes de quartier et réduire le niveau d’agitation. Améliorer la productivité du quartier peut aussi aider, mais c’est de l’investissement à long terme. Les corporations de cette époque seront-elles prêtes à réaliser des investissements long terme ? Rien n’est moins sûr.

La photographie ci-dessous montre différents pions qui représentent des états du quartier. De la gauche vers la droite, nous trouvons : un pion maladie (voir plus bas), pion agitation majeure (l’agitation majeure se trouve au dos est comporte un symbole similaire, avec plus de personnes et rouge), pion quartier en panne et un pion qui améliore la production du quartier.

 

Pions maladie, agitation mineure (l’agitation majeure est au dos), en panne et production améliorée

Pions maladie, agitation mineure (l’agitation majeure est au dos), en panne et production améliorée

 

Les cartes action

On trouve cinq types différents de carte actions et il existe quatre actions différentes par type.

Les cinq types de carte d’action ; chaque corporation a un type privilégié

Les cinq types de carte d’action ; chaque corporation a un type privilégié

 

Lorsqu’un joueur est actif, il va commencer par piocher des cartes en fonction de ce qui est écrit sur sa fiche de corporation. NBN par exemple pioche deux cartes Media et une carte Biotech. Ces cartes peuvent déclencher un certain nombre d’événements qui modifient l’aspect du plateau ou affectent le cours du jeu. Elles sont utilisées lors de la phase de marché.

 

La phase de marché

Cette phase est le cœur du jeu. Il y en aura plus ou moins au cours de la partie en fonction des cartes qui sont tirées lors de la phase de production et qui indiquent le nombre d’avoirs à mettre en jeu lors de la prochaine phase. En effet, la phase de marché n’est pas effectuée une fois par joueur, mais autant de fois qu’il y a d’avoirs mis en jeu.

Imaginons une partie à cinq joueurs. Le premier marché met en jeu trois avoirs. Les joueurs A, B et C vont donc être les joueurs actifs. Puis on aura une phase de production durant laquelle quatre nouveaux avoirs vont être mis en jeu. Les joueurs D, E, A et B auront donc l’occasion de jouer. Puis viendra une phase de production et le tour spécial. Ce sera à C de commencer la première phase de marché. Cette séquence est assez rigolote mais déroutante dans la gestion du timing.

 

Le marché, avec un avoir révélé (au centre), l’offre du joueur actif (à gauche) et une contre-offre (à droite)

Le marché, avec un avoir révélé (au centre), l’offre du joueur actif (à gauche) et une contre-offre (à droite)

 

Au début d’une phase de marché, on révèle donc un avoir que l’on met en jeu. Le joueur actif doit proposer une action de sa main et la poser sur la case offre initiale. Puis les autres joueurs, dans le sens des aiguilles d’une montre à partir du joueur actif, peuvent faire une contre-offre et proposer une autre action.

Le premier à faire une contre-offre n’a qu’à poser une carte sur l’emplacement prévu. Le second doit défausser une carte et poser une autre action sur la première.

L’éventuel troisième devra défausser deux cartes et poser son action, et ainsi de suite. Cela devient donc de plus en plus cher de faire des contre-offres. Une fois cela fait, on passe au vote : les joueurs qui n’ont pas fait d’offre peuvent poser des cartes action (face cachée), soit à côté de l’offre, soit à côté de la contre-offre.

L’offre qui a reçu le plus de suffrage l’emporte : le joueur qui en est à l’origine effectue son action (en faisant les choix qu’elle demande de faire) et remporte l’avoir, qui est un pouvoir immédiat ou permanent mais en général assez intéressant pour susciter les convoitises.

 

Quelques exemples d’effets d’action

« À quoi servent les actions ? À s’en mettre plein les fouilles ? »

Parfois oui, mais pas forcément : elles permettent aussi de réduire l’agitation, soigner les maladies, augmenter la productivité des quartiers, réprimer les agitateurs (unités Orgcrime et Humains d’abord), mettre en jeu des unités de sécurité, déplacer les droïdes vers les quartiers qui produisent les denrées demandées (ou pas), bref, tout ce qu’il faut faire pour favoriser le fonctionnement harmonieux (kof kof) de la ville…

« C’est du travail, tout ça ! Et puis, soigner les gens ? Mais à quoi bon ? »

« Pour qu’ils puissent produire, banane ! » serait une réponse cynique digne du début du 21ème siècle. De nos jours, ce sont les droïdes qui travaillent, alors à quoi bon en effet ? Tout simplement parce que toute action opérée dans un quartier où sévit une maladie attire l’attention du gouvernement fédéral qui ne voit pas d’un bon œil qu’on laisse la population mourir. « Quels doux rêveurs ces fédéraux, je vous demande un peu où ils peuvent bien venir chercher ce sentimentalisme sirupeux. » Mais il en va ainsi. Et puis si on veut que les gens consomment, il faut qu’ils soient en bonne santé. Ça y est ? Vous êtes convaincus ?

 

Les fédéraux et leurs gros sabots

« Comment les fédéraux peuvent-ils prendre le contrôle de New Angeles ? »

Plusieurs aspects font progresser la piste des fédéraux : à la fin de chaque tour de marché, une carte va être révélée qui stipule que, si par exemple on trouve les unités Orgcrime dans tel secteur de la ville, les fédéraux se fâchent tout rouge. Or, le dos de ces cartes permet d’avoir une idée de ce qu’il faut éviter (telle unité présente, des grèves, des pannes…). On ne peut pas se plaindre de n’être pas prévenu et, normalement, les joueurs vont s’attacher au cours des quelques tours de marché dont ils disposent à réduire cette menace.

Les unités « Humains d’Abord » pullulent dans les quartiers rouges, mais ce n’est pas très grave, la menace serait qu’il y ait des unités Orgcrime comme indiqué sur la carte

Les unités « Humains d’Abord » pullulent dans les quartiers rouges, mais ce n’est pas très grave, la menace serait qu’il y ait des unités Orgcrime comme indiqué sur la carte.

 

Si les objectifs de production ne sont pas atteints, là, les fédéraux ne vont vraiment pas être contents, car ils vont comprendre que l’outil de production a été mis à mal par notre cupidité. Un objectif de production non atteint peut faire augmenter la piste de 7 ou 8, ce qui n’est pas négligeable par rapport aux 25 qu’il faut atteindre pour déclencher la prise de contrôle.

Laisser trop d’unités et de pions apparaître dans les quartiers peut aussi faire progresser la piste des fédéraux. En effet, on ne peut pas avoir deux unités ou deux pions identiques sur le même quartier : si cela devait se produire, l’unité ou le pion surnuméraire progresse vers le quartier suivant, jusqu’à atteindre la base du haricot où les fédéraux les éliminent mais en s’énervant (deux points). Ceci fait qu’il n’est pas non plus très bon de mettre des unités Prisecs dans tous les quartiers, car sinon, toute unité ennemie rajoutée en jeu va prendre ses jambes à son cou directement dans les bras des fédéraux.

Enfin, toute action déclenchée dans un quartier où sévit une maladie (comme faire diminuer l’agitation, placer des droïdes) fait également progresser de deux la piste des fédéraux.

 

Les objectifs secrets (ou comment la cupidité met à mal les intérêts collectifs)

« Je suis vraiment désolé de ne pas avoir aidé à baisser le niveau d’agitation, mais ça me rapportait plein d’argent »

Durant la partie, les joueurs recevront trois objectifs secrets dont les effets seront appliqués lors du tour spécial.

Une grande partie de la fourberie du jeu repose sur ces objectifs. En effet, la plupart d’entre eux rémunère les joueurs en fonction du nombre d’éléments négatifs, comme le niveau d’agitation, le nombre d’unités « méchantes », le nombre de quartiers en panne… Certains rapportent en fonction du niveau de production atteint par une ressource, mais s’il ne s’agit pas de la ressource demandée par les fédéraux, le joueur propriétaire devra chercher à détourner les moyens de production vers celle-ci, compromettant l’objectif commun. Bref, en un mot, ces objectifs secrets incitent les joueurs à faire n’importe quoi et à avoir un comportement irrationnel par rapport aux objectifs de survie. Ah, les méfaits de l’appât du gain !

 

Récit de la partie

« C’était à La Costa, faubourg de New Angeles. »

Le (pas si) bref aperçu des règles ci-dessus vous a sans doute permis de percevoir les choix complexes auxquels vont être confrontés les joueurs : ils doivent s’enrichir, en tout cas plus qu’une autre faction en particulier, aider à résoudre les problèmes de la ville car cela leur permet d’éviter de perdre, sachant que plusieurs mécanismes les incitent à ne pas faire trop d’efforts.

Fin du premier tour, jusqu’ici, tout va bien : sommes-nous tous d’honnêtes corporations ?

La tension gronde au sein des masses ! Mais sur cette photo, Orgcrime et Humains d’Abord semblent copains comme cochons

La tension gronde au sein des masses ! Mais sur cette photo, Orgcrime et Humains d’Abord semblent copains comme cochons

 

Lors du premier tour, nous pûmes (eh bien oui, nous pûmes) atteindre les objectifs de production assez facilement grâce à un minimum de concertation. Mais, poussés que nous étions par nos objectifs personnels, nous avons laissé s’accumuler les unités ennemies, les pions panne, grève et maladies. C’était – sans que nous ne le réalisions trop – une victoire à la Pyrrhus sur le jeu et les fédéraux.

Grisés par cette réussite, nous ne tardâmes (eh bien oui, tardâmes) que trop à réaliser que nous avions trop tendu les moyens de production de la ville, jusqu’à un point de non-retour.

La photographie ci-dessous est la situation au début du troisième phase de marché, donc juste après le premier tour. Nous constatons qu’aucun quartier n’a pas son lot de malheurs. 

Début du troisième tour : les fédéraux sont loin de prendre le contrôle (deux points), mais les germes de la défaite sont déjà là

Début du troisième tour : les fédéraux sont loin de prendre le contrôle (deux points), mais les germes de la défaite sont déjà là

 

Le jeu exprime ici son caractère retors : les objectifs secrets incitent à lambiner sur la résolution de problèmes. Le fait d’enrichir une autre corporation en résolvant les problèmes n’incite pas à le faire non plus : par exemple, faire diminuer l’agitation enrichi NBN, comme nous l’avons vu sur sa fiche. J’ai été dans la situation assez drôle (avec du recul) où j’avais le choix soit entre enrichir la corporation que je devais dépasser en termes de richesse, soit laisser enfler la révolte en ville. Je vous laisse deviner le choix que j’ai opéré.

Lors de ce premier tour, un autre facteur de défaite collective s’est fait jour : deux joueurs se sont détachés, laissant le Fédéraliste s’approcher tranquillement des 25 crédits qu’il doit atteindre pour l’emporter en cas de reprise de contrôle par les Etats-Unis, et deux autres joueurs relativement plus bas au score. Or, ces deux joueurs avaient pioché leur propre carte de corporation, ce qui signifie qu’ils devaient être plus riches que deux autres corporations.

Concluant sans doute hâtivement qu’ils avaient perdu tout espoir (hâtivement car le reste de la partie a montré qu’il pouvait y avoir des rebondissements), ils n’ont pas non plus cherché à trop coopérer, faisant le jeu du Fédéraliste.

Mais, comme l’a souligné l’un deux, les joueurs en tête (dont je faisais partie) auraient dû plus jouer sur l’échange d’argent (car on peut le faire), afin de les relancer dans la partie et les inciter à coopérer. Mais ce n’est jamais évident d’abandonner son argent au profit d’autres corporations, surtout que les deux joueurs de tête devaient être mutuellement plus riches que l’autre.

 

Fin du deuxième tour : sommes-nous tous des fédéraux ?

Le déroulement du deuxième tour a été la conséquence du premier : les quartiers étant bloqués pour la plupart, la coopération tardant à se mettre en place (toujours l’effet des objectifs individuels et de l’appât du gain), les objectifs de production n’ont pas été atteints, faisant s’envoler la piste de prise de contrôle par les fédéraux. Les événements n’ayant pas non plus été contrôlés, la présence d’unité et de pions grève a aussi bien contribué à faire monter cette piste.

Nous faisions tous tellement n’importe quoi que nous en sommes venus à supposer que nous étions cinq fédéralistes. Or, après vérification des règles, ce n’était absolument pas possible.

Et pendant ce temps, un prude Prisec en goguette à la plage se réfugie derrière son bouclier face à la sylphide créature, sous l’œil goguenard d’un Humain d’Abord

Et pendant ce temps, un prude Prisec en goguette à la plage se réfugie derrière son bouclier face à la sylphide créature, sous l’œil goguenard d’un Humain d’Abord

 

L’image ci-dessous donne un bon perçu de l’état de déréliction de la cité : le quartier où se trouve un droïde est en panne, un autre est bloqué, le troisième pas loin de l’être et sa population est en plus malade.

Un quartier en panne, un en grève, un agité avec des Humains d’Abord malades, la situation s’aggrave

Un quartier en panne, un en grève, un agité avec des Humains d’Abord malades, la situation s’aggrave

 

Fin du troisième et dernier tour : ça devait bien se terminer ainsi

Enfin, au moment crucial, comme dans les bons vieux films de série B, alors que l’espoir était encore permis, le Fédéraliste ayant gagné le droit de faire une production supplémentaire qui aurait été bien utile, s’en est servi pour produire n’importe quoi.

Moi : « Mais enfin, pourquoi fais-tu cela ? »

Le Fourbe : « Devine, patate ! »

Moi : « Mais enfin, je sais bien qu’il y a un haricot géant dans le jeu, mais je ne suis pas une patate géante. »

Le Fourbe, arrachant son masque et les traits torturés d’un rire sardonique : « Ah ah ah ah, je suis le Ricain ! »

Moi : « Ah bon ? »

Oui, je suis un peu naïf. Jamais je n’aurais cru ça de lui. Un garçon si honnête.

Et voilà notre tableau de production : n’importe quoi, vous dis-je ! Les Fédéraux ont rappliqué dare-dare.

 

Voilà à quoi conduisent la félonie et la cupidité : on produit n’importe quoi et les fédéraux nous jettent le grappin dessus

Voilà à quoi conduisent la félonie et la cupidité : on produit n’importe quoi et les fédéraux nous jettent le grappin dessus

 

Voici une image de ce désastre, du Waterloo de New Angeles (les habitants de New Angeles connaîtront-ils Waterloo ?), alors que la poudre des pistoleros est retombée sur le spectacle désolant (et désopilant pour le Traître) de la morne ville :

La große Katastrophe : tout est parti à vau-l’eau, sous l’œil brillant de malice du fédéral démasqué. Mais quelle belle table !

La große Katastrophe : tout est parti à vau-l’eau, sous l’œil brillant de malice du fédéral démasqué. Mais quelle belle table ! 

 

Vous me direz : « mais tout va bien, les Fédéraux sont à peine à 9 sur la piste ».

Non, non, ils sont à 25 + 9, soit 34… La déconfiture vous dis-je, nous avons tous finis en prison.

Et combien tout ceci a-t-il donc pris de temps ? Sachant que nous avons dû commencer l’explication des règles vers 20h48, et que l’heure de fin est indiquée ci-dessous, je vous laisse juger si cette durée de jeu correspond à ce que vous recherchez.

Une fin de partie à une heure charitable. Quelle admirable pendule !

Une fin de partie à une heure charitable. Quelle admirable pendule !

L’avis des joueurs

Etant assez fainéant de nature, j’ai mis les autres joueurs à contribution pour recueillir leurs remarques. En voici un pot fleuri (mélange entre pot-pourri, terme assez négatif et florilège) :

  • Les objectifs finaux variants d’un joueur à l’autre et les objectifs intermédiaires introduisent une ambiance de mensonges et de faux-semblants permanents particulièrement retorse. L’expérience devrait néanmoins apprendre à comprendre les intérêts des joueurs et deviner où ils vont pour éviter ce qu’il s’est passé.
  • Les objectifs intermédiaires permettent une évolution des alliances en cours de partie, ce qui rend le jeu intéressant.
  • L’aspect coopératif doit être un peu mieux géré avec l’expérience puisqu’on doit apprendre jusqu’où ne pas aller trop loin dans le sabotage (ou la poursuite de ses intérêts individuels) ; là, par exemple, on est allés beaucoup trop loin, c’est bon à noter.
  • Si on voit bien une filiation avec Battlestar Galactica, le temps de jeu est ici vraiment appréciable et nul temps mort n’a été perçu ;
  • Les objectifs individuels étant très alléchants, nous aurions sans doute tous perdu même sans traitre (même si celui-ci a finement joué) et il faudrait peut-être une carotte à la coopération ; même si la carotte existe, à savoir que sans cela, on fait gagner le fédéraliste. L’expérience doit aider à trouver l’équilibre.
  • On n’a probablement pas assez joué avec la possibilité de faire des échanges de points pour récupérer dans la course à la victoire et la coopération les joueurs éloignés au score.

 

Tous les joueurs ont apprécié cette partie et souligné le fait que l’expérience devrait aider à trouver un meilleur compromis entre enrichissement personnel et coopération.

 

Alors, heureux ?

C’est la première fois que j’ai proposé à la rédaction de Ludovox de rédiger un just Played avant même d’avoir pratiqué le jeu. Habituellement, je leur propose d’en faire un suite à une partie d’un jeu pour lequel j’ai eu un coup de cœur. Peu après avoir fait cette proposition, j’ai lu des échos assez négatifs sur New Angeles qui me parlaient (trop long, répétitif, aux conditions de victoire qui incitent à saboter le jeu). Je m’attendais donc à l’éventualité de faire pour la première fois une chronique négative, alors même que je préfère parler de jeux que j’apprécie.

Or, j’ai beaucoup apprécié cette partie, je pense que les lignes qui précèdent le suggèrent largement et mes camarades de jeu l’ont également appréciée. En tout cas, nous avons parlé, négocié et même bien ri devant des situations loufoques. Peut-être cette hilarité et cette bonne humeur étaient-elle plus liées aux maladresses des corporations non fédérales, de l’entrain que nous avons tous mis à saboter cette étrange ville de New Angeles. Mais il n’en reste pas moins que nous avons passé un bon moment et que je suis prêt à retenter l’aventure, fort des quelques enseignements appris.

Le jeu permet-il de jouer dans l’univers d’Android dans un temps raisonnable ? Cela dépend évidemment de ce que l’on appelle « raisonnable », mais nous avons vu que notre partie a tenu dans une soirée où nous ne nous sommes que partiellement transformés en citrouille (oui, à 12h30, on n’est pas encore une citrouille complète). À six joueurs, et il y a fort à parier que le jeu trouve toute son essence avec la sixième corporation, le jeu sera certes plus long. Nous avons pas mal négocié et discuté, mais de façon raisonnable.

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Peut-on saboter le jeu quand on se voit perdu ? Oui, indubitablement, oui ! Mais on le sabote également quand on est en bonne voie pour gagner, et c’est là que cela devient rigolo.
Ce jeu n’échappe pas au syndrome de Res Publica (je ne peux pas gagner donc je fais perdre tout le monde), mais, normalement, ceux qui se sentent perdus ne devraient pas chercher à avantager le joueur fédéral (qui peut ne pas être là, mais il y a de bonnes chances qu’il le soit) et le fait que plusieurs joueurs peuvent gagner devrait limiter ce risque.
Enfin, la possibilité de remettre en selle des joueurs éloignés au score (en tant que joueur A qui doit être plus riche que B, cela ne devrait pas me déranger de relancer C) devrait inciter un peu plus à la coopération.

Bref, well done Mr James Kniffen, maintenant à nous d’apprendre dans la bonne humeur à maîtriser la bête…

 

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Un grand merci à Jonathan pour les admirables photographies.
Les illustrations « Android Universe » proviennent quant à elles du site de Fantasy Flight Games

 

La fiche de jeu

Un jeu de James Kniffen
Illustré par Henning Ludvigsen
Edité par Fantasy Flight Games
Distribué par AsmodeeEdge EntertainmentGalakta
Langue et traductions : Allemand, Anglais, Chinois, Français, Italien, Russe
Date de sortie : 2016
De 4 à 6 joueurs 
A partir de 14 ans 
Durée d’une partie entre 120 et 240 minutes 

 

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3 Commentaires

  1. M3th 06/12/2017
    Répondre

    Ca faisait longtemps que je cherchais un retour complet sur ce jeu, étant fan de l univers. C’est chose faite et de fort belle manière. Merci.

    Bon je suis surpris de ce que ce jeu propose, mais ton article me donne vraiment envie de l essayer. N’y aurait il pas un peu de Rex au niveau de l inspiration? On est loin de Forbidden star en tout cas.

  2. Sedenta 15/12/2017
    Répondre

    J’aurais ajouté « Shadowrun » dans les inspirations de l’univers d’Android, mais je suis p’tet vieux.

  3. Meeeuuhhh 15/12/2017
    Répondre

    Ou moi trop jeune ou, plus vraisemblablement, pas assez cultivé !

    N’ayant jamais pratiqué Rex, je ne peux pas répondre à votre question, M. M3th, mais je confirme que cela n’a pas grand chose à voir avec Forbidden star en effet.

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