104 raisons d’aimer CIV (ou un peu moins)

CIV, ou Carta Impera Victoria en latin de cuisine, est un jeu de civilisation épuré, minimaliste. Je vous passerai les poncifs sur le genre, mais sachez tout de même que CIV est un jeu de cartes à combos, avec peu d’effets et peu de narration. Le genre que je peux apprécier, certes, mais parfois détester aussi : il y a toujours une certaine réticence de ma part devant cette façon de concevoir un jeu car le gameplay dépouillé a souvent des chances de se retrouver froid et de laisser le joueur sur le carreau. Le même minimalisme qui fait dire « The Game ? Mais attends, on va vraiment jouer à ça ?! » alors que le jeu a obtenu (tout de même) une sélection au Spiel des Jahres.

 

Mais CIV a d’autres atouts : son accessibilité, sa simplicité, son look léché. Quoique, de ce côté, on se méfiera quand même un peu : le graphisme naïf ne plaira pas à tout le monde. Cepandant, la qualité d’édition est indéniable : net, lisible, sans fausse note – pourvu qu’on accroche à la direction artistique. Ludonaute est aujourd’hui symbole d’un produit travaillé, d’édition parfaite, diront certains. Et je ne suis pas loin de les rejoindre en ce qui concerne CIV. Une belle boîte qui contient des cartes format tarot, définies seulement par leur époque (le dos) et leur famille (le recto). Au final, la simplicité désarçonne. Comme celle d’un tour de jeu : on joue une carte de sa main, on active ses pouvoirs, on remplit sa main, et basta, zou, au suivant.

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L’aide de jeu, qui porte tous les pouvoirs des cartes.

 

Du génie CIVil

Des pouvoirs ? Eh oui, mon bon. Parce que si, pour gagner, il faut l’ »hégémonie » en ayant 7 ou 8 bâtiments d’un type (ou, à défaut, la majorité des types de bâtiments), les cartes « bâtiment » ont des effets de deux catégories. Un effet de collection, de développement, et un effet de sacrifice, qui ne s’activera, lui, que lorsque vous défausserez ladite carte. Et tout va raccord avec la couleur. Il y a six types de bâtiments (Religion, Economie, etc), et l’Art ayant une règle un peu spéciale, on se retrouve avec… 11 pouvoirs pour tout le jeu. Oui, c’est tout. Mais c’est déjà pas mal !

Vous aurez le loisir d’activer chaque pouvoir de développement une fois, et la possibilité de sacrifier chaque bâtiment une fois dans votre tour. C’est la combinaison de ces pouvoirs qui vous permettra de l’emporter ou de lamentablement vous planter.

Si les cartes sont peu nombreuses, leurs pouvoirs ne sont pas inscrits dessus : c’est le rôle de l’aide de jeu, qu’on conservera et consultera religieusement les premières parties avant de s’en désintéresser quand on maîtrise.

 

Certains pouvoirs vous permettront d’échanger des cartes pour d’autres (en fait, on ne pourra jamais jouer “plus”), d’augmenter sa taille de main, de sélectionner des cartes à défausser (puisqu’en fin de tour, on remplit sa main à taille maximale quoi qu’il arrive). Arriver à un seuil pour déclencher un pouvoir de développement, l’activer pour un effet agréable et sacrifier un de ces bâtiments pour son effet de défausse en un tour, nous faisant perdre l’effet de développement validé et déclenché plus tôt dans le tour, c’est tout à fait envisageable et cela crée des moments de combos assez violents.

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Tableau d’âge I classique : on augmente sa taille de main max, incontournable.

 

Cependant, pas mal de choses resteront maîtrisables ou prévisibles : tous les pouvoirs de développement sont “bénéfiques”, permettant d’améliorer son potentiel de jeu, quand l’agression se limite aux pouvoirs de sacrifice (et encore, pas tous). Et puis c’est de l’agression somme toute bien calculée : il faut être certain que le prix que l’on paye vaille le coup. Est-ce que j’empêche mon adversaire de gagner ? Est-ce que je le force à jouer un coup plutôt qu’un autre ? Voilà l’équation que l’on se posera souvent. Sacrifier un atout, dans un jeu de majorité/de collection, c’est cher.

 

En somme, aucun pouvoir ne donne de card advantage. C’est à dire que vous ne pourrez pas jouer plus de cartes que les autres, et c’est là la grande justice du système de jeu. Les carte du domaine de l’Art (j’y viens après) vous permettront seulement de prétendre avoir joué plus de cartes, et encore. La seule action que l’on peut avoir sur son propre tempo, c’est de sacrifier ses cartes pour déclencher un effet brutal. On ne pourra jamais dire que le jeu nous a floué ou trompé : on est logé à la même enseigne que les autres. Il n’y a pas d’explosion exponentielle comme dans certains jeux à combos (notamment de deckbuilding) où l’on déroule tout son paquet pour jouer en solitaire l’effet de ses quarante cartes, écrasant ses adversaires et les ennuyant en même temps. Dans CIV, on est obligé de reconnaître son erreur pour ce qu’elle est.

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Attention au détail : 104 cartes, des illus différentes pour chaque ère quand un domaine traverse plusieurs âges.

 

VICtoire

Si la victoire à l’hégémonie s’avère immédiate, elle n’arrivera pas à toutes les parties et dans ce cas-là, on joue jusqu’à épuisement de la pioche. Et en creusant le paquet, on change d’ère, et donc de répartition des bâtiments.

En effet, CIV propose trois ères différentes avec des paquets pré-ordonnés. Au final, l’opus de Rémi Amy propose aussi une vision à long terme : en utilisant la guerre ou la science pour beaucoup défausser, on ira plus vite récupérer les cartes des âges suivants, invalidant potentiellement des stratégies adverses.
Autre twist, et non des moindres, l’Art permet, si l’on en possède la majorité, de venir profiter du pouvoir de développement d’un de ses voisins. Cette collection-là, on la néglige sans doute un peu au début, et puis plus tellement ensuite : elle permet de jouer sans prendre le risque de se retrouver le bec dans l’eau parce qu’on nous a cassé un bâtiment, de profiter d’une certaine plasticité. Mais… elle est plus volatile que les autres. On se bat donc pour cette majorité assez régulièrement.

 

Les combos que l’on peut déclencher dans CIV paraissent plan-plan au début, puis, avec le temps, on ressent les points d’équilibre : à tel moment de la partie, je peux casser mes temples pour donner un coup de collier et récupérer plus de science pour m’accélérer. Ou alors, j’utilise la science pour creuser le paquet, et ainsi punir mes adversaire qui se seraient trop reposés sur la religion (qui n’est pas présente dans la pile de l’âge III, rappelons-le).
Si on fait le tour des possibilités assez vite, du fait du faible nombre de combinaisons, les interactions s’avèrent donc plus fines, à l’instar de l’excellent Flip City dont j’avais déjà parlé dans ces colonnes.

 

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La science me permettra sûrement de sacrifier mon art au profit de la religion… ou plutôt l’inverse.

 

On trouve donc dans CIV une richesse insoupçonnée qui provient du nombre de combinaisons ou de mini interactions entre groupements de cartes. Malgré un fonctionnement très simple, CIV parvient à donner une impression et une sensation de contrôle très appréciable. Et le tout, avec une lisibilité sans faille. Il est extrêmement simple de savoir qui a quoi, qui est près de l’emporter à l’hégémonie.

 

Cependant, le tirage initial est très important, et, puisqu’il faut commencer à constituer ses majorités mollement et à la main, le début est un peu ennuyeux et banal tant que l’on n’utilise pas la règle avancée qui demande de drafter les bâtiments de sa main de départ et de commencer avec une carte déjà en jeu. Si tout cela rehausse l’intérêt du début, cela pallie le léger problème de design pré-cité avec une solution qui ne me convainc qu’à moitié.
Il y a aussi la rejouabilité, que je n’estime pas énorme ; du haut de mes quelques parties, je pense avoir fait le tour des combos et des subtilités que le jeu recèle.
Mais ne crachons pas dans la soupe : CIV est non seulement un premier jeu, mais c’est surtout aussi un titre agréable à prendre en main pour peu que l’on adhère aux graphismes, le tout est bien édité, avec une véritable proposition tant dans le gameplay que dans la facture.  

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2 Commentaires

  1. utopialist 21/04/2018
    Répondre

    Merci pour cette excellente critique. Une précision : il y a 4 cartes militaires à l’âge III (tu as écrit qu’il n’y en avait pas, tu dois confondre avec la religion).
    Quant à la rejouabilité… Je ne partage pas ton avis. Typiquement, on peut mettre pas mal de temps à comprendre la puissance de l’utopie, et à comprendre comment gagner en utopie… Alors que ça paraît impossible de prime abord.

    • Umberling 21/04/2018
      Répondre

      Oui je voulais parler de la religion et non de la guerre, j’éditerai en ce sens dès que je me planterai devant un pc ce week-end.

      Pour ce qui est de la rejouabilité, c’est plus compliqué que ça : si l’utopie ne semble pas super viable à la découverte, un peu de theorycrafting permet de se rendre compte que c’est carrément réalisable. Et dès qu’on a theorycrafté le jeu, il prend une seconde lecture qui permet de prendre un certain ascendant mais qui n’est pas non plus un gros plus en termes de rejouabilité. Après le nombre de partie que peut faire un joueur est variable, suivant son caractère et sa ludothèque…

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