Les éditeurs coréens déferlent sur Essen

Le salon d’Essen est sûrement l’occasion la plus tentante de se jeter sur les jeux rares, et parmi eux, on trouve souvent quelques perles venues d’Asie. Corée du Sud, Taïwan, Hong-Kong et Japon sont comme par magie élevés au rang de grands de ce monde du jeu. Les stands s’agrandissent, le catalogue se révèle de plus en plus intéressants et les auteurs portent parfois des noms tout à fait occidentaux, alors qu’il y a quelques années seuls les noms locaux apparaissaient sur les boîtes.

 

Je ne serai pas à Essen, comme chaque année ou presque. Déception de joueur, je scrute inlassablement les forums, articles et vidéos présentant les nouveautés à ne pas rater, les jeux à essayer et ceux qui semblent, par leur étrangeté, attirer l’oeil peu habitué à ma zone de vie ludique.

OINK-GAMES

Cette fois-ci, plutôt que d’aborder les jeux japonais, avec Oink, Itten ou Japon Brand, je me suis dit que j’allais aller vers d’autres horizons. Pas si éloignés mais plus ambitieux, même si Oink se développe à une vitesse hallucinante depuis quelques mois avec trois nouvelles sorties et d’autres jeux en pré-production. Je ne vous cacherai pas qu’il y a du bon et du vraiment moins bon, mais je réserve mes avis pour un autre jour. Ou alors, non, juste un petit conseil entre ami(e)s : évitez Here Comes the Dog d’Itten, comme on le ferait d’une pizza à l’ananas à Naples. 

 

Les jeux beaux et bons, c'est le paradis, les jeux juste beaux, ça sert juste à parader auprès des ami(e)s. 3 minutes au plus.

Les jeux beaux et bons, c’est le paradis, les jeux juste beaux, ça sert juste à parader auprès des ami(e)s. 3 minutes au plus.

 

 

Parlons plutôt de la Corée, si vous le voulez bien. Sinon, un clic sur la flèche « retour » et vous voilà épargné. La Corée du Sud, pour être plus précis. Le jeu de société a atteint un seuil de popularité que nombre de pays voisins envient. Surtout dans les familles, cible encore très peu atteinte au Japon, par exemple, où la population des joueurs et joueuses change beaucoup plus lentement.

Nous avons donc au programme d’Essen, Mandoo Games, Happy Baobab et Korean Board Games, trois acteurs importants du marché. J’ai eu la chance de recevoir des exemplaires d’une bonne partie des jeux. Je les en remercie, et tâcherai d’être le plus objectif possible. Prenez donc mes critiques avec les pincettes nécessaires.

 

Happy Baobab

TonTon 

Ce jeu signé Toru Hasegawa avait pour nom original Ninja Trick.

TonTon, quand il s'appelait encore Oboro Ninja Trick

TonTon, quand il s’appelait encore Oboro Ninja Trick

 

On s’est donc éloigné du thème original. Les jetons « shurikens » et autres armes silencieuses des ninjas étaient bien présentes dans cette première version, accompagnées de cartes mission à remplir, donnant un peu de répondant thématique au titre. Au final, ce dernier était malgré tout une simple couverture graphique puisqu’il s’agit avant tout d’un jeu de pli assez mécanique mais tout à fait original.

Chaque joueur aura une main de cartes qu’il s’agira d’utiliser à bon escient pour atteindre des objectifs définis en début de manche. Là où le jeu est intéressant, c’est dans la façon de classer les cartes gagnées en fin de tour. Les joueurs devront créer trois piles de cartes devant eux, une par couleur (vert, rouge et bleu), en posant la carte de la valeur la plus faible au dessus de la pile. Étonnant, me direz-vous, mais c’est dans la gestion des cartes gagnées que le jeu prend tout son sel. Il faudra bien se souvenir de quelles cartes sont déjà tombées, au risque de vous faire écraser par vos adversaires. Les missions sont le moyen le plus important pour gagner des points de victoire, avec par exemple, en fin de manche, approcher le plus possible de la somme 14 (résultat de l’addition de vos cartes visibles au-dessus de chaque pile)… Pour les amateurs de jeux de pli, il ne fait aucun doute que vous vous devez de jeter un œil à TonTon. Ian Parovel, responsable du design et des illustrations, a réalisé un très joli objet, proche en taille du jeu original, mais autrement plus inspiré visuellement.

 

La version coréenne !

La version coréenne !

 

Crime Hotel 

Le retour du grand Susumu Kawasaki ? Pour moi, il ne fait aucun doute que ce pionnier du jeu de société japonais, reste un auteur important dans le paysage ludique japonais. Il est moins actif ces dernières années mais on le voit régulièrement sur les Game Market. Cette fois, Happy Baobab reprend Trick of Spy, un jeu disponible en anglais chez Wizkids, sans effort de développement mécanique ni graphique. Le jeu est d’ailleurs passé sous les radars des joueurs, semble-t-il, et c’est bien malheureux.

Trick of Spy, dans sa version Game Market, qui est aussi celle de Wizkids.

Trick of Spy, dans sa version Game Market, qui est aussi celle de Wizkids.

 

Ici aussi, Ian Parovel est venu mettre son grain de sel dans la conception graphique, et c’est une fois de plus très réussi.

 

crimehotel

Dans Crime Hotel, les joueurs incarnent des enquêteurs qui essaient de retrouver dans quelle chambre d’hôtel un meurtrier s’est terré. Pour ce faire, ils vont entrer et allumer la lumière dans les chambres qui composent cet hôtel de 3 étages. Comme son nom original l’indique, on retrouve une fois de plus des mécaniques de jeux de pli (quelle année merveilleuse pour les amateurs de jeux de ce type !). Ces dernières sont une partie seulement du déroulement du jeu, même s’il est important de faire les bons choix lorsque vous jouez des cartes !

crimehotel1

Là où le jeu dévoile son véritable intérêt, c’est dans la phase de déduction (ou d’enquête). Les joueurs seront en compétition pour être le ou les premiers à s’approcher le plus possible de la cachette du meurtrier ! Vous devez trouver le bonne étage, la bonne colonne de chambres ou la chambre exacte, afin de déloger ce criminel et recevoir les honneurs ! Ça semble tout simple mais sachez que votre cerveau risque de faire quelques embardées thermiques. Les actions disponibles sur un plateau accôté au plateau central vous aideront à affiner ces choix, ou à aller chercher des indices chez vos adversaires !

 

Mandoo Games

Wangdo 

Wangdo est un jeu signé par un trio d’auteurs vénérables. Je vous le donne en mille : Sébastien Pauchon, Franck Crittin et Grégoire Largey. Il me semble que Sébastien Pauchon était d’ailleurs passé par la Corée il y a quelques semaines pour participer aux Masterclass de Design coorganisées justement par le responsable de Mandoo Games notamment.
Dans Wangdo, les joueurs et joueuses prennent le temps d’une partie l’apparence de chefs de clan d’ours, vivant dans les forêts sauvages de contrées que l’homme n’a pas connues. Le roi, sentant la fin approcher, décide de demander à ces chefs de clan de montrer ce dont ils sont capables afin de trouver le meilleur successeur au trône. Ils vont donc parcourir les mille lieues de ce pays du nord de l’Asie pour y trouver la connaissance et la foi. Sous cette jolie poésie lyrique très orientalisante, Wangdo est avant tout un jeu abstrait. Le matériel est très beau et les illustrations Jakub Rebelka, sous la direction de Vincent Dutrait, donnent au jeu une identité graphique très forte.

C'est sublime, non ?

C’est sublime, non ?

 

Le principe du jeu est très simple, sur le papier, mais plus délicat à réaliser avec talent. Il vous faudra placer des statues de clans divers afin de récupérer des reliques (de la connaissance, en gros), en respectant un système de pose bien précis : lorsque vous posez une statue, elle doit être d’une couleur différente de celles adjacentes, et vous devez pouvoir rendre aux temples une ou plusieurs statues de ces dites couleurs adjacentes. Pour ce faire, à votre tour, vous pourrez effectuer une action parmi plusieurs disponibles : prendre 3 statues à l’aveugle dans un sac, en prendre 2 sur les temples, ou en poser une sur la carte posée au centre de la table.
Lorsque vous parvenez à réunir le nombre demandé de reliques d’un type, vous accédez à la connaissance et obtenez une carte « action » utilisable ultérieurement. C’est un jeu très abstrait mais cela ne gâche en rien le plaisir de réflexion qu’offre le jeu. Entre son côté jeu de course et son exigence en terme d’organisation de la pensée (il est préférable de penser sur plusieurs tours, même si les tours des adversaires peuvent venir interférer avec vos plans) en font un jeu très intéressant.

Une partie en cours !

Une partie en cours !

 

Seals 

Ce jeu est réalisé par les mêmes auteurs que Wangdo. Ils étaient cependant bien moins inspirés que sur le premier. Seals est un jeu qui m’a évoqué plus d’une fois les mécaniques du mah-jong.
Vous jouez avec un deck de cartes. Au début de la partie, les joueurs n’ont aucune carte en main. Il y a par contre 4 cartes présentes au milieu de la table. À son tour, une joueuse va donc pouvoir récupérer des cartes selon deux règles très simples : prendre toutes les cartes d’une couleur, toutes celles d’un même nombre ou symbole. Les joueurs et joueuses gagnent des points de victoire en réalisant des carrés (comme au poker), ou une suite de cartes allant de 1 à 10, toutes couleurs confondues. La boîte indique quelques mots-clefs qui correspondent bien au jeu : chance et rapidité, notamment.

Si le joueur ramasse les deux 7 de la rivière, il peut gagner 2 points !

Si le joueur ramasse les deux 7 de la rivière, il peut gagner 2 points !

Le jeu peut provoquer deux ambiances tout à fait différentes. Soit on fait juste la course à celui ou celle qui réunira 4 cartes de même valeur, et là, la chance joue un rôle beaucoup trop important pour que le jeu soit intéressant, soit on la joue version habitués du mah-jong, à savoir qu’on essaiera de réaliser les combinaisons qui rapportent le plus de points. Une partie s’arrête dès que 5 manches ont été jouées, ou dès qu’un des participants à la partie gagne 5 points. Les combinaisons rapportent de 1 à 4 points ! Autant vous dire que ça peut aller très vite. Les illustrations très sobres sont signées Vincent Dutrait. C’est un bel objet mais un jeu qui ne m’a pas convaincu et auquel il semble manquer un petit quelque chose, le truc inattendu qui donne envie d’y jouer sans avoir l’impression de juste passer le temps.

 

Spring Rally 

Voilà sans doute le meilleur jeu de la sélection de Mandoo Games pour cette édition 2018 du salon d’Essen. Joli, rapide, amusant, nerveux et avec une belle tension au fil de la partie, ce jeu familial est parfait pour ceux et celles qui manquent un peu de piment et de compétition dans leur vie de loisir ! Vous êtes des pilotes de petits véhicules mécaniques qui vous affrontez sur une des deux courses disponibles (un plateau recto-verso). Le but, pour chacun et chacune d’entre vous, va être de passer deux fois la ligne d’arrivée.

Le meilleur jeu de cette sélection pour Lana et moi-même !

Le meilleur jeu de cette sélection pour Lana et moi-même !

 

Les mouvements que vous effectuerez sont définis par deux mécaniques différentes : la première, le résultat d’un affrontement par cartes type jeux de pli, la deuxième, une mécanique que les anglophones nomment catch-up, qui vous permettra de bénéficier d’avancées très importantes sur le plateau.

Lorsque vous gagnez un pli, vous avancerez d’un nombre de cases équivalent à la valeur de carte jouée la plus petite. Une seule voiture avancera par pli ! Les autres voitures, à l’arrêt pendant ce tour, en profiteront pour faire tourner leur petit mécanisme d’une valeur (elles s’étendent de 1 à 16).

Lorsque vous remportez un pli, vous pouvez à tout moment utiliser votre bonus de boost pour avancer un nombre de cases plus important. En fin de manche, quand toutes les cartes ont été jouées, tous les participants bénéficient de ce boost bonus.

Là où le jeu est vraiment passionnant, c’est qu’il n’est pas toujours nécessaire de remporter beaucoup de plis pour gagner la course !

Je vous laisse profiter du plaisir à la vue de ces petites voitures !

Je vous laisse profiter du plaisir à la vue de ces petites voitures !

 

Ce principe est tout simplement génial et crée une ambiance autour de la table assez folle. La troisième manche est clairement celle où les joueurs et joueuses auront le plus de maîtrise sur le jeu puisque toutes les cartes sont distribuées. Les deux premières sont plus compliquées parce que vous ne savez pas quelles valeurs sont présentes. Le deuxième tour de la course est aussi plus délicat puisque le bonus de boost s’étend de 1 à 16 pour finir sur 4 ! Trop de plis perdus et voilà votre bonus réduit à peau de chagrin.

Le jeu dispose d’un bel équilibre et le matériel est mignon à souhait. Si vous n’avez pas encore une âme de Mangemort, vous ne pourrez qu’aimer ce jeu qui fait désormais partie de nos préférés en famille ! L’auteur s’appelle H.J. Kook et les illustrations ont été réalisées par Aline Kirrmann et Shanshan Zhu.

 

Korea Board Game

The Bark Side 

The Bark Side est le résultat d’une campagne Kickstarter qui n’est pas parvenue à atteindre son objectif financier. J’ai été l’un des participants à la campagne et j’avoue que j’avais été très déçu de ne pas avoir pu voir la tentative de financement réussir. L’éditeur coréen a malgré tout décidé de sortir le jeu, en passant par un circuit plus « traditionnel ».

The Bark Side, croyez-le ou non, est lui aussi un jeu de pli. Décidément, ce genre a vraiment le vent en poupe… Mêlant les principes connus de 5 cornichons de Friese et d’Abluxxen, de Kiesling, il s’agira pour vous de ne surtout pas remporter le dernier pli. C’est le seul qui compte vraiment et il vous faudra donc gérer votre main de cartes avec un peu de chance et de talent. 

À votre tour, lorsque vous êtes le premier joueur, vous pouvez jouer une carte unique, ou plusieurs cartes de la même valeur. Ceux et celles qui jouent après vous devront essayer de jouer une carte d’une valeur supérieure à la vôtre, ou plusieurs cartes de valeurs supérieures. Si je joue 2 cartes de valeur 5, il faudra 2 cartes de valeur 6 ou plus. Si vous ne pouvez pas jouer en respectant ce critère, vous devrez vous débarrasser des 2 cartes dont les valeurs sont les plus petites dans votre main !

Images colorées et petites phrases sympas accompagnent le jeu !

Images colorées et petites phrases sympas accompagnent le jeu !

 

C’est là que le rapprochement avec 5 cornichons se fait, puisque la dernière carte que vous jouerez, si c’est la plus forte, vous obligera à ramasser toutes les cartes jouées se dernier tour.
Les cartes ainsi gagnées seront posées devant vous. Dès qu’un joueur se retrouve avec 7 types de cartes différentes, la partie est terminée et celui ou celle qui aura le moins de cartes posées remportera la partie !

Le principe est amusant au possible et les illustrations de chiens jolies et dotées de répliques drôles et malines vous inviteront rapidement à vouloir rejouer. Au même titre que 5 cornichons, le plaisir de jeu se trouve surtout dans la possibilité de pourrir vos adversaires.

 

Comme vous aurez pu le constater, le jeu de pli est très à la mode chez les éditeurs coréens. Favori aussi des auteur(e)s japonais, ça me met en joie de voir que ce genre est proposé sous diverses formes, toute plus originales que les autres.

Le bilan provisoire de ce salon vu sous le spectre des éditeurs coréens est plutôt positif. Si vous avez l’occasion d’essayer les jeux que cet article évoque, je vous invite très fortement ! J’aurais pu ajouter Papering, toujours chez Mandoo, Magic Fold mais aussi Layers chez Happy Baobab, deux jeux dans l’esprit (éloigné mais je sens comme une sorte de descendance naturelle) qu’a suscité le très populaire Fold It, il y a quelques années. Bon salon !

 

 

LUDOVOX est un site indépendant !

Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :

4 Commentaires

  1. snaketc 24/10/2018
    Répondre

    J’ai testé Crime Hôtel et je confirme qu’il mérite sa place. C’est rapide  fun et intelligent. Bon ce n’est pas du gros jeu mais pour sa gamme il est très bon.

  2. Mouche 24/10/2018
    Répondre

    C’est trouvable pour ceux qui ne vont (malheureusement !)pas à Essen ? J’avoue que Tonton et Crime Hotel me font bien envie !!

    Merci pour l’article !

    • Izobretenik 24/10/2018
      Répondre

      Alors, si je ne dis pas de bêtise, ils sont tous deux disponibles chez Philibert pour le moment. Pour l’après Essen, je n’en sais pas plus. J’imagine que Mandoo, KBD et Happy Baobab cherchent des partenaires, mais rien ne permet d’assurer que les jeux seront localisés dans l’espace francophone.

  3. Mouche 24/10/2018
    Répondre

    Merci !

Laisser un commentaire