À la gloire d’Uwe… non d’Odin !

Lorsque mon camarade de jeu , de retour d’Essen, m’a proposé d’essayer À la Gloire d’Odin (A Feast for Odin, à ne pas confondre avec In the Name of Odin), le dernier Uwe Rosenberg, je n’ai pas pu résister. Il faut dire que j’étais retombé dans Agricola il y a peu (voir Just Played), et que j’avais ressorti également Caverna. Il n’était donc pas concevable de ne pas tenter l’expérience, d’autant que ce jeu s’annonçait comme un monstre au prix public de 90-100€, 60€ pour les veinards ayant pu l’attraper à Essen après le premier jour !

Les Vikings d’après Uwe sont-il des agriculteurs ?

Après nous avoir habitués aux paysans d’Agricola, aux moines cultivateurs d’Ora & Labora, aux artisans de La Route du Verre, aux nains fermiers de Caverna, allait-on avoir droit à un premier jeu guerrier de la part d’Uwe Rosenberg ?

Déjà, un point qui m’a sauté aux yeux au déballage du matériel pléthorique, qui explique sans doute en partie le prix : le jeu comporte deux dés, et qui plus est, un dé à 8 faces et un dé à 12 faces, dés plutôt utilisés dans les jeux de rôle. Aurait-il osé briser à ce point ses habitudes pour nous faire un jeu de conquête et d’affrontement bien adapté au thème Viking ?

Un jeu qui prend de la place !
Je vais tuer le suspense tout de suite en vous évitant de fuir l’article pour les habitués de Uwe Rosenberg, et en évitant que les wargamers nourrissent trop d’espoirs. On est bien dans un jeu de gestion à l’allemande, de type pose d’ouvriers. On retrouve même la nécessité si chère à Uwe Rosenberg de nourrir ses ouvriers, pardon ses vikings.

Néanmoins, on peut reconnaître que Uwe sort cette fois-ci des sentiers battus. Si l’on est bien dans de la pose d’ouvriers, plusieurs éléments le démarquent de ses précédentes productions. Et pas seulement les deux dés.

Je vais te gérer façon puzzle

Mais revenons au thème et à la mécanique générale. Nous sommes donc un clan viking et nous allons tenter au cours de 8 tours de remplir notre entrepôt de biens diverses, voire d’acquérir certaines contrées qu’il faudra également recouvrir de tuiles. En effet, il faudra poser sur nos plateaux les biens acquis ou fabriqués afin de paver l’espace tout en respectant certaines règles de pose et en laissant certaines cases libres pour générer des revenus. Une espèce de Tetris ou de puzzles. Une manière assez originale de contraindre les tuiles que l’on cherchera à récupérer. Vous noterez par ailleurs sur la photo les -1 qui sont des points négatifs déduits de votre score si vous n’avez pas recouvert ces cases. C’est une des particularité du jeu… avant de scorer en positif, il faut compenser le scoring négatif.

Son domaine Viking

Bon ok, la justification de l’entrepôt, et encore plus de l’île, qu’il faut remplir soigneusement en posant côte à côte les différents biens est un peu tiré par les cheveux.

Je dois avouer, même s’il y a des actions chasse et pêche, ou même raid pour récupérer des objets, que je ne me suis pas senti vraiment l’âme d’un viking, mais plutôt celle d’un gestionnaire produisant, transformant, acquérant différentes ressources afin d’optimiser l’occupation de l’espace sans négliger quelques développements intéressants (bateaux, cabanes, animaux, …) pour marquer le plus de points possible. C’est, de mon point de vue, le jeu de Uwe Rosenberg où le thème est le moins bien rendu.

De l’action ! 

Parlons un peu des mécanismes et de l’intérêt du jeu. Je vais éviter de vous détailler un tour de jeu, celui-ci comportant pas moins de 12 phases ! Il faut d’ailleurs prévoir 45 minutes d’explication de règles la première fois. On est bien dans du lourd même si le jeu n’est pas si difficile que cela. Il est surtout très riche avec beaucoup de possibilités.

Pour vous donner une idée, sur la photo ci-dessous le plateau central où l’on aperçoit des meeples noirs et jaunes, est le plateau des actions. Je vous laisse faire le décompte. Elles sont nombreuses et variées et rien que les expliquer prendra un temps incompressible.

Le plateau des actions

Chaque ligne (ou 2 lignes) correspond à un type d’action, et plus la colonne est à droite, plus l’action est puissante, mais plus il faudra y envoyer des vikings pour la réaliser.

Il y a donc ici un premier dilemme : beaucoup de petites actions ou peu d’importantes ? D’ailleurs, on récupère un nouveau viking à chaque tour, afin qu’on puisse, le jeu progressant, réaliser au fur et à mesure des actions plus fortes.

Pour vous donner une idée des choix potentiels et aussi des possibilités de scoring, parmi les actions possibles on a :

  • Construire des maisons : de petit plateaux individuels supplémentaires comportant un entrepôt qu’il faudra aussi remplir… attention donc à ne pas laisser cette maison inoccupée sinon elle vous coûtera des points au lieu de vous en rapporter ;
  • Construire des bateaux : ceux-ci vous permettront de naviguer afin de découvrir de nouveaux territoires (de nouveaux plateaux individuels, plus grands que les maisons, avec plus de cases à remplir et bien sûr plus de points potentiels, négatifs ou positifs selon votre capacité à l’occuper) mais aussi de marquer des points en fin de partie ;
  • Chasser/pêcher permet de récupérer de la nourriture et des biens (peau, huile de baleine, etc) qui iront occuper vos plateaux individuels ;
  • Le marché au bétail pour récupérer de la nourriture, ou mieux, des animaux qui rapportent des points en fin de partie ;
  • Le marché hebdomadaire qui permet d’échanger des bien et gagner de l’argent ;
  • La possibilité de transformer des animaux ou de la nourriture (un mouton en laine). Cette transformation se traduit par un échange de tuiles, la nouvelle étant plus grande et occupant plus d’espace, et donc rapportant plus de points ; à ce sujet, le rangement intégré au jeu aide à voir ces transformations potentielles puisqu’une tuile donnée pourra se transformer en celle juste au-dessus d’elle dans le rangement (voir photo dessous) ;
  • L’artisanat permettant là aussi de transformer mais cette fois-ci des biens plus évolués : avec la laine obtenu des moutons, on pourra faire un manteau. 
  • La montagne : elle permet de récupérer de la pierre, du bois ou du minerai qui seront eux-aussi transformés par les artisans ou qui serviront à construire maison et bateaux ;
  • Le commerce permet d’améliorer ces tuiles en suivant la logique de : je transforme une tuile en celle juste au-dessus dans le rangement, la nouvelle étant plus grande bien entendu (voir encore une fois la photo ci-dessous) ;
  • La navigation pour découvrir de nouvelles terres (encore des nouveaux plateaux à remplir) ;
  • Les raids pour voler des trésors : de grandes tuiles mais aux formes biscornus ;
  • Et enfin l’émigration et les métiers pour récupérer des cartes notamment. 

 

boite de rangement

 

Ça me fait penser que je n’ai pas parlé des cartes.
Les cartes symbolisent différents outils qui seront nécessaires pour chasser ou faire des raids, par exemple des épées pour ces derniers. Elles se piochent au hasard et vous êtes donc tributaires de la chance pour entreprendre ces actions. En effet, c’est ici qu’interviennent les dés. Plus l’action sera lucrative, plus le score à atteindre sera élevé. Les outils servent à diminuer le score à atteindre et donc à augmenter vos chances. C’est moins marqué pour la pêche car bateaux et minerais influent eux aussi et rendent la réussite plus certaine que la chasse ou les raids. Une volonté de coller au thème ?

On peut également choisir de piocher des cartes métiers qui apportent des bonus permanents ou des effets immédiats, certaines rapportant également quelques points en fin de partie.

Revenons-y, thème. À l’énoncé des possibilités, on peut penser que le thème est au coeur du jeu. On ne peut en effet nier un effort pour que les actions collent à celui-ci. Néanmoins devant la multitude des choix possibles, et la nécessité d’optimiser, que ce soit le placement, ou le choix du nombre de viking à utiliser, sans compter la nourriture à assurer, le thème s’efface pour laisser place à une gestion fine des ressources et des interactions, d’autant que si les actions parlent de pêche ou d’artisanat, il ne s’agit au final que d’échanger une ressource contre une autre.

Devant cette multitude d’actions et de possibilités, on se retrouve un peu perdu en début de partie et invariablement on se pose la question suivante : « Mais que vais-je donc pouvoir bien faire ? »

Par où commencer ? 

Pour faire simple, j’ai commencé à la Agricola : assurer du bois et de la pierre, les ressources de base. J’ai donc été faire un tour à la montagne. Puis j’ai cherché à nourrir mes vikings et donc à pouvoir pêcher. Une fois des bateaux construits et armés, il était temps de commencer à remplir l’entrepôt. Les tours qui ont suivi ont donc consisté au cycle classique ressource/transformation/ressources/amélioration…

Enfin, une fois l’entrepôt presque plein, j’ai cherché à découvrir une nouvelle contrée pour marquer beaucoup de points. À ce sujet, les contrées disponibles évoluent au cours du jeu. Au début elles sont petites et faciles donc à remplir, mais rapporteront moins de points. Les dernières bien plus grandes ont un potentiel de points plus élevé mais laisse moins de temps pour arriver à les paver. Elles me semblent bien plus lucratives que les premières. Par exemple, mon collègue est parti rapidement sur les îles Féroé qui rapportent 4 points mais ont 16 cases à -1, il faut donc au moins recouvrir 12 cases pour commencer à scorer.

Féroé

Tandis que Terre Neuve que j’ai découvert comporte certes 40 cases à -1 mais rapporte 38 points. Il suffit donc de recouvrir 2 cases pour commencer à scorer positivement. Alors certes, les premières îles comportent également des revenus alors que les dernières non, mais l’écart de points me semble considérable et c’est sans hésitation que j’ai choisi d’attendre afin de partir à la découverte de nouvelles terres.

Terre Neuve
Vous noterez la couronne d’Angleterre chèrement acquise au cours d’un raid victorieux. Mon seul objet de raid, mais quel objet ! 😉

Dans la durée

La partie aura duré plus de 3h mais avec 1h d’explication de règle. Plus de 2h de jeu à deux, cela peut sembler long mais je n’ai pas vu le temps passer, le cerveau étant toujours en ébullition. Et malgré le fait que nous n’étions que deux, on a réussi à se gêner quelques fois sur le plateau des actions. J’imagine donc qu’à quatre joueurs l’interaction est plus forte et qu’il ne faudra pas oublier de surveiller ce que sont en train de faire ses adversaires. En revanche, le temps de partie risque de s’allonger d’autant. Il va falloir essayer cette configuration pour confirmer ou infirmer cela.

Pour terminer, une petite feuille de score anonymisée de deux parties (une à 3, une à 2) pour vous donner une idée des différents points à récolter…

Feuille de score
Les Viking supplantent-ils les Nains dans mon coeur ?

Je dois dire que la partie m’a beaucoup plu et j’ai failli y rejouer quelques jours après au club pour l’essayer à quatre… Mais devant me lever très tôt le lendemain, j’ai sagement décliné l’invitation. Ils ont d’ailleurs du faire la fermeture et je ne peux donc pas vous dire la durée de la partie, étant parti bien avant la fin. J’ai cependant hâte de tenter l’expérience.

Mais, au-delà de l’expérience, ce jeu supplantera-t-il dans mon cœur le Caverna du même auteur ? On pourra être choqué de la comparaison car il faut reconnaître que cet « À l a gloire d’Odin » est plus original. L’introduction du hasard et le côté Tetris le démarquent nettement de Caverna, on ne peut le nier. Néanmoins on reste dans de la pose d’ouvriers, même si ici on en posera parfois jusqu’à quatre d’un coup. On reste aussi dans de l’acquisition de ressources que l’on transforme et fait évoluer. On retrouve d’ailleurs dans Caverna la nécessité d’occuper l’espace même si ce n’est pas aussi central qu’ici et surtout moins biscornu. Je me plais donc, non pas à vraiment les comparer, mais à les mettre en regard et je me dis que je vais me contenter de mes Nains.

D’abord le prix est rédhibitoire à mon sens. J’aurais sans doute hésité plus si Asmo-Filosofia s’était aligné sur le prix international, celui pratiqué à Essen (après la polémique du jour 1). Mais là, à ce tarif, et même si le matériel est conséquent, je préférerai investir dans un Conan, un Assaut sur l’Empire, un Demeure de l’Épouvante v2 ou autres jeux du même acabit avec figurines et matériel à foison.

Ensuite, si je ne nie pas une certaine originalité, on retrouve tout de même les fondamentaux de Rosenberg, mais qui plus est avec un thème moins bien intégré. Et c’est un point qui compte pour moi. Et enfin, mon passé de rôliste ne peut m’empêcher d’avoir une certaine nostalgie pour les Nains plutôt que les Viking.

À la gloire d’Odin est donc un très bon jeude stratégie, qui se démarque plus qu’auparavant de ses prédécesseurs du même auteur et qui peut donc intéresser des joueurs cherchant à varier les plaisirs dans le kukenbois et la pose d’ouvriers. Néanmoins, le prix demandé, la durée de partie, et la richesse de l’offre dans ce domaine ne me feront pas sauter le pas personnellement.

 

À la gloire d’Odin

Un jeu de Uwe Rosenberg
Edité par Cranio Creations, Devir, Feuerland Spiele, White Goblin G, Z-Man Games
Distribué par Asmodee
Langue et traductions : Allemand, Anglais, Espagnol, Italien
Date de sortie : 10-2016
De 1 à 4 joueurs
A partir de 12 ans
Durée moyenne d’une partie : 120 minutes

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4 Commentaires

  1. Jeffyciacos 22/12/2016
    Répondre

    ça a l’air super immersif ces plateau à la patchwork!

     

    Sinon, pour la mise en place du jeu, il faut combien de milliers de minutes?

    • Cormyr 22/12/2016
      Répondre

      il est clair que malgré les efforts pour essayer de coller au thème, on reste de marbre devant le système « à la Tetris » pour remplir son entrepôt ou occuper une île.

       

      Fan de jeu thematique et de l’esprit Viking passez votre chemin 😉

       

      Pour la mise en place, elle est plutôt rapide pour un jeu de ce calibre ; la boite de rangement des ressources y est pour beaucoup. Non seulement elle accélère la mise en place, mais en plus elle aide à la lecture du jeu.

      • Jeffyciacos 23/12/2016
        Répondre

        Perso c’est ce qui m’attirerais dans ce jeu, les tetris board!

         

        Mais comme cité en-dessous c’est vrai que l’ensemble fait un peu too-much, pour certains joueurs! C’est vraiment très ciblé comme jeu… Encore plus au niveau du prix! C’est quand même hardcore 90 euros pour un jeu, avec que du carton (même si ça peut se comprendre que parfois le carton / papier coûte plus chère que le plastique!).

         

        Mais après, tu peux peut-être faire d’autres choses avec ce jeu! Si tu fais un peu de Crossfit, tu peux sûrement remplacer ton pneu de tracteur par la boîte du jeu! A voir.

         

        Et c’est vrai que niveau ambiance et illustrations… c’est pas ultra accrocheur quand même. ça fait super vieillo et morose. ça aurait pu être 3 fois plus impressionnant avec des illustrations qui claquent! Mais j’ai l’impression que l’auteur n’aime pas vraiment changer de type d’illustration, pour des plus « modernes » (car vu ses jeux, je suis sûr que sa voix compte!).

  2. Meeple_Cam 23/12/2016
    Répondre

    J’ai beau être un uwe-fan, j’ai peur que celui là fasse vraiment too-much. En plus, la durée de partie est plus longue que le délai entre 2 biberons. Faudra que j’attende un peu avant de franchir le pas. :p

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