[Blackwood] Lumière sur la sombre forêt

Les habitants vaquaient à leurs occupations lorsqu’un frisson secoua l’ensemble du village : le Conseil des Sorcières avait décidé d’accueillir un nouveau membre en son sein.
L’événement était de taille, et la ferveur s’empara rapidement des villageois. Rendez-vous compte, cela n’était pas arrivé depuis des dizaines d’années ! C’était là l’occasion de montrer ses talents et de couronner le travail d’une vie, une vie consacrée à la concoction de potions.

Malheureusement, vous n’étiez pas seul en lice, et il allait falloir tout le soutien de vos marionnettes pour vous assister dans votre quête d’ingrédients disséminés à travers la forêt mystérieuse jouxtant le village. Le magicien Tapimoket pourrait vous fournir quelques sortilèges pour prendre l’avantage sur vos concurrents, si vous parveniez à fabriquer les bonnes potions et à rassembler quelques pièces. À moins que vous ne soyez contraint de demander l’aide du tristement célèbre Fagus Bok, bonimenteur toujours là pour prêter de l’argent, mais à quel prix… ?!

 

L’appel de la forêt

C’est attiré par le côté sombre de la couverture de la boite que je me suis approché de Blackwood. La silhouette de son petit personnage traversant un pont de bois pour faire un pique-nique éveillait également une petite lumière dans mon inconscient enfantin, soulevant la nostalgie du jeu vidéo Final Fantasy 9 auquel je n’ai pourtant jamais eu l’occasion de m’essayer ! Mais que voulez-vous, il y a des images qui imprègnent plus ou moins bien votre cerveau.

 

 

Il ne fallut que peu de temps avant que je ne me décide à soulever le couvercle et pénétrer dans cette obscure forêt. Quelle ne fut pas ma surprise, alors que je m’attendais à me perdre dans les bois, de rentrer dans une chaumière baignée par une douce lumière, et dans laquelle régnait un désordre certain. À en croire le chaudron fumant au dessus d’un feu de cheminée, les flacons, les livres, et le balai négligemment posé sous le porte-manteau, je m’étais probablement introduit dans l’atelier d’une des sorcières… Silencieusement, j’entreprenais une visite des lieux.

 

Mon regard était frappé par la multitude d’ingrédients dispersés dans la pièce, représentés par des cartes avec des crapauds, des trèfles, des champignons, et bien sûr des chauve-souris. Au premier abord, et malgré des éléments entourés d’un halo lumineux, il ne paraît pas évident d’avoir une bonne lecture des différents éléments. Cependant, après quelques parties, la visualisation sera plus aisée, et on ne pourra qu’être satisfait de ce choix graphique plutôt oppressant et dérangeant.

À quoi peuvent bien servir ces multiples éléments ? À faire des potions bien évidemment ! Vous allez d’ailleurs en voir de toutes les couleurs : vertes, bleues, jaunes et rouges, il est indéniable qu’une sorcière ne chôme pas ! Ces concoctions se trouvent sous forme de cartes également, accompagnées de visages peu enjoués de certaines concurrentes désireuses d’entrer au conseil. Montrez-moi votre visage un instant… Oui, vous feriez sans nul doute, un bien ravissant membre du conseil !

Attendez un instant, qu’est-ce qui brille dans ce tiroir ? Approchons nous précautionneusement… Oui, c’est bien ce qu’il me semblait, ce sont quelques pièces laissées négligemment à notre vue ! Hum, je suis d’accord avec vous, n’y touchons pas : le regard insistant de cette chouette ne me dit rien qui vaille…

 

Intéressons nous plutôt à ces étranges marionnettes de bois. Elles sont d’un réalisme incroyable, je jurerais que l’une d’entre elles a bougé ! Je me demande bien à quoi peuvent servir ces pantins… Ne me dites pas que vous croyez que les sorcières en envoient dans les bois à la recherche de leurs ingrédients… ? Ceci dit, ce n’est pas impossible, j’imagine que la réalisation des potions est un travail à plein temps ! L’une d’elles semble agrippée à un document : une reconnaissance de dettes au bénéfice de Fagus Bok ? J’en ai entendu dire des choses effroyables, je n’imagine ce que cela peut coûter de signer un tel accord !

Vous entendez ? N’est-ce pas un bruit venant du sentier ? Risquons un œil par la fenêtre.. . Non, vous aviez raison, il n’y a rien, rien en dehors de cette lumière violacée et inquiétante venant du fin fond de la forêt… Je pense qu’il serait plus prudent de regagner le village : nous avons suffisamment abusé de l’hospitalité de notre hôte !

 

 

 

Cachez ces ingrédients que je ne saurai voir

Comme vous l’aurez sûrement compris, dans Blackwood, les joueurs vont récupérer des ingrédients dans la forêt afin de concocter des potions, source de précieux points de victoire. Pour se faciliter la tâche, ou compliquer celles des autres, ces potions pourront servir à acquérir des sorts apportant différents bonus.

Une partie couvre trois expéditions dans les bois, chaque expédition étant découpée en cinq manches. La première phase est la recherche en forêt. Pour cela, chaque sorcière doit placer une de ses marionnettes sur une des cases composant la zone de fouille. Celle-ci est constituée de 5 cartes disposées horizontalement (les marionnettes vont s’enfoncer plus profondément au cœur des arbres), et d’une carte de plus que le nombre de joueurs dans le sens vertical.

 

 

À leur tour, les sorcières en mal de reconnaissance devront donc obligatoirement placer un de leur pantin sur une des cartes, sauf si le joueur concerné a déjà disposé ses trois pions dans la forêt. Lorsque tout le monde a envoyé son sous-fifre en promenade, on passe à la phase dite du retour au village. Vous voyez, tout est simple est limpide dans le monde de la magie et des sortilèges !

Au cours de cette phase, on regarde où se situe le marqueur de progression (celui qui indique l’avancée de l’expédition) et on remet le chaudron représentant le premier joueur, au propriétaire du pantin le plus éloigné de celui-ci. Cela lui permettra de disposer ses petits personnages de bois avant ses camarades lors de la prochaine manche. Ensuite, chacun récupère son butin (en échange des pièces demandées : vous ne croyez pas que ces démons de bois se décarcassent pour vos beaux yeux ?!) en partant du plus proche du sentier jusqu’au plus éloigné.

Oui, mais il y a une infime subtilité : lorsqu’un ingrédient est retiré de la zone de jeu, on fait glisser les cartes de la ligne correspondante de façon à boucher le trou nouvellement créé. Et si, par un total et heureux hasard, cela amène une marionnette face au marqueur de progression, elle aura l’honneur de rapporter son butin à sa maîtresse avant ses congénères (possiblement) situées plus haut. Vous comprenez que cela peut entraîner des réactions en cascade, et que le jeu qui paraissait si simple prend une autre tournure : il va falloir anticiper ce joyeux chaos !

Quand, on sait que les nouvelles cartes de forêt n’apparaissent qu’en fin de manche, on s’aperçoit qu’on aura de moins en moins de visibilité sur les ingrédients à venir au fur et à mesure que l’expédition progresse dans la forêt (ce qui est raccord avec les illustrations de Alödâh, car les lieux semblent devenir de plus en plus sombres et de moins en moins accueillants !).

 

 

Vous avez besoin d’un petit exemple ? Cela tombe bien, car j’en ai justement un bien retors lors d’une partie à trois joueurs ! (Ça, ça tombe bien alors dites !)

 

Sur l’image ci-contre, le joueur noir s’empare du chaudron de premier joueur. Le joueur blanc récupère ses ingrédients, ce qui décale la ligne, et permet au joueur orange de faire sa cueillette. La place est libre pour le joueur blanc qui complète son panier. Ouf, c’est terminé pour cette ligne, on passe au voisin noir du dessus qui peut enfin se servir dans les bois, offrant à nouveau un passage au pantin orange qui attendait en embuscade ! Et oui, il faut jouer des coudes entre les arbres !

 

Maintenant que les règles de ramassage sont claires, nous allons passer aux actions facultatives :

  • La préparation de potion qui ne peut se faire qu’au moment où le joueur s’empare d’un ingrédient (c’est la seule action facultative à avoir cette limitation). La sorcière échange ses cartes de ressources contre des potions disponibles (attention donc à l’ordre de ramassage, car il se peut que la potion convoitée ait été subtilisée par un joueur plus véloce). Pour ce faire, il suffit que les ingrédients demandés apparaissent sur les cartes récoltées. Ces ressources peuvent être réparties sur plusieurs cartes potions, mais il n’y a pas de rendu monnaie ! La fabrication de potions est la meilleure manière de prouver vos talents au conseil (même si les pièces peuvent apporter quelques points en fin de partie).

 

Exemple d’optimisation dans la chasse aux potions!

 

  • L’échange de potions contre un sort qui se fait en demandant l’appui du célèbre Tapimoket. Celui-ci ne demandera qu’une contribution de deux pièces pour le premier sort, mais augmentera ses tarifs d’une pièce supplémentaire pour chaque autre demande : deux, trois, quatre … cela coûtera donc de plus en plus cher, et il faudra donc bien faire attention à son budget ! Heureusement, vous conservez les points de victoire des potions utilisées (mais elles ne pourront bien entendu plus servir à faire autre chose).

 

 

  •  La demande à Fagus Bok dans les cas où justement vous n’auriez pas correctement géré votre budget ! Celui-ci vous offrira cinq pièces de la réserve en échange de cinq points de victoire en fin de partie : cela n’est qu’une maigre offrande pour vous éviter de finir bloqué dans votre développement.

 

  • La vente de potion qui, bien qu’assez mal vue dans le monde de la sorcellerie, pourra remplir votre porte monnaie sans avoir à traiter avec Fagus Bok ! La vente diminuera la valeur en points de victoire de votre concoction, et vous empêchera bien évidemment de l’utiliser pour l’acquisition d’un sort.

 

  • Le déclenchement d’un sort à votre bénéfice ou pour embêter vos concurrents ! Chaque sort ne pourra être utilisé qu’une fois par expédition : choisissez judicieusement le moment où vous lirez vos parchemins.

 

 

Voilà, vous savez tout sur le fonctionnement du jeu !
Ah si, une chose importante, vos ingrédients périment d’une expédition à l’autre, veillez donc à les utiliser avant (même si vous serez légèrement dédommagés par une poignée de pièces). En tout cas, au bout de trois expéditions, on fait le total des points de victoire obtenus et on ajoute un petit bonus d’un point pour trois pièces encore en sa possession. Le plus grand total de points permettra à son possesseur d’intégrer le Conseil !

 

Le(a) petit(e) bois(te) qui a tout d’un(e) grand(e)

Finalement, que donne ce Blackwood ? Et bien, malgré des mécaniques connues, il arrive à perturber lors de la première confrontation. En effet, le jeu m’a fait penser au désormais classique Splendor avec l’acquisition de ressources par des cartes, et un échange contre des cartes de rang supérieures, les potions. Ces potions servant à acquérir des petits bonus (et non des points de victoire comme avec les nobles de Splendor). Mais alors, qu’est-ce qui peut bien perdre le joueur chevronné que je suis (aïe, j’ai des douleurs dans les chevilles) ? Peut-être cette complexité et cette profondeur qui rend Blackwood moins aisé à maîtriser ? En effet, les choix sont plus nombreux… et plus cornéliens.

Le déplacement des cartes modifie la zone de jeu, et est plus délicate à anticiper : c’est particulièrement vrai au fur et à mesure que l’expédition progresse dans la profondeur des bois. Les ingrédients arrivent alors sans qu’on n’ait pu s’y préparer, ce qui augmente l’opportunisme au dépend de la planification. Cela est tout l’inverse au début du sentier, ou la programmation de ses actions est capitale.

Au final, le jeu est plus tactique que stratégique, car on n’est jamais certain de pouvoir s’emparer des potions nécessaires à l’acquisition des sorts tant désirés. Certains paraissent d’ailleurs plus importants à récupérer que d’autres, et il paraît délicat de faire l’impasse sur l’ajout d’un ingrédient, l’achat à moitié prix d’une des cinq premières cartes de la pioche, ou encore sur la gratuité d’une carte. Il est également impératif de prendre un sort au cours de la première expédition, afin de profiter au mieux des pouvoirs (une utilisation lors de chaque période). Peut-être que mes parties futures me donneront tort ?!

Les revenus sont également une source de tension dans le jeu, et on aura souvent l’impression d’être sur le fil du rasoir, à deux doigts du blocage. Il faudra choisir entre potions à points de victoire, ou potions lucratives, sources de pièces. Ce ne sera pas toujours évident, d’autant plus qu’il n’y aura qu’un exemplaire de chaque couleur qui rapporteront 8 points : la bataille sera donc féroce pour leur acquisition !

Bref, Blackwood propose un condensé de ce qui se fait de mieux actuellement, tout en restant contenu dans une boite de taille modeste (vos étagères vous remercieront !). Le jeu propose de multiples arbitrages, une solide interaction, et un équilibre harmonieux entre pur opportunisme et choix tactiques.

Attention cependant, car les premières parties seront longues (1h30 tout de même chez nous pour une découverte à 4 joueurs), ce qui peut surprendre pour ce type d’opus, et effrayer le joueur non acharné (petite pensée aux familles ne baignant pas dans le milieu du jeu de société).

Mais l’effort sera payant et vous embarquera dans une thématique qui ne sera pas qu’un simple faire-valoir (même si l’auteur a expliqué avoir changer de thème au cours de la conception du jeu). En somme, une belle surprise !

 

 

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2 Commentaires

  1. TheGoodTheBadAndTheMeeple 04/10/2018
    Répondre

    Nous avions trouve le graphisme vraiment trop sombre, affectant fortement la lisibilite… sinon la mecanique est correcte.

  2. bgarz06 04/10/2018
    Répondre

    J’étais à la même table et je confirme : il n’y avait pas la lumière nécessaire à la sombre forêt^^

    Difficile à jouer… et les explications de l’animatrice à Essen n’étaient pas très claires non plus…

    ok je sors !!!

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